Gilets jaunes : l’usage satyrique de la marque BFM n’est pas une contrefaçon
Publié le 05/03/2024 par Etienne Wery 2693 vues
L’affiche « Les syndicats de police & BFM vous souhaitent un bon enfumage 2019 » n’est pas une contrefaçon de la marque BFM à défaut d’usage « dans la vie des affaires », même si l’auteur est lui-même un professionnel de la publicité.
Faits et procédure
Pendant la crise dite des gilets jaune en France, une affiche a fleuri le long d’une route de provence et sur certains réseaux sociaux : « Les syndicats de police & BFM vous souhaitent un bon enfumage 2019 ».
Le titulaire de la marque BFM dépose plainte, mais sans succès : les juridictions d’instruction considèrent que l’usage de la marque a lieu en dehors de la vie des affaires, dans le cadre d’une démarche satyrique qui s’inscrit dans l’exercice licite de la liberté d’expression.
Un pourvoi est introduit devant la Cour de cassation contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, rendu en date du 7 mars 2023, qui confirmait l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction.
Au cœur du pourvoi, il y a une particularité du dossier : l’auteur de l’infraction alléguée est, au côté de son épouse, un entrepreneur actif dans le secteur de la publicité, qui a apposé l’affiche sur un panneau dont il est propriétaire. N’y a-t-il pas dès lors une contradiction à exclure « l’usage dans la vie des affaires » d’une marque, lorsque l’auteur de l’usage critiqué est lui-même un professionnel du secteur qui appose la marque sur un support affecté à l’exercice de sa profession ?
Tel est l’enjeu du moyen présenté à la Cour de cassation, selon lequel « le délit d’usage et de reproduction d’une marque est caractérisé lorsque la reproduction ou l’usage de la marque est effectuée dans le cadre de l’activité professionnelle de l’auteur ; que la chambre de l’instruction a retenu que M. [X] participait à la « vie des affaires » et avait une activité « d’agence de publicité » ; qu’en prononçant un non-lieu en ce que l’affiche pourtant apposée sur « un panneau publicitaire », ne s’inscrirait pas dans la vie des affaires de M. [X], la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 5 de la directive n°2008/95 du 22 octobre 2008, L 713-1 et suivants et L 716-10 du code de la propriété intellectuelle, 211, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
C’est l’usage lui-même qui compte, bien plus que l’auteur de cet usage
La Cour commence par rappeler que l’article L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle sur lequel sont fondées les poursuites, doit être interprété à la lumière de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, abrogée le 14 janvier 2019, et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, arrêt du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club, C-206/01).
Il s’en déduit qu’il « convient de déterminer si l’affiche litigieuse relève de la vie des affaires et, à cette fin, de vérifier si elle s’inscrit dans le domaine économique et vise à l’obtention d’un avantage direct ou indirect de nature économique. »
La Cour de cassation confirme l’arrêt qui lui est soumis.
Son raisonnement tient en quelque smots : ce n’est pas tant la profession de l’auteur qui compte, que l’usage lui-même.
Si cet usage est satyrique (ce qui n’était pas vraiment contesté) et ne contient aucune proposition commerciale, il n’a pas lieu « dans la vie des affaires » et ne saurait dès lors constituer une contrefaçon, même si l’auteur de l’infraction alléguée est un professionnel de la publicité qui utilise à cette fin des moyens affectés à sa profession.
Pour la Cour de cassation, les juges du fond ont pu constater que l’affiche « ainsi diffusée de façon restreinte et pour un temps donné, présente un caractère satirique, ne contient aucune proposition de produit, ne s’inscrit dans aucune activité économique et ne procède d’aucune opération commerciale. »
La Cour précise que la situation particulière de l’auteur, professionnel de la publicité n’y change rien car « l’affiche litigieuse elle-même ne relève pas de la vie des affaires, en ce qu’elle ne s’inscrit en rien dans le domaine économique ni ne vise à l’obtention d’un avantage direct ou indirect de nature économique. »
L’arrêt, qui doit être approuvé, est disponible en annexe.