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Pharmacie en ligne : l’Autorité de la concurrence flingue le projet du gouvernement

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C’est un avis particulièrement sévère que l’autorité de la concurrence a rendu au sujet des arrêtés concernant le commerce électronique de médicaments. À force de s’opposer au commerce électronique, la France risque de détruire son réseau d’officines. La vie de pharmacien n’est déjà pas simple, elle risque de l’être encore plus dans le futur si l’on continue comme cela.

Rétroactes

Depuis l’adoption, le 19 décembre 2012, de l’Ordonnance n°2012-1427 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments, la France a ouvert aux pharmaciens la possibilité de vendre en ligne des médicaments sur le territoire français.

Il faut dire que le pays n’avait pas vraiment le choix : la matière a été en partie harmonisée par le code communautaire du médicament à usage humain, qui oblige les Etats à permettre la vente en ligne des médicaments non soumis à prescription.

Depuis 2012, les pharmaciens français attendent que soient publiés les bonnes pratiques censées compléter l’ordonnance. A défaut, les pharmaciens ne disposent d’aucune sécurité juridique quant à la marge de manœuvre qui est la leur pour vendre en ligne des médicaments, et ne savent pas à quelles conditions précises ils peuvent développer une telle activité de commerce électronique, en toute légalité.

Un premier projet a été mis sur la table en 2013. Le texte était particulièrement frileux à l’égard du commerce électronique, imposant des conditions qui font, en pratique, qu’il est quasi impossible pour une officine indépendante de créer et exploiter un site qui soit un minimum rentable.

Malgré les critiques, l’arrêté a été adopté le 20 juin 2013 et est entré en vigueur le 12 juillet suivant.

Le 16 mars 2015, le conseil d’État constatait l’illégalité de l’arrêté: « L’arrêté du 20 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique est annulé. » En cause, l’absence de notification du projet à la Commission européenne.

C’est dans ce contexte que le gouvernement transmet deux projets d’arrêtés :

  • Le premier, relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique, est pris en application de l’article L. 5121-5 du code de la santé publique ;
  • Le second concerne les règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments et est pris en application de l’article L. 5125-39, modifié par l’article 145 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016.

La France en retard

L’autorité de la concurrence fait le compte :

Le Royaume-Uni et les Pays-Bas autorisent la vente en ligne de tous les médicaments, qu’ils soient ou non soumis à prescription, et permettent la création de « pure players » (des opérateurs qui ne sont actifs que sur Internet et n’ont donc pas d’officine physique).

L’Allemagne, la Finlande, la Suède et le Danemark permettent la vente en ligne de tous les médicaments, mais imposent la détention d’une officine physique.

La Grèce interdit la vente en ligne des médicaments soumis à prescription, mais autorise les « pure players ».

Enfin, la Belgique, le Portugal, la Bulgarie, la Slovaquie, la Hongrie, la Lettonie, l’Irlande, la Slovénie, la Pologne, la République Tchèque et la Lituanie limitent la vente en ligne aux médicaments non soumis à prescription et imposent la détention d’une pharmacie physique.

Au Royaume-Uni, où la vente de médicaments sur internet est autorisée depuis 1999, les pharmacies en ligne connaissent un succès croissant. Selon une note sectorielle de la Chambre de commerce française de Grande-Bretagne, en 2012, 13 % de la population achetait des médicaments en ligne.

En Allemagne, la vente en ligne de médicaments est en fort développement. Cette activité de vente en ligne est autorisée depuis le 1er janvier 2004. En février 2013, l’Allemagne comptait 20.900 officines dont 3.010 officines ayant demandé et obtenu l’autorisation de la vente en ligne, soit un taux de 14 %. En 2014, le chiffre d’affaires réalisé par les officines en ligne était de 1,5 milliard d’euros, soit moins de 3 % du chiffre d’affaires total de l’ensemble du réseau officinal allemand, qui était de 50,5 milliards d’euros pour la même année. Toutefois, la croissance était de 7 % pour les médicaments sans prescription vendus par des pharmacies par correspondance entre 2013 et 2014, alors que cette croissance n’a été que de 1,6 % pour les officines au comptoir sur la même période. En outre, selon une source IMS, citée par la revue « Pharmanalyses », les ventes sur internet de médicaments « OTC », c’est-à-dire en vente libre, représentaient en 2012 11 à 12 % du total général du marché des médicaments OTC.

En Belgique, la vente en ligne de médicaments non soumis à prescription médicale est autorisée depuis le 9 février 2009. Début 2015, la Belgique dénombrait 4.950 pharmacies, dont 141 ont développé un site internet, soit 2,85 % des pharmacies.

Par comparaison, selon les données relatives à la démographie des pharmaciens disponibles sur le site de l’Ordre national des pharmaciens, il existait, au 1er janvier 2015, 21.772 officines libérales en métropole et 629 en départements d’Outre-mer, soit 22.401 officines en France. Sur l’ensemble de ces officines, seules 301 avaient développé un site internet de vente en ligne de médicaments. Cela représente donc 1,34 % des officines, soit dix fois moins qu’en Allemagne.

Que cherche le gouvernement ?

Être le plus libéral possible n’est évidemment pas un objectif en soi. On parle de médicaments et de santé publique, il faut donc agir avec prudence.

Mais il faut se rappeler que la matière ayant été harmonisée au niveau européen, le public français trouve sur Internet les médicaments qu’il est habitué à acheter en officine sans prescription. Les acheter en ligne sur un site belge, allemand ou anglais, est donc : (1) d’ores et déjà possible, (2) une réalité confirmée par les opérateurs étrangers qui s’en frottent les mains, et (3) parfaitement légal.

En d’autres termes, freiner artificiellement la vente en ligne en France ne va aucunement empêcher le public français d’acheter légalement des médicaments non soumis à prescription vendus légalement par des opérateurs étrangers. Cela va seulement faire en sorte que ce « marché » profitera à des opérateurs étrangers. Chaque année qui passe sera plus difficile à rattraper. Les pharmaciens français souffrent déjà ; le plus dur risque d’être à venir.

L’Autorité relève que « Certains sites internet établis hors de France ont d’ores et déjà mis en place une activité de vente en ligne de médicaments à destination des résidents français. C’est le cas notamment de sites belges, suisses, néerlandais, anglais et allemands, qui proposent, en langue française, un éventail varié de médicaments et de produits de parapharmacie, présentent des offres promotionnelles, pratiquent la livraison des produits en dehors du domicile, ainsi que des frais de livraison réduits, voire la gratuité de la livraison au-delà d’un certain montant d’achat. »

Et tout ceci le plus légalement du monde !

Ces sites étrangers ne sont en effet pas soumis aux contraintes françaises. L’autorité le confirme expressément : « En conséquence, ce dispositif poussera les consommateurs à délaisser les sites français sécurisés pour privilégier des sites étrangers francophones plus attractifs car plus faciles d’utilisation et plus rapides dans le traitement de leur commande, qui ne sont soumis ni aux règles déontologiques des pharmaciens français, ni au contrôle des agences régionales de santé, ni aux « bonnes pratiques ». Les projets d’arrêtés conduiront donc à limiter l’attractivité et la compétitivité de l’offre française face à celles de sites étrangers qui gagneront en parts de marché et en emplois marchands au détriment des sites français mais aussi des officines françaises. »

Enfin, on fera observer que si l’objectif est de garantir la qualité des médicaments vendus sur Internet, le gouvernement risque de passer à côté de l’objectif s’il persiste dans cette approche ultra restrictive.

En effet, la libéralisation de la vente en ligne de médicaments non soumis à prescription répond à un objectif à long terme très clair : assécher l’offre de contrefaçon sur Internet en développant le commerce légal.

C’est exactement la même idée que celle qui a prévalu à l’époque en matière de musique. Il faut que le consommateur trouve sur Internet une offre légale, de qualité, à prix raisonnable, et c’est à ces conditions qu’il se détournera de la contrefaçon.

L’autorité de la concurrence ne dit pas autre chose : « Enfin, les patients français risquent de surcroît de recourir à des sites non autorisés, beaucoup plus souples dans leur utilisation. Ces sites pourraient notamment commercialiser des contrefaçons de médicaments.

Ainsi, de façon paradoxale, ces projets d’arrêtés auront pour effet de menacer directement le réseau embryonnaire des cyber-pharmacies françaises et d’inciter les patients qui souhaiteront procéder à des achats de médicaments sur internet à se tourner vers des sites ne présentant aucune des garanties que ces textes prétendent défendre. »

Ce discours a beau être répété d’année en année, il ne semble pas percoler au niveau du ministère de la santé.

L’autorité de la concurrence très critique

L’autorité de la concurrence n’y va pas par quatre chemins et flingue les projets qui lui sont soumis :

« Il résulte des éléments précédemment exposés que les projets d’arrêtés soumis pour avis à l’Autorité reprennent des dispositions dont le caractère restrictif avait déjà été souligné par l’Autorité dans le cadre de précédents avis. En outre, de nouvelles dispositions créent des contraintes additionnelles qui apparaissent disproportionnées par rapport à l’objectif de protection de la santé publique. Enfin, le cadre instauré par ces « bonnes pratiques » instaure un régime discriminatoire en imposant de nouvelles conditions contraignantes à la vente en ligne qui ne sont pas exigées pour la vente au comptoir.

Les « bonnes pratiques » proposées ont pour effet de retirer tout intérêt à la commercialisation de médicaments par internet, tant pour le patient que pour les pharmaciens et apparaissent dissuasives. Ce dispositif semble vouloir priver de portée la liberté déjà limitée que l’ordonnance précitée du 19 décembre 2012 avait accordée aux pharmaciens français et alourdir davantage le régime issu du précédent arrêté du 20 juin 2013. Le constat selon lequel le développement de la vente en ligne de médicaments a été extrêmement limité depuis la parution du précédent arrêté, du fait du caractère excessivement contraignant du système actuel, serait donc aggravé par ce nouveau cadre.

Le régime excessivement lourd et contraignant qu’instaurent les « bonnes pratiques » limite donc fortement, voire interdit, la possibilité pour les titulaires français d’officine de développer leur activité de vente en ligne et de concurrencer efficacement les sites situés dans d’autres États membres de l’Union européenne, menaçant ainsi la compétitivité des sites localisés sur le territoire français.

Par conséquent, l’Autorité émet un avis défavorable sur les projets d’arrêtés qui lui sont soumis. »

Droit & Technologies

Annexes

Avis de l’Autorité de la concurrence

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