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Lier, partager, liker, (re)tweeter … quelles différences juridiquement ?

Publié le par - 3529 vues

La CEDH estime que sanctionner le responsable d’un site internet au seul motif qu’il a affiché un hyperlien vers une interview en ligne, dont le contenu s’avère diffamatoire, viole le droit à la liberté d’expression. Lier, tweeter, retweeter, partager, liker … quelles sont les conséquences juridiques de chacun de ces comportements ? Petit tour d’horizon.

Faits à l’origine du litige

La requérant, un site web hongrois d’information populaire, publie en 2013 un article concernant un incident au cours duquel un groupe de supporters de football profère des propos racistes à l’encontre d’élèves Roms. Cet article comportait un hyperlien vers une interview, diffusée sur YouTube, d’un notable de la communauté Rom, affirmant que les supporters étaient des membres du parti politique Jobbik.

Le parti politique en question introduit une action en diffamation contre plusieurs défendeurs, parmi lesquels figurait le notable de la communauté Rom, le média auteur de l’interview et le requérant.

Le tribunal hongrois jugea :

  • D’une part, que les propos tenus par le notable étaient bien diffamatoires parce qu’il était faussement affirmé que Jobbik était impliqué dans l’incident ;
  • D’autre part, que le requérant et d’autres médias avaient engagé leur « responsabilité objective » en diffusant des propos diffamatoires, et qu’il était indifférent qu’ils l’aient fait de bonne foi ou non. Le média fut condamné à publier des extraits du jugement et à retirer l’hyperlien litigieux.

Après s’être vu débouter devant la Cour d’appel, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle hongroises, le requérant saisit, en 2016, la Cour européenne des droits de l’homme.

La nécessité d’un examen au cas par cas

La Cour souligne l’importance des hyperliens pour le bon fonctionnement d’Internet.

En matière de diffusion, les hyperliens se distinguent des modes traditionnels en ce qu’ils n’affichent pas ni ne communiquent de contenu, mais dirigent les internautes vers des contenus disponibles ailleurs ou en signalent l’existence. En effet, le contenu vers lequel renvoie l’hyperlien a déjà été rendu accessible par le diffuseur initial, offrant au public un accès libre.

Au vu de ces éléments, la Cour condamne le raisonnement des tribunaux hongrois assimilant l’affichage d’un hyperlien à la diffusion d’informations diffamatoires.

Pour la Cour, la question des responsabilités dans le cadre du droit à la liberté d’expression requiert un examen individuel à l’aune de plusieurs éléments :

  • Le journaliste a-t-il approuvé le contenu litigieux ?
  • En a-t-il repris le contenu, sans l’avoir approuvé ?
  • S’est-il contenté de créer un hyperlien vers le contenu, sans l’avoir approuvé ni repris ?
  • Savait-il ou était-il raisonnablement censé savoir que le contenu était diffamatoire ou illégal pour d’autres raisons ?
  • A-t-il agi de bonne foi, en respectant la déontologie journalistique et en faisant preuve de la diligence voulue comme tout journaliste responsable ?

Dans le cas d’espèce, l’article publié par le requérant se contentait d’indiquer qu’une interview avec le notable était disponible sur YouTube et affichait un lien vers celle-ci, sans faire de commentaire, sans reprendre le contenu et sans mentionner le parti politique. Nulle part il ne disait si les propos tenus par le notable étaient véridiques ou non, ni ne les approuvait.

En conséquence, la Cour estime qu’il ne pouvait apparaître à l’évidence aux yeux du journaliste (auteur de l’hyperlien) que le lien renverrait à des propos diffamatoires – à ce stade, aucun jugement n’avait été rendu à ce sujet et il n’était pas possible de voir d’emblée que les propos étaient manifestement illégaux.

De plus, les politiciens et les partis politiques doivent accepter de plus larges limites à la critique acceptable.

La Cour rejette l’application d’un mécanisme de responsabilité objective, par lequel l’affichage de l’hyperlien est assimilé à la diffusion d’informations: le droit à la liberté d’expression (article 10 de la Convention) impose une appréciation minutieuse des droits des parties à la cause.

Pour la Cour, une telle responsabilité objective peut avoir des conséquences négatives sur la circulation des informations en ligne en ce qu’elles incitent les auteurs et éditeurs à ne pas afficher d’hyperliens vers des matériaux sur le contenu desquels ils ne peuvent exercer le moindre contrôle, avec pour résultat, direct ou indirect, un effet dissuasif sur la liberté d’expression en ligne.

Les liens HTML …

Cet arrêt vient compléter l’arsenal jurisprudentiel en matière d’hyperliens.

Au niveau de l’Union européenne, la jurisprudence de la CJUE se cantonne à ce stade à des questions de droit d’auteur : publier un hyperlien équivaut-il à un acte de communication au public?  (voy. nos précédentes actus).

Cet arrêt relatif à la responsabilité encourue pour la publication de liens vers du contenu (potentiellement) diffamatoire était donc le bienvenu (d’autant qu’il est rendu par la Cour européenne des droits de l’homme).

Conformément au processus décisionnel de la Cour, de nombreux groupes, dont des groupes de presse, ont pu faire valoir leur point de vue.

L’enseignement de la Cour doit être salué et est d’autant plus important que la question touche un intérêt d’ordre public et général, le droit à la liberté d’expression et le droit de la presse.

Comme la CJUE, la Cour souligne l’importance des hyperliens sur Internet.

Publier un lien vers un contenu ne revient donc pas, en soi, à publier le contenu soi-même.

Imposer d’office, et sans examen concret, un régime de responsabilité objective pour la publication d’hyperliens qui se révèleraient ultérieurement diffamatoires ferait peser une charge impossible sur les épaules de la presse, menant inévitablement à de la censure préventive, avec toutes les dérives que cela implique pour les sociétés démocratiques.

Attention, il ne s’agit pas pour autant d’un blanc-seing, toute responsabilité du poseur de liens n’est pas exclue, comme en matière de droit d’auteur d’ailleurs.

Un examen subtil des intérêts en présence est réalisé.  En toute logique, et en application de sa déontologie, le journaliste s’abstiendra ainsi notamment de prendre à son compte une information manifestement diffamatoire.

Les partages, retweet, et Like …

 La problématique est proche : peut-on être responsable pour la republication, sur les réseaux sociaux d’une information illicite, telle une information diffamatoire, attentatoire à la vie privée ou constitutive d’incitation à la haine?

Quid du « Like » ?

Si le message apparait dans un tel cas comme initialement posté par l’émetteur d’origine, partager ou liker, c’est s’exprimer. Or comme toute liberté, cette  liberté est soumise à certaines limites, consistant notamment  en la protection des droits des tiers.

La difficulté est ici double :

  1. On peut relayer une information pour la reprendre à son compte, mais aussi pour la dénoncer – même si une telle dénonciation aura pour effet d’augmenter son impact médiatique.

A cet égard, un « Like » sera parfois moins équivoque qu’un partage.

Sur ce point, les critères mis en exergue par la CEDH pour déterminer si le « partageur » ou « Likeur » approuve l’information publiée/a conscience de son éventuel caractère illicite, sont transposables ici.

Dans un arrêt de 2017, la Cour d’appel de Liège a considéré que le « like » sur un mur Facebook n’équivaut pas strictement à une publication sur ce mur Facebook mais revient, pour son auteur, à apparaître comme adhérant aux idées véhiculées par la publication « likée », ou à tout le moins comme étant intéressé par ces idées. En réalité, tout dépend du contexte.

On soulignera que liker un contenu peut aussi être constitutif d’une faute … professionnelle. Dans l’arrêt précité, la Cour ainsi validé le licenciement d’un travailleur ayant ( à plusieurs reprises et suite à un engagement de non-récidive) liké  des publications antisémites au motif que lesdits « likes » pouvaient porter atteinte à l’image de l’entreprise et de sa hiérarchie. A nouveau, tout est affaire de contexte (voir notre analyse de cet arrêt pour plus d’infos).

En France, on soulignera que le ministère de la Justice a souligné que la loi sur la liberté de la presse réprimant l’injure et la diffamation publique, s’applique aussi à la publication par voie de reproduction ou de rediffusion et est donc punissable au même titre que la publication ou la diffusion directe, lorsque cette publication est effectivement «  publique »

  1. Une violation du droit des tiers requiert, parfois, que l’information soit publiée… publiquement.

A la différence d’un site web, le compte d’une personne sur un réseau social n’est pas toujours accessible à tous. Selon le réseau concerné, avoir des « amis » « connections », « followers » ou abonnés nécessite, ou non, une démarche. Le type de réseau social est aussi de nature à influencer le caractère privé ou public des  publications selon que le site vise davantage le réseau professionnel ou privé. Plus encore, le paramétrage du compte et/ou des publications et de leur accessibilité, mais aussi le nombre plus ou moins restreint d’amis/’abonnés, a aussi une incidence sur la publicité donnée à une publication.

A nouveau on le constate : il faudra procéder à une analyse au cas par cas.

Comme confirmé par la Cour de cassation française en 2017, les juges exercent un pouvoir souverain d’appréciation en la matière. On notera que pour cette dernière, le terme d’ »ami » employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme (voy. précedente actu)

En savoir plus

L’arrêt commenté en disponible en annexe.

En lisant nos actus sur les hyperliens et le droit d’auteur et la notion d’ami sur Facebook :

En lisant la position du Ministère de la Justice français.

Droit & Technologies

Annexes

CASE OF MAGYAR JETI ZRT v. HUNGARY

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