Cabinet d’avocats franco-belge, moderne et humain,
au service de la création et de l’innovation

9 pôles d’activités dédiés au
droit de la création et de l’innovation

Nos activités scientifiques & académiques

Faisons connaissance !

Un procès en vue ?
Lisez le guide destiné à mieux vous préparer

Le portail du droit des technologies, depuis 1997
Powered by

Un site pour tout savoir sur le RGPD
Powered by

Un boitier multimédia dans votre salon avec du streaming illicite ? L’avocat général n’en veut pas !

Publié le par - 7395 vues

Marre d’aller au cinéma et d’affronter le froid, le vent, et le prix des popcorns ? Le boîtier multimédia X9 « Filmspeler » est fait pour vous ! En effet, pour 189 EUR, ce lecteur vous permet de regarder directement des nouveaux films, des séries et du sport (illégalement mis en ligne, certes) et ce, sans abonnement, ni publicité ; de quoi cocooner tout l’hiver. « Pas si vite ! » nous dit l’avocat Général de la CJUE dans ses conclusions du 8 décembre 2016.

Les antécédents

Cette affaire (C527/15) oppose l’Association anti-piratage néerlandaise Stichting Brein et Mr. Wullems. Ce dernier proposait sur son site (www.filmspeler.nl) un lecteur audiovisuel multimédia (i.e. le fameux boîtier multimédia X9), mieux connu sous le nom « Filmspeler », fonctionnant en « plug and play » (« tu branches et ça fonctionne »).

Mais comment cela fonctionnait-il ? Dans ses boitiers, Mr. Wullems avait installé le logiciel XBMC permettant de lire des fichiers dans une interface utilisateur (au moyen de menus structurés). Il a également installé des modules complémentaires, c’est-à-dire des logiciels indépendants développés par des tiers et disponibles sur Internet, qu’il a intégrés à l’interface utilisateur du logiciel XBMC. Ces modules complémentaires comportent des hyperliens qui renvoient à des sites Internet de diffusion en streaming, exploités par des tiers, qui donnent gratuitement accès à des films, des séries et du sport, avec ou sans l’autorisation des ayants droit. Mr. Wullems n’avait toutefois aucune influence sur les modules complémentaires ni ne les modifiait et l’utilisateur pouvait également les installer lui-même.

Mr. Wullems a également fait de la publicité sur son site au moyen de divers slogans :  « Plus jamais au cinéma grâce à notre logiciel XBMC optimalisé » ; « Netflix appartient ainsi au passé ! ».

Face au refus de Mr. Wullems de cesser de vendre le boitier, Stichting Brein l’a cité devant la juridiction de renvoi afin que celle-ci lui ordonne de cesser de commercialiser les boitiers et de fournir les hyperliens qui donnaient un accès illégal à des œuvres protégées par des droits d’auteur.

Les questions préjudicielles

En vendant le boitier X9, Mr. Wullems effectuait-il une « communication au public » en violation des articles 1er et 12 de l’Auteurswet (loi néerlandaise sur le droit d’auteur) ainsi que des articles 2, 6, 7a et 8 de la Wet op de Naburige Rechten (loi sur les droits voisins), interprétées à la lumière de l’art. 3 de la directive 2001/29 (sur le droit d’auteur) ?

Le Rechtbank Midden-Nederland (tribunal du Midden‑Nederland, Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de Justice (« CJUE ») de 4 questions préjudicielles conçues autour de cette interrogation ?

Il s’agit principalement de savoir si dans les circonstances on peut parler de « communication au public » au sens de l’art. 3.1. de la Directive.

Il est également demandé si la reproduction temporaire en streaming opéré en l’espèce par l’utilisateur final est une utilisation licite au sens de l’art. 5 de cette même Directive et, si non, si elle est incompatible avec le « contrôle en trois étapes » que suppose l’art. 5.5, de la Directive.

La position de l’avocat Général (« AG »)

a) La communication au public

Les deux premières questions posées par le tribunal du Midden-Nederland coïncident, en partie, avec celles qui ont donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2016, GS Media à la différence que la présente affaire porte sur la vente d’un boitier « Filmspeler » contenant des hyperliens, et non sur la fourniture directe d’hyperliens via le contenu d’un site web.

Il est important de noter que l’AG part des prémisses posées par la CJUE, à savoir : a) le fait de fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées doit être qualifié de « mise à disposition » et ce comportement est un « acte de communication » ; b) cette notion vise toute transmission des œuvres protégées, indépendamment du moyen ou du procédé technique utilisé, et c) il existe une présomption simple selon laquelle le placement d’un hyperlien vers une œuvre publiée illégalement (c’est-à-dire sans l’autorisation de ses ayants droit) sur Internet suppose une « communication au public » lorsqu’il est réalisé dans un but lucratif.

L’AG rappelle tout d’abord que « la notion de communication au public de l’œuvre protégée requiert soit qu’elle soit effectuée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés soit, à défaut, qu’elle cible un « public nouveau », c’estàdire un public que les titulaires des droits couvrant les œuvres protégées n’ont pas pris en compte lorsqu’ils ont autorisé leur diffusion initiale (limitée) ».

Soutenu en cela par la Commission, Mr. Wullems estime tout simplement qu’il n’y a pas d’« acte de communication » en l’espèce. Il soutient que les modules complémentaires comprenant des hyperliens ne se trouvent pas dans le boitier « Filmspeler » lorsqu’il est vendu à l’utilisateur final et qu’un hyperlien ne saurait constituer, en soi, un acte de communication au public (§32).

Filmspeler ne serait donc qu’une vente d’un accessoire technique, qui pourrait relever de la notion d’« installations destinées à permettre ou à réaliser une communication », accessoire technique dont « la mise à disposition […] ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive » (cons. 27 de la Directive droit d’auteur). En d’autres termes, filmspeler se contenterait de « faciliter » l’accès du public au site Internant contenant le contenu protégé par le droit d’auteur. Par-là, il ne donne qu’un accès « indirect » aux contenus illicites

Selon l’AG, il n’y aurait pas de différence significative entre l’insertion d’hyperliens vers des œuvres protégées et, comme en l’espèce, leur insertion dans un appareil multimédia conçu pour être utilisé sur internet. La thèse de Mr. Wullems et de la Commission serait dès lors trop réductrice car Mr. Wullems fournit indissociablement le hardware et le software et joue donc un rôle incontournable dans l’accès aux contenus illicites.

L’AG souligne que : « Filmspeler peut être considéré comme étant non pas une simple « installation » au sens du considérant 27 de la directive 2001/29, mais un mode de communication au public d’œuvres protégées par des droits d’auteur « mises » sur Internet de manière illicite auparavant. En équipant ses appareils d’hyperliens renvoyant à ces œuvres dans un but lucratif et en ayant conscience de leur illicéité, M. Wullems aide les acheteurs du filmspeler à éluder le versement de la contrepartie qui peut être exigée pour en jouir légitimement, c’est-à-dire la rémunération due à leurs auteurs, qui prend généralement la forme d’abonnements, de souscriptions ou d’autres formules de paiement à la séance ».

Par conséquent, Filmspeler réalise une « communication au public ». Pour l’AG, le premier des deux critères cumulatifs est donc rempli.

Il reste à savoir si ce public mérite d’être qualifié de « nouveau ». L’AG note que : « Filmspeler comporte indéniablement un avantage pour une fraction non négligeable de ce public, à savoir les internautes qui ne sont pas particulièrement aguerris dans la découverte de sites illicites permettant de visionner des films et des séries télévisées, parmi d’autres contenus numériques. Il est possible que cette fraction du public préfère naviguer aisément dans le menu affiché à l’écran par le filmspeler plutôt que de rechercher, parfois laborieusement, les sites Internet qui offrent ces contenus. Quoi qu’il en soit, la diffusion d’œuvres protégées que M. Wullems favorise atteint un public qui n’a pas été pris en compte par les titulaires des droits d’auteur lorsqu’ils ont refusé d’autoriser leur consultation ou ne l’ont autorisée que dans les circuits payants (…) ».

En somme, la condition de l’existence d’un « public nouveau » est remplie.

Il conclut donc en disant que la vente d’un lecteur audiovisuel (multimédia) dans lequel le vendeur a lui-même installé des hyperliens qui permettent d’accéder directement à des œuvres protégées, telles que des films, des séries et des émissions en direct, disponibles sur d’autres sites Internet sans l’autorisation du titulaire des droits d’auteur constitue donc une « communication au public » au sens de l’article 3.1. de la directive droit d’auteur.

b) L’acte provisoire, transitoire ou accessoire

Concernant les troisième et quatrième questions, Mr. Wullems se contente de rappeler que le streaming est un acte provisoire, transitoire ou accessoire, qui fait partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dès lors bénéfice de l’exception prévue par la directive droit d’auteur.

L’AG conclut que vu l’absence d’autorisation des titulaires des droits d’auteur quant aux œuvres accessibles via les hyperliens, le streaming effectué par l’utilisateur final au moyen de cet du boitier Filmspeler ne constitue  pas avec une « utilisation licite » au sens de l’article 5.1, b), de la directive droit d’auteur. L’AG va encore plus loin : même à supposer que ce comportement pourrait être couvert sur base de l’art. 5.1., le streaming illicite ne réunit pas les condition du triple test de l’art. 5.5. de cette même directive car il ne constitue pas un cas spécial, porte atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de ces titulaires.

Commentaires

L’AG poursuit dans la lignée de l’arrêt GS Media. On notera à nouveau l’importance du critère du « rôle incontournable » joué par Mr. Wullems, à l’instar de l’utilisateur dans GS Media qui a réalisé un acte de communication en intervenant en pleine connaissance des conséquences de son comportement et donnant à ses clients accès à une œuvre protégée.

Ainsi, vendre un appareil qui lui-même comprend des hyperliens dans son logiciel d’exploitation vers des sites web contenant des œuvres protégées, reviendrait à poser un acte de « communication au public »…

On lira avec intérêt l’arrêt de la Cour, qui suit souvent l’AG mais pas toujours. En filigrane de cette affaire, il y a en effet la délicate différence à établir entre la définition de l’acte de communication, et le degré de participation des intervenants audit acte.

Plus d’infos ?

En lisant les conclusions de l’avocat général, disponibles en annexe.

En effectuant une recherche sous la notion de communication au public.

Droit & Technologies

Annexes

Conclusions de l’avocat général

file_download Télécharger l'annexe

Soyez le premier au courant !

Inscrivez-vous à notre lettre d’informations

close

En poursuivant votre navigation sur notre site, vous acceptez l’utilisation de cookies afin de nous permettre d’améliorer votre expérience utilisateur. En savoir plus

OK