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La propriété intellectuelle ne s’impose pas aux autres droits fondamentaux, elle est en équilibre.

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Combien de fois entend-on des propos trop tranchés. Dans la bouche des titulaires de droits, la propriété intellectuelle est une valeur sacrée qui justifie toutes les atteintes aux autres droits et libertés. Pour les défenseurs des libertés individuelles, la vie privée et les données personnelles sont intouchables. La vérité est qu’entre les deux, il ne faut pas choisir. C’est bel et bien l’un ET l’autre. La cour le rappelle.

Les faits

Coty Germany fabrique et distribue des parfums et détient une licence exclusive sur la marque communautaire Davidoff Hot Water. Au mois de janvier 2011, Coty Germany opère un achat mystère de contrôle, et constate que le produit livré est contrefaisant.

Il reste alors à identifier le contrefacteur. C’est plus facile à dire qu’à faire, surtout qu’en l’espèce, la vente a eu lieu via une plate-forme de ventes aux enchères sur laquelle le vendeur est intervenu sous un pseudonyme.

Coty Germany se tourne alors vers la banque. Lors de la vente, le prix a été payé sur un compte bancaire ouvert auprès d’un établissement allemand.

Coty Germany pose une question simple : pourriez-vous me communiquer l’identification précise du titulaire du compte bancaire ?

La banque, assez classiquement, oppose le secret bancaire.

De première instance en cour d’appel, les juges ont des avis contraires.

L’affaire arrive devant la cour fédérale qui a un doute : comment concilier deux valeurs aussi importantes que la protection de la propriété intellectuelle d’une part, et le secret bancaire d’autre part ?

La cour fédérale pose la question à la justice européenne.

Des valeurs et des droits en opposition

La propriété intellectuelle est protégée par un grand nombre de dispositions au niveau européen.

Il faut tout d’abord tenir compte de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Cette directive a pour objectif de rapprocher les législations des états membres afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur.

Cette directive affirme clairement le statut très élevé de la propriété intellectuelle. Le considérant 32 ne laisse à cet égard aucun doute : « la directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus, notamment, par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [(ci-après la ‘Charte’)]. En particulier, la présente directive vise à assurer le plein respect de la propriété intellectuelle, conformément à l’article 17, paragraphe 2, de [la Charte].»

La directive 2004/48/CE contient à l’article 8 une disposition extrêmement puissante, appelée droit d’information, selon laquelle « (…) dans le cadre d’une action relative à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle et en réponse à une demande justifiée et proportionnée du requérant, les autorités judiciaires compétentes puissent ordonner que des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle soient fournies par le contrevenant et/ou toute autre personne qui : (…) a été trouvée en train de fournir, à l’échelle commerciale, des services utilisés dans des activités contrefaisantes (…). »

Tout aussi importante que soit la propriété intellectuelle, celle-ci n’est toutefois qu’une valeur (un droit) parmi d’autres qui sont tout aussi légitimes.

La directive le sous-entend, notamment en ce qui concerne la protection des données à caractère personnel. C’est ainsi que l’article 2 de la directive énonce que : « La présente directive n’affecte pas : a) (…) la directive 95/46/CE, la directive 1999/93/CE et la directive 2000/31/CE en général et les articles 12 à 15 de cette dernière directive en particulier ». Dans son arrêt, la cour approuve : « il découle de l’article 8, paragraphe 3, sous e), de la directive 2004/48 que l’article 8, paragraphe 1, de celle-ci s’applique sans préjudice d’autres dispositions législatives et réglementaires qui régissent la protection de la confidentialité des sources d’information ou le traitement des données à caractère personnel. »

Un équilibre à trouver

La cour commence par refuser de placer une prérogative ou une valeur au-dessus de l’autre. Pour elle, il n’y a pas à choisir. Ce n’est pas l’un ou l’autre. C’est l’un et l’autre.

Elle juge que « il convient, en effet, que soient respectés, d’une part, le droit d’information et, d’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel. »

Pour que le message soit bien compris, la cour replace les deux valeurs en présence dans un même contexte : celui des droits fondamentaux. Elle estime à cet égard que :

·         « Le droit d’information dont est censé bénéficier le requérant dans le cadre d’une action relative à une atteinte à son droit de propriété vise ainsi, dans le domaine concerné, à rendre applicable et à concrétiser le droit fondamental à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte et à assurer de la sorte l’exercice effectif du droit fondamental de propriété, dont fait partie le droit de propriété intellectuelle protégé à l’article 17, paragraphe 2, de celle-ci. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 31 de ses conclusions, le premier de ces droits fondamentaux constitue un instrument nécessaire aux fins de protéger le second ».

·         « Le droit à la protection des données à caractère personnel, dont bénéficient les personnes visées à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2004/48, fait partie du droit fondamental de toute personne de voir protégées les données à caractère personnel la concernant, ainsi que le garantissent l’article 8 de la Charte et la directive 95/46. »

Ainsi, la décision préjudicielle induit-elle la question de la conciliation nécessaire des exigences liées à la protection de différents droits fondamentaux.

La cour fournit une recette pour résoudre ce conflit.

Premier enseignement. Le juste équilibre. Le droit de l’Union exige des États membres que, lors de la transposition des directives, ils veillent à se fonder sur une interprétation de celles-ci qui permette d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union. Par la suite, lors de la mise en œuvre des mesures de transposition desdites directives, il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme à ces mêmes directives, mais également de ne pas se fonder sur une interprétation de celles-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit de l’Union.

Deuxième enseignement. L’intégrité du droit fondamental. Sur ce point, il faut distinguer deux choses :

·         D’une part, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus doit respecter le contenu essentiel de ces droits et libertés. Le message est donc le suivant : il est permis de limiter l’exercice d’un droit ou d’une liberté fondamental, mais uniquement à la condition de ne pas vider celui-ci de son « contenu essentiel ».

·         D’autre part, une atteinte caractérisée à un droit protégé par la Charte doit être considérée comme ne respectant pas l’exigence que soit assuré un tel juste équilibre entre les droits fondamentaux qui doivent être conciliés. La cour rappelle qu’il n’y a pas d’atteinte plus caractérisée un droit protégé par la charte que l’impossibilité de mise en œuvre dudit droit.

C’est précisément ce qu’elle reproche en l’espèce à la législation allemande, qui permet aux établissements bancaires d’exciper en toutes circonstances du secret bancaire pour éviter de se soumettre au droit d’information.

La cour est donc d’avis que la disposition nationale en cause ne respecte pas l’exigence consistant à assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux mis en balance.

Toutefois dit-elle, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier l’existence, le cas échéant, dans le droit interne concerné, d’autres moyens ou d’autres voies de recours qui permettraient aux autorités judiciaires compétentes d’ordonner que les informations nécessaires portant sur l’identité de personnes qui relèvent de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2004/48 soient fournies, en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque cas, conformément au considérant 17 de cette dernière. La démarche est logique. Ce que la cour recherche, c’est l’équilibre. Si d’autres moyens en droit interne existent pour rétablir l’équilibre a priori rompu, le grief pourrait en effet disparaître.

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