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L’administration fiscale peut saisir un serveur même si la comptabilité de plusieurs contribuables s’y trouve

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Trois sociétés norvégiennes se plaignaient que l’administration fiscale leur ait enjoint de remettre à ses inspecteurs une copie de l’intégralité des données du serveur informatique qu’elles partageaient. Pour elles, il y a une ingérence disproportionnée. Pas du tout dit la Cour strasbourgeoise (droit de l’homme) : des raisons d’efficacité s’opposent à ce que le champ d’action de l’administration fiscale soit limité par le fait qu’un contribuable utilise un système d’archivage partagé, même si celui-ci contient des données appartenant à d’autres contribuables. En outre, des garanties contre les abus avaient été mises en place

Principaux faits

Les requérantes, Bernh Larsen Holding AS (« B.L.H. »), Kver AS (« Kver ») et Increased Oil  Recovery  AS  («  I.O.R.  »),  sont  des  sociétés  à  responsabilité  limitée  de  droit norvégien dont les sièges sociaux respectifs se trouvent à Bergen (Norvège).

En  mars  2004,  les  autorités  fiscales  locales  enjoignirent  à  B.L.H.  d’autoriser  leurs inspecteurs  à  effectuer  une  copie  de  toutes  les  données  stockées  dans  son  serveur informatique.  B.L.H.  les  autorisa  à  accéder  à  ce  serveur,  mais  refusa  de  leur  remettre une  copie  de  l’intégralité  des  données  qu’il  contenait  au  motif  qu’il  appartenait  à  la société Kver et que d’autres sociétés l’utilisaient pour y stocker leurs données. La société  Kver, qui s’était opposée à la saisie de l’intégralité du serveur par les autorités fiscales, fut avertie qu’elle ferait elle aussi l’objet d’un contrôle fiscal. Aussitôt après avoir accepté de remettre à l’administration fiscale une bande magnétique contenant une sauvegarde des  données  des  mois  passés,  B.L.H.  et  Kver  adressèrent  à  la  Direction  centrale  des affaires  fiscales  une  réclamation  dans  le  but  de  se  voir  restituer  cette  bande  dans  les plus  brefs  délais.  Celle-ci  fut  placée  sous  scellés  dans  l’attente  d’une  décision  sur  leur réclamation.  Après  que  Kver  les  eut  informées  que  trois  autres  sociétés  utilisaient  le serveur  et  qu’elles  étaient  touchées  par  la  saisie,  les  autorités  fiscales  avertirent  ces sociétés  tierces  qu’elles  feraient  elles  aussi  l’objet  d’un  contrôle.  L’une  d’entre  elles, I.O.R., adressa une réclamation à la Direction centrale des affaires fiscales.

En juin 2004, la Direction centrale des affaires fiscales informa Kver et I.O.R. que l’avis de contrôle les concernant était annulé, mais confirma que B.L.H. subirait un contrôle et qu’elle  devrait  autoriser  ses  inspecteurs  à  accéder  au  serveur.  Les  trois  sociétés requérantes  contestèrent  cette  décision,  qui  fut  confirmée  par  un  tribunal  de  première instance en juin 2005 et par une cour régionale en avril 2007. Ces juridictions jugèrent que les dispositions juridiques pertinentes (à savoir les articles 4 à 10 de la loi fiscale) autorisaient  l’administration  fiscale  à  copier  des  données  en  vue  de  les  contrôler  dans ses locaux et que le partage d’un serveur par plusieurs sociétés ne justifiait pas un refus d’accès à l’administration fiscale, un serveur partagé devant être assimilé à des archives papier partagées aux fins des dispositions en question.

Le 20 novembre 2007, la Cour suprême confirma l’arrêt de la cour régionale par quatre voix  contre  une.  Elle  jugea  notamment  que  les  dispositions  légales  applicables habilitaient les autorités fiscales à accéder à tous les dossiers – y compris les documents stockés sur support électronique, même s’il ne s’agissait pas de documents comptables – contenant  selon  elles  des  informations  pertinentes  aux  fins  du  calcul  de  l’impôt.  Elle considéra  que,  dans  un  souci  d’efficacité,  l’accès  en  question  devait  être  relativement large.  En  conséquence,  elle  rejeta  la  thèse  des  sociétés  requérantes  selon  laquelle l’administration fiscale était liée par la sélection des dossiers contenant des documents pertinents aux fins du calcul de l’impôt ou d’un contrôle fiscal qu’il appartenait à chaque contribuable de lui adresser. Elle précisa que la mesure litigieuse n’était pas assimilable à  une  saisie  opérée  dans  le  cadre  d’une  procédure  pénale,  mais  que  les  sociétés concernées  n’en étaient pas moins tenues de se conformer à l’injonction qui leur avait été faite d’autoriser l’accès à leurs archives.

Griefs et décision de la Cour

Les  sociétés  requérantes  soutenaient  que  la  décision  de  l’administration  fiscale  portait atteinte à leurs droits au titre de l’article 8. Elles alléguaient en particulier que la mesure litigieuse était entachée d’arbitraire. 

La Cour estime que l’injonction faite aux sociétés requérantes de laisser les inspecteurs des  impôts  accéder  à  l’intégralité  des  données  stockées  sur  le  serveur  partagé  par  les intéressées et d’en faire une copie s’analyse en une ingérence dans leur droit au respect de leur « domicile » et de leur « correspondance » au sens de l’article 8. L’injonction en question  visait  les  trois  sociétés  requérantes.  Selon  elles,  la  copie  de  sauvegarde  du serveur  contenait  aussi  les  courriels  personnels  de  leurs  salariés.  Toutefois,  aucun d’entre eux ne s’étant plaint en justice d’une ingérence dans son droit au respect de la vie privée, la Cour n’estime pas nécessaire de rechercher s’il y a eu ou non atteinte à la « vie privée ». En revanche, il convient de tenir compte de l’intérêt légitime des sociétés concernées à protéger la vie privée de leurs employés pour apprécier si l’ingérence était ou non justifiée.

La  Cour  constate  que  l’ingérence  dénoncée  avait  une  base  légale  en  droit  interne.  Les dispositions  pertinentes  de  la  loi  fiscale,  telles  qu’interprétées  par  la  Cour  suprême norvégienne,  habilitent  les  inspecteurs  des  impôts  procédant  à  un  contrôle  fiscal  à accéder  aux  archives  des  sociétés,  y  compris  aux  documents  stockés  sur  support électronique.  Si  ces  archives  avaient  été  divisées  en  plusieurs  volumes  bien  délimités attribués à chacune des sociétés concernées, les autorités fiscales auraient pu identifier les zones du serveur contenant les informations pertinentes. Dès lors que tel n’était pas le  cas,  les  autorités  fiscales  étaient  habilitées  à  accéder  à  l’intégralité  du  serveur  et  à copier les documents qu’il leur paraissait opportun de vérifier. Aucune des règles de droit applicables n’interdisait aux inspecteurs des impôts d’emporter une copie de sauvegarde du serveur dans les locaux de l’administration fiscale en vue d’un contrôle. Par ailleurs, il ne prête pas à controverse entre les parties que la loi applicable était accessible.

En outre, la Cour estime que la loi en question était suffisamment précise et prévisible. Les  sociétés  requérantes  alléguaient  que  la  copie  de  sauvegarde  emportée  par  les inspecteurs  leur  permettait  d’accéder  à  une  grande  quantité  de  données  sans  rapport avec le calcul de l’impôt et ne relevant donc pas du champ d’application des dispositions pertinentes.  Toutefois,  comme  l’a  expliqué  la  Cour  suprême  norvégienne,  le  champ d’action de l’administration fiscale doit être relativement étendu au stade préparatoire. Dans  ces  conditions,  les  autorités  fiscales  ne  peuvent  être  liées  par  les  indications données  par  les  contribuables  sur  les  dossiers  considérés  par  eux  comme  étant pertinents,  même  lorsque  les  dossiers  en  question  contiennent  des  documents appartenant à d’autres contribuables.

Par  ailleurs,  les  dispositions  pertinentes  ne  confèrent  pas  aux  autorités  fiscales  un pouvoir  discrétionnaire  absolu,  l’objet  d’une  injonction  faite  à  un  contribuable  d’ouvrir l’accès  à  ses  archives  étant  clairement  défini.  Pareille  injonction  n’autorise  pas  les autorités  à  exiger  l’accès  à  des  dossiers  appartenant  entièrement  à  d’autres contribuables. Cela étant, la Cour ne discerne aucun motif de s’écarter de la conclusion de  la  Cour  suprême  norvégienne  selon  laquelle  les  dossiers  des  sociétés  requérantes n’étaient  pas  clairement  séparés.  Dans  ces  conditions,  les  intéressées  pouvaient raisonnablement  prévoir  que  les  autorités  fiscales  souhaiteraient  accéder  à  l’intégralité des données stockées sur le serveur pour apprécier par elles-mêmes la pertinence des données en question.

La  Cour  souscrit à la thèse  du  gouvernement  norvégien  selon  laquelle  les  mesures critiquées  ont  été  adoptées  par  l’administration  fiscale  dans  l’intérêt  du  bien-être économique  du  pays  et  qu’elles  poursuivaient  dès  lors  un  objectif  légitime  aux  fins  de l’article 8.

Par ailleurs, la Cour n’aperçoit aucune raison de remettre en question la position adoptée par le législateur norvégien lors de l’élaboration des dispositions juridiques applicables, selon  laquelle  le  contrôle  des  archives  constitue  une  mesure  nécessaire  pour  vérifier efficacement  les  informations  fournies  à  l’administration  fiscale  et  en  améliorer  la précision.  Dans  ces  conditions,  la  justification  avancée  par  les  autorités  fiscales  pour accéder  au  serveur  et  en  réaliser  une  copie  de  sauvegarde  en  vue  d’en  examiner  le contenu dans leurs locaux était pertinente et suffisante.

En  ce  qui  concerne  la  proportionnalité  de  la  mesure  litigieuse,  la  Cour  relève  que  la procédure  par  laquelle  les  autorités  ont  obtenu  une  copie  de  sauvegarde  du  serveur comportait un certain nombre de garanties contre les abus. La société B.L.H. avait été avertie  de  l’intention  des  autorités  fiscales  de  procéder  à  un  contrôle  fiscal  un  an  à l’avance, et ses représentants ainsi que ceux de la société Kver étaient présents lors de l’inspection sur les lieux menée par les inspecteurs des impôts. Les sociétés concernées ont pu se plaindre de la mesure litigieuse, et la copie de sauvegarde a été placée dans une enveloppe scellée conservée dans les locaux de l’administration fiscale dès le dépôt de  leur  plainte  dans  l’attente  de  la  décision  à  intervenir.  Les  dispositions  légales pertinentes  prévoyaient  d’autres  garanties  pour  les  contribuables,  leur  accordant notamment le droit d’assister à la levée des scellés et de se voir remettre un exemplaire du rapport de contrôle fiscal.

En outre, comme l’a relevé la Cour suprême, la copie du serveur devait être détruite et les informations  y figurant  intégralement  effacées  des ordinateurs  et des dispositifs  de stockage  de  l’administration  fiscale  à  l’issue  du  contrôle.  Par  ailleurs,  sauf  accord  du contribuable  concerné,  les  autorités  ne  sont  pas  autorisées  à  conserver  certains  des documents  détenus  par  elles.  Enfin,  l’ingérence  ne  présentait  pas  le  même  degré  de gravité  que  celles  qui  peuvent  se  produire  lors  de  perquisitions  ou  de  saisies  réalisées dans le cadre d’une enquête pénale. Ainsi que l’a souligné la Cour suprême, le refus de coopérer opposé par un contribuable a des conséquences exclusivement administratives. En  outre,  les  sociétés  requérantes  étaient  partiellement  responsables  de  la  mesure litigieuse, leur choix d’un système d’archivage partagé implanté sur un serveur commun ayant  compliqué  la  tâche  des  autorités  fiscales  au  moment  où  elles  ont  tenté  de distinguer  les  zones  réservées  à  chacun  des  utilisateurs  du  serveur  et  d’identifier  les dossiers pertinents.

En résumé, la Cour estime qu’il existait des garanties effectives et adéquates contre les abus et que les autorités ont ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit des sociétés  au  respect  de  leur  « domicile »,  de  leur  « correspondance »  et  leur  intérêt  à protéger la vie privée de leurs employés, et, d’autre part, l’intérêt public qui s’attache à la  réalisation  de  contrôles  efficaces  aux  fins  du  calcul  de  l’impôt.  En  conséquence,  la Cour conclut à la non-violation de l’article 8.  

(source : cour européenne des droits de l’homme – CEDH 080 – 2013, requête 24117/08)

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