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Un lien hypertexte est-il un acte de communication ? Pour l’avocat général, c’est non !

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Si la cour suit son avocat général, c’est un arrêt de principe sur les hyperliens qui sera rendu, et qui fera du bruit : l’avocat général considère qu’un lien HTML vers une photo contrefaisante n’est tout simplement pas un « acte de communication ». Un arrêt dans ce sens amènerait une petite révolution en termes de responsabilité du lien pointant vers contenus problématiques.

Ceux qui ont suivi nos actualités sur le sujet le savent : la cour a rendu en 2014 deux décisions sur la communication au public.

Chaque fois, la question est la même : lorsqu’un contenu contrefaisant (une photo, une vidéo, un texte, un fichier musical, etc.) est présent sur l’Internet, dans quelle mesure peut-on rendre responsable celui qui, bien que n’étant pas à la base de la mise en ligne de cette information, contribue dans les faits à sa diffusion par exemple via un lien hypertexte ?

Derrière cette question, c’est la notion de communication au public qui se pose.

Au terme de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, chaque acte de communication d’une œuvre au public doit être autorisé par le titulaire du droit d’auteur.

Il reste alors à définir la notion de communication au public.

Il ressort de la jurisprudence de la cour que la notion de communication au public associe deux éléments cumulatifs :

•          un « acte de communication » d’une œuvre ;

•          la communication de cette œuvre à un « public » (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a., C‑607/11, non encore publié au Recueil, points 21 et 31).

L’acte de communication doit être entendu de manière large (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C‑403/08 et C‑429/08, Rec. p. I‑9083, point 193), et ce afin de garantir, ainsi qu’il résulte notamment des considérants 4 et 9 de la directive 2001/29, un niveau élevé de protection aux titulaires d’un droit d’auteur.

Il suffit, notamment, qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public de sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité (voir, par analogie, arrêt du 7 décembre 2006, SGAE, C‑306/05, Rec. p. I‑11519, point 43).

Quant à la notion de public, elle vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important (arrêts précités SGAE, points 37 et 38, ainsi que ITV Broadcasting e.a., point 32).

Les précédents

En février 2014 déjà, dans une affaire suédoise, la cour de justice avait estimé qu’un site Internet peut, sans l’autorisation des titulaires des droits d’auteur, renvoyer, via des hyperliens, à des œuvres protégées disponibles en accès libre sur un autre site. Il en va ainsi même si les internautes qui cliquent sur le lien ont l’impression que l’oeuvre leur est montrée depuis le site qui contient le lien.

Dans ce dossier, des articles de presse rédigés par plusieurs journalistes suédois avaient été publiés en accès libre sur le site du Göteborgs – Posten. Retriever Sverige, une autre société suédoise, exploitait un site Internet qui fournit à ses clients des liens Internet cliquables vers des articles publiés sur d’autres sites Internet, dont le site du Göteborgs – Posten. Retriever Sverige n’a cependant pas demandé aux journalistes concernés l’autorisation d’établir des hyperliens vers les articles publiés sur le site du Göteborgs – Posten.

La Cour rappelle que puisqu’on parle de liens hypertextes, cela signifie qu’il  y a déjà eu une communication préalable de l’œuvre au public. Le lien pointe vers l’œuvre mise en ligne par l’auteur. Ce « détail » est en réalité très important car « il ressort d’une jurisprudence constante, [que] pour relever de la notion de ‘communication au public’, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, encore faut-il qu’une communication, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, visant les mêmes œuvres que la communication initiale et ayant été effectuée sur Internet à l’instar de la communication initiale, donc selon le même mode technique, soit adressée à un public nouveau, c’est-à-dire à un public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur, lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public (voir, par analogie, arrêt SGAE, précité, points 40 et 42; ordonnance du 18 mars 2010, Organismos Sillogikis Diacheirisis Dimiourgon Theatrikon kai Optikoakoustikon Ergon, C‑136/09, point 38, ainsi que arrêt ITV Broadcasting e.a., précité, point 39). »

C’est l’exigence du public nouveau.

En octobre 2014, la cour remettait le couvert dans une affaire allemande.

Dans ce deuxième dossier, une société BestWater International qui fabrique et commercialise des systèmes de filtre à eau, fait réaliser pour ses besoins publicitaires un film de deux minutes environ sur le thème de la pollution des eaux, sur lequel elle détient des droits exclusifs d’exploitation. Au moment des faits ayant donné lieu au litige au principal, ce film était consultable sur la plateforme vidéo «YouTube». Cependant, BestWater International affirme que cette mise en ligne a été réalisée sans son consentement.

Deux agents commerciaux indépendants qui agissent pour le compte d’une entreprise concurrente de BestWater International possèdent quant à eux un site Internet sur lequel ils assurent la promotion des produits commercialisés par leur cliente. Au cours de l’été 2010, ils ont permis aux visiteurs de leurs sites Internet de visualiser le film produit par BestWater International au moyen d’un lien Internet utilisant la technique de la « transclusion » (framing). Lorsque les utilisateurs cliquaient sur ce lien, le film, lequel provenait de la plateforme vidéo mentionnée au point précédent, apparaissait en incrustation sur les sites Internet des agents concurrents, donnant l’impression qu’il était montré depuis ceux-ci.

Pour la Cour, il n’y a pas lieu de remettre en cause l’arrêt rendu en février : la circonstance que, lorsque les internautes cliquent sur le lien en cause, l’œuvre protégée apparaît en donnant l’impression qu’elle est montrée depuis le site sur lequel se trouve ce lien, alors qu’elle provient en réalité d’un autre site, n’y change rien.

L’étonnante initiative législative française

Dans le cadre des débats sur la république numérique, nous sommes faits l’écho d’un étonnant amendement dont le but est d’inscrire dans la loi une exception à l’exonération de limitation de responsabilité des intermédiaires (cette double négation revenant à dire que ces intermédiaires sont responsables) « lorsqu’ils donnent accès au public à des œuvres ou à des objets protégés par le code de la propriété intellectuelle, y compris au moyen d’outils automatisés.

Le promoteur de l’amendement ne s’en cache pas : son texte est expressément destiné à contrer la jurisprudence de la cour de justice : « La quatrième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision perturbant un peu plus les relations entre titulaires des droits de la propriété intellectuelle et acteurs du web (CJUE, 13 février 2014, Svensson, aff. C-466/12).

Elle a estimé que la diffusion d’un lien hypertexte renvoyant vers un article de presse en ligne sur le site web d’un journal  ne constituait pas une communication au public, et échappait dès lors à l’exigence d’une autorisation préalable.

Le présent amendement appelle à se démarquer de cette analyse réductrice du droit d’auteur. Il s’appuie sur la Convention internationale de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques et plus particulièrement son article 11bis.

Le second alinéa précise par ailleurs que les utilisateurs non professionnels seront en principe concernés par l’autorisation accordée par le titulaire du droit d’auteur. Ainsi, le mécanisme protégera les internautes. »

Les conclusions de l’avocat général dans l’affaire Sanoma

C’est dans ce contexte que l’avocat général vient de rendre son avis dans l’affaire Sanoma.

Sanoma, l’éditeur de la revue mensuelle Playboy, a commandé un reportage photographique sur Mme Britt Dekker, qui apparaît régulièrement dans des programmes télévisés aux Pays-Bas. GS Media, qui exploite le site Internet GeenStijl, a publié des annonces et un hyperlien renvoyant les lecteurs vers un site australien où les photos en question étaient mises à disposition sans le consentement de Sanoma. Malgré les sommations de Sanoma, GS Media a refusé de supprimer l’hyperlien en question. Quand le site australien a supprimé les photos sur demande de Sanoma, GeenStijl a publié une nouvelle annonce qui contenait elle aussi un hyperlien vers un autre site, sur lequel on pouvait voir les photos en question. Ce dernier site a aussi accédé à la demande de Sanoma de supprimer les photos. Les internautes visitant le forum de GeenStijl ont ensuite placé de nouveaux liens renvoyant à d’autres sites où les photos pouvaient être consultées.

Selon Sanoma, GS Media a porté atteinte au droit d’auteur. Saisi en cassation, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour de cassation, Pays-Bas) interroge la Cour de justice à ce sujet. Il relève notamment que les photos n’étaient pas introuvables avant que GS Media ne place l’hyperlien, mais que, en même temps, elles n’étaient pas faciles à trouver de sorte que le placement de l’hyperlien avait un caractère éminemment simplificateur.

Dans ses conclusions, l’avocat général Melchior Wathelet précise tout d’abord que la demande de décision préjudicielle ne vise que les hyperliens sur le site GeenStijl. Les violations du droit d’auteur par la mise à disposition des photos sur d’autres sites Internet ne sont pas en cause.

L’avocat général reconnaît que les hyperliens placés sur un site Internet facilitent largement la découverte d’autres sites et des œuvres protégées disponibles sur ces sites et offrent par conséquent aux utilisateurs du premier site un accès plus rapide et direct à ces œuvres. Cependant, les hyperliens qui conduisent, même directement, vers des œuvres protégées ne les « mettent pas à la disposition » d’un public lorsqu’elles sont déjà librement accessibles sur un autre site et ne servent qu’à faciliter leur découverte. L’acte qui réalise la véritable « mise à disposition » est le fait de la personne qui a effectué la communication initiale.

Par conséquent, les hyperliens qui sont placés sur un site Internet et qui renvoient vers des œuvres protégées librement accessibles sur un autre site ne peuvent pas être qualifiés d’« acte de communication » au sens de la directive. En effet, l’intervention de l’exploitant du site qui place l’hyperlien, en l’espèce GS Media, n’est pas indispensable pour la mise à disposition des photos en question aux internautes, y compris ceux qui visitent le site GeenStijl.

Dans ce contexte, les motivations de GS Media et le fait qu’elle savait ou devait savoir que la communication initiale des photos sur ces autres sites n’avait pas été autorisée par Sanoma ou que ces photos n’avaient pas non plus été mises auparavant à la disposition du public avec l’accord de cette dernière n’est pas pertinent.

L’avocat général précise toutefois que ces conclusions s’appuient sur la prémisse selon laquelle les photos étaient « librement accessibles » sur les sites des tiers à l’ensemble des internautes. La question factuelle de savoir si l’intervention de GS Media était indispensable pour mettre les photos à la disposition des visiteurs du site GeenStijl est du ressort du Hoge Raad.

Pour l’avocat général, toute autre interprétation de la notion de « communication au public » entraverait considérablement le fonctionnement d’Internet et porterait atteinte à l’un des objectifs principaux de la directive, à savoir le développement de la société de l’information en Europe.

En effet, bien que les circonstances en cause soient particulièrement flagrantes, l’avocat général considère que, en règle générale, les internautes ne savent pas et ne disposent pas des moyens pour vérifier si la communication au public initiale d’une œuvre protégée librement accessible sur Internet a été faite avec ou sans le consentement du titulaire du droit d’auteur. Si les internautes sont exposés à des risques de recours pour violation des droits d’auteur chaque fois qu’ils placent un hyperlien vers des œuvres librement accessibles sur un autre site Internet, ils seraient beaucoup plus réticents à les y placer, et ce, au détriment du bon fonctionnement et de l’architecture même d’Internet ainsi que du développement de la société de l’information.

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