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Non, les juges français ne sont pas toujours territorialement compétents. La Cour d’appel le rappelle.

Publié le par - 917 vues

La Cour d’Appel souligne que « sauf à vouloir conférer systématiquement, dès lors que les faits ou actes incriminés ont pour support technique le réseau internet, une compétence territoriale aux juridictions françaises, il convient de rechercher et de caractériser, dans chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits ou actes et le dommage allégué ».

Il y a des décisions que l’on ne se lasse pas de lire et de relire, tant elles semblent coulées dans le béton de l’application raisonnée et de bon sens des principes de droit. Cet arrêt en fait partie.

Les faits de la cause

La société AXA assigne GOOGLE Inc. et la société GOOGLE France pour les motifs suivants.

Au cours de l’année 2003, AXA et d’autres sociétés du groupe ont remarqué qu’en interrogeant le moteur de recherche Google sur des termes comme AXA ou DIRECT ASSURANCE, on voit apparaitre des annonces publicitaires de sociétés qui n’ont aucun lien avec elles. Une nouvelle application du célèbre système AdWords de Google.

Elles assignent alors les sociétés GOOGLE Inc. Et GOOGLE France. Il s’agit d’une action en contrefaçon, en atteinte à la renommée de leur marque, en concurrence déloyale et parasitaire et en publicité trompeuse.

La compétence des juges français

Se pose alors la question de savoir si oui ou non les juridictions françaises sont compétentes.

Pour le premier juge, la réponse est positive.

Le tribunal s’était inscrit dans une interprétation extensive des règles française et internationale de compétence, considérant en très résumé que la simple accessibilité d’un site permet de fonder la compétence territoriale des juridictions françaises dès l’instant où on revendique un dommage survenu sur le sol français, ce dommage fût-il seulement théorique et purement moral.

Cette interprétation très extensive des règles de compétence n’est pas neuve. C’est un phénomène relativement franco-français (les autres pays européens sont, la plupart du temps, nettement plus regardants) abondamment commenté et souvent critiqué, qui a parfois mené à une compétence quasi universelle ou ubiquitaire des juges français.

A la demande des sociétés Google, le litige est soumis à la Cour d’appel de Paris qui a une lecture toute différente.

Les magistrats d’appel relèvent tout d’abord que les liens AdWords litigieux ne sont pas apparus sur le site www.google.fr destiné au public français, mais sur les sites www.google.de, www.google.co.uk, et www.google.ca destinés au public britannique, allemand et canadien de langue anglaise.

Cette précision n’est pas innocente : les magistrats considèrent en effet que le code pays marque le rattachement du site concerné avec le marché de ce pays, ces codes constituant une indication descriptive comprise pour tout internaute comme une référence au pays concerné.

Par ailleurs, la Cour souligne que les liens mis en cause renvoient eux-mêmes vers des sites étrangers qui semblent exclusivement rédigés en langues anglaise et allemande.

Par ailleurs, AXA et les autres sociétés du groupe qui allèguent l’existence d’un préjudice de principe qui n’est pas autrement caractérisé, ne le justifient pas, ce qui heurte la Cour : elle rappelle que en effet qu’elle ne pourrait de toute manière remédier qu’au préjudice subi sur le territoire national.

La Cour s’interroge donc sur les liens de rattachement entre les sites sur lesquels les liens incriminés apparaissent, et le public français. Elle estime « qu’il ne résulte donc pas des éléments de la procédure que les sites litigieux ont, de manière délibérée ou non, un impact économique sur le public français ».

Pour tenter de contourner cet obstacle, AXA et les autres sociétés du groupe demandaient l’application des dispositions de l’article 42, §2, du nouveau code de procédure civile qui dispose qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l’un deux. Les plaignantes plaidaient que dans la mesure où il n’y a pas de convention internationale entre la France et les Etats-Unis où la société GOOGLE INC. a son siège (la convention de Bruxelles n’est donc pas applicable), ce sont les règles de compétence judiciaire territoriale internes qui déterminent les règles de compétence judiciaire internationale. Selon elles, elles étaient donc en droit d’attraire la société GOOGLE Inc., société américaine, devant la juridiction parisienne du lieu du domicile social de sa filiale française.

Le raisonnement est subtil, mais il ne convainc pas la Cour.

Celle-ci rappelle la finalité des dispositions invoquées : en cas de demande dirigée contre des défendeurs différents, le nouveau code de procédure permet de les poursuivre toutes devant la juridiction du lieu où demeure l’une de ces parties, pour autant qu’il existe un lien étroit de connexité.

En d’autre terme, et la Cour le rappelle, il ne s’agit pas d’un artifice de procédure qui permet de faire l’économie d’une action à l’étranger pour le seul motif que l’on assigne également un co-défendeur français : « il convient de regarder si la partie défenderesse qui fixe la compétence, peut être regardée comme étant une partie réelle et sérieuse, et non une personne n’ayant qu’un lien artificiel avec le litige et contre laquelle le demandeur agirait afin d’établir une compétence française à l’encontre d’un codéfendeur ».

Et là, la Cour d’Appel est impitoyable : elle analyse les relations entre la société GOOGLE Inc. et la société GOOGLE France, pour conclure que c’est bien la société américaine qui est propriétaire des sites litigieux et de la technologie AdWords qu’elle exploite personnellement, la société française ne déployant qu’une activité de sous-traitant en charge exclusivement d’une mission d’assistance auprès de clientèles françaises. La Cour se base notamment sur le contrat de marketing intervenu entre la société américaine et sa filiale française.

Pour les magistrats, « à l’évidence, il n’est pas caractérisé l’existence d’un lien étroit de connexité en l’absence de fait et de droit identique entre les sociétés GOOGLE Inc. et GOOGLE France, de sorte que le TGI de Paris est incompétent pour connaître des prétentions émises par les sociétés intimées à l’encontre de la société GOOGLE Inc. ».

La conclusion est nette est sans appel : pour la Cour, le TGI de Paris était incompétent territorialement et les sociétés AXA et autres sont invitées à mieux se pourvoir.

Cet arrêt, que l’on a envie de qualifier d’arrêt de principe, mettra t-il un terme définitif au « forum shopping » qu’une jurisprudence franco-française (trop) bienveillante a permis de développer ?

Seul l’avenir nous le dira, mais il est certain que cet arrêt, que nous approuvons, remet pas mal de choses en place. Il a le mérite de rappeler une évidence : bien que l’internet soit accessible par définition dans l’ensemble des pays du monde, cela ne suffit pas à fonder la compétence de l’ensemble des juridictions du monde en invoquant un préjudice aussi vague que théorique subi sur le territoire du juge saisi.

La nouvelle convention de Bruxelles ne dit pas autre chose, lorsqu’elle plaide pour des critères de rattachement suffisants.

Comme nous le mentionnons en début de cet article, il y a des décisions que l’on ne se lasse pas de lire et de relire.

Plus d’infos ?

En lisant l’arrêt de la Cour, disponible sur notre site

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