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Skype mise à l’amende et sommée de se déclarer en tant qu’opérateur de communications électroniques.

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La guerre qui oppose Skype et les autorités de régulation vient de connaître un développement majeur : l’IBPT (autorité belge de régulation) a imposé une amende de 238.000 euros à la société, à qui il est reproché de ne pas s’être déclarée en tant qu’opérateur. Le même débat a lieu en France et dans plusieurs pays européens. Au moins une enquête pénale est en cours en Belgique. Derrière le dossier Skype, c’est tout le statut juridique de la voix sur IP (VoIP) qui est en jeu avec une question centrale : quel cadre juridique imposer aux opérateurs OTT ?

 

De quoi parle-t-on ?

Plusieurs pays européens imposent une déclaration préalable aux opérateurs de communications électroniques : ils doivent se faire connaître avant de démarrer leurs activités. Cela permet à l’autorité de les connaître, et ensuite vérifier qu’ils respectent le cadre juridique.

La Belgique fait partie de ces pays qui imposent pareille déclaration préalable, comme prévu à l’article 9, § 1er, de la LCE (loi sur les communications électroniques) : « Art. 9. § 1er. La fourniture ou revente en nom propre et pour son propre compte de services ou de réseaux de communications électroniques ne peut débuter, sans préjudice des dispositions de l’article 39, qu’après une notification à l’Institut contenant les éléments suivants: (…) »

Qui est visé ?

La réponse est fournie à l’article 2 de la loi, qui contient deux définitions :

« 3° « réseau de communications électroniques »: les systèmes de transmission et, le cas échéant, les équipements de commutation ou de routage et les autres ressources, y compris les éléments de réseau qui ne sont pas actifs, qui permettent l’acheminement de signaux par câble, par voie hertzienne, par moyen optique ou par d’autres moyens électromagnétiques comprenant les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres fixes (avec commutation de circuits ou de paquets, y compris l’Internet) et mobiles, les systèmes utilisant le réseau électrique, dans la mesure où ils sont utilisés pour la transmission de signaux autres que ceux de radiodiffusion et de télévision; »

« 5° « service de communications électroniques »: le service fourni normalement contre rémunération qui consiste entièrement ou principalement en la transmission, en ce compris les opérations de commutation et de routage, de signaux sur des réseaux de communications électroniques, à l’exception (a) des services consistant à fournir un contenu (à l’aide de réseaux et de services de communications électroniques) ou à exercer une responsabilité éditoriale sur ce contenu, à l’exception (b) des services de la société de l’information tels que définis à l’article 2 de loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information qui ne consistent pas entièrement ou principalement en la transmission de signaux sur des réseaux de communications électroniques et à l’exception (c) des services de la radiodiffusion y compris la télévision; »

On rappellera qu’une logique similaire se retrouve dans tous les pays européens puisque le cadre juridique provient d’une directive.

Par exemple, en France, On entend par « réseau de communications électroniques toute installation ou tout ensemble d’installations de transport ou de diffusion ainsi que, le cas échéant, les autres moyens assurant l’acheminement de communications électroniques, notamment ceux de commutation et de routage » (Article L32 2° du CPCE), tandis que sont des « services de communications électroniques les prestations consistant entièrement ou principalement en la fourniture de communications électroniques. Ne sont pas visés les services consistant à éditer ou à distribuer des services de communication au public par voie électronique » (Article L32 6° du CPCE).

Les OTT visés ?

Depuis qu’elles ont été adoptées, ces définitions posent question par rapport à un certain nombre d’opérateurs qui, bien qu’étant actifs dans le secteur de la communication dans le sens où ils permettent à des personnes de communiquer via les réseaux, ne sont pas nécessairement de façon claire des opérateurs de réseaux de communications électroniques.

« Il s’agit par exemple d’entreprises fournissant un service de messagerie instantanée ou un moteur de recherche. Certaines sont appelées entreprises de services OTT (Over the Top).

Cette notion qualifie les prestataires utilisant des réseaux et infrastructures déployés et maintenus par d’autres. Ils proposent des services d’une grande diversité : moteurs de recherche et d’indexation, messageries, réseaux sociaux, informatique en nuage (« cloud »), commerce en ligne, vidéo à la demande. Le flux vidéo représente la plus grande partie de la bande passante consommée par tous ces services. Ces entreprises bien connues (Google, Facebook, Amazon, Apple etc…), si elles ne contribuent pas au financement des réseaux, proposent en revanche des services déterminants pour l’appétence de l’internaute à souscrire un abonnement chez un fournisseur d’accès à l’internet (FAI). Sans cette offre, l’attrait pour l’internet serait sans doute compromis. C’est pourquoi la question de la contribution des fournisseurs de services OTT aux efforts des FAI, qui fait actuellement débat, ne peut être tranchée facilement. » (http://www.ant.developpement-durable.gouv.fr/le-point-sur-les-operateurs-de-communications-a569.html)

Le cas de Skype

Le cas de Skype est emblématique.

Emblématique parce qu’il touche un géant (on rappelle que Skype a été rachetée par Microsoft pour 6 milliards d’euros en 2011).

Emblématique aussi parce que Skype, c’est non seulement la possibilité de communiquer de compte à compte gratuitement, mais c’est aussi la possibilité de souscrire un abonnement Skype Out qui permet d’appeler des lignes fixes et mobiles.

Ce n’est donc pas pour rien que les autorités de régulation des pays européens se sont focalisées très rapidement sur la situation de cette société, avec une question basique : Skype Out est-il un service de communications électroniques, et dans l’affirmative Skype qui l’opère doit-il être soumis au cadre juridique des opérateurs de réseaux de communications électroniques ?

C’est pour la même raison qu’un certain nombre de concurrents, qui ne proposent pas tous un système équivalent à Skype Out, insistent sur le fait qu’il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier.

L’enjeu

Derrière le dossier Skype, c’est tout le statut juridique de la voix sur Internet qui est en jeu avec une question centrale : quel cadre juridique imposer aux opérateurs OTT (over the top) ? Le cadre des prestataires de services de l’information, ou celui des opérateurs de réseaux de communications électroniques.

Entrer dans le cadre des opérateurs de communications électroniques engendre plusieurs conséquences, notamment :

·         L’obligation de déclaration dans les pays qui prévoient pareille obligation (France et Belgique notamment) ;

·         Se soumettre à toutes sortes d’obligations diverses (exemples : la mise en place de possibilités d’écoute à la demande de la justice ; assurer les numéros courts d’urgence (le 100, 101, 112, etc.) ; etc.).

À l’inverse, bénéficier du cadre juridique des services de la société de l’information est bien plus avantageux, à tout le moins sur le plan réglementaire.

Comme l’écrivait l’ARCEP : « Le fait d’exercer une activité d’opérateur de communications électroniques, en particulier le fait de fournir un service téléphonique au public, implique également le respect de certaines obligations, parmi lesquelles figurent notamment l’acheminement des appels d’urgence et la mise en œuvre des moyens nécessaires à la réalisation des interceptions judiciaires. »

Deux visions qui s’affrontent

Juridiquement, ce sont deux interprétations du cadre juridique qui s’affrontent.

Pour Skype, la définition qui figure dans la directive – et qui est du reste un peu différente de la définition belge (cette dernière ayant ajouté la revente) – suppose que le fournisseur exploite une infrastructure physique. Par ailleurs, Skype plaide qu’il faut, pour être un opérateur soumis à la loi, avoir une responsabilité dans le bon acheminement du signal. Or, elle n’a pas cette responsabilité puisqu’elle se limite à mettre en contact deux points en s’appuyant sur les réseaux et connexions fournis par d’autres (essentiellement le fournisseur d’accès de celui qui initie l’appel, et l’opérateur téléphonique de celui qui reçoit l’appel en Skype Out). Il est vrai que le doute est permis dans la mesure où certains arrêts de la cour de justice et des travaux de la Commission européenne contiennent des précisions et utilisent des termes qui ne sont pas clairs.

Les visions qui s’affrontent ne sont pas que juridiques : elles sont aussi (surtout) stratégiques.

Sur le plan politique, l’Europe n’a pas encore tranché clairement sur la volonté de soumettre les OTT au cadre juridique des opérateurs classiques. De là à penser que l’imprécision des définitions est voulue pour se donner le temps de la réflexion, il y a un pas que certains ont franchi depuis longtemps.

Il y a des arguments dans les deux sens. En synthèse :

  • Les opérateurs classiques dénoncent ce qu’ils qualifient de concurrence déloyale, ce à quoi les OTT rétorquent que les premiers ont exploité pendant des dizaines d’années un monopole qui justifie une différence de traitement.
  • Les OTT insistent sur le fait qu’il représentent l’avenir. L’économie numérique va dans leur sens et les soumettre à un cadre réglementaire trop strict, c’est pénaliser l’innovation. Ce à quoi les opérateurs classiques rétorquent qu’il n’est pas grave de freiner une innovation qui profite à des acteurs étrangers, là où eux emploient des dizaines de milliers de personnes sur le territoire européen où ils payent leurs impôts.
  • Si l’on ajoute à cela que les opérateurs classiques sont souvent d’anciens monopoles nationaux, et que l’État est parfois encore actionnaire et donc intéressé au débat, on imagine le sac de nœuds…

La décision belge

Lassée d’attendre, l’autorité belge a donc tranché. Elle considère que Skype, à tout le moins en ce qui concerne Skype Out, est soumise à la loi. Dès l’instant où la société fournit un service sans avoir effectué sa déclaration préalable elle est, selon l’autorité, en infraction sur la première des obligations prévues par la loi. D’où l’amende.

Tout le monde aura bien compris que l’amende n’est que la première étape. L’amende n’est pas le problème. Le problème, c’est que l’étape suivante est une mise en demeure d’arrêter d’offrir le service sans respecter le cadre légal, à commencer par la déclaration préalable. Si l’organisme de régulation va jusque là, Skype commencera à avoir un vrai problème.

Skype a déjà annoncé son intention de contester cette décision.

Il est fort probable que cette intéressante discussion se terminera à Luxembourg. On imagine en effet mal que chaque pays européen interprète différemment une définition européenne par rapport à un opérateur offrant une couverture paneuropéenne. L’autre issue serait une clarification politique sous la forme d’une modification de la directive, mais il paraît que les autorités européennes ont d’autres chats à fouetter pour l’instant.

Plus d’infos ?

En lisant la version non confidentielle de la décision de l’autorité belge, jointe en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

Décision (non-confidentielle) de l’IBPT

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