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L’art appliqué (dessin, modèle …) peut-il être une œuvre au sens du droit d’auteur ?

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Un dessin ou un modèle est-il susceptible d’être également protégé par le droit d’auteur en tant qu’œuvre ? Dans l’affirmative, à quelles conditions ? Peut-on prendre en compte l’esthétisme du modèle pour en apprécier l’originalité ? Telles sont les intéressantes questions tranchées par un récent arrêt de la CJUE. La décision a une véritable portée pratique.

G‑Star, fabricant de vêtements, assigne un concurrent (Cofemel) devant les tribunaux portugais au motif  que ce dernier commercialise certains modèles de jeans, de sweatshirts et de tee-shirts analogues à ses modèles ARC et ROWDY.

G-Star décide d’assigner sur la base du droit d’auteur, soutenant que les vêtements constituent des créations originales, ce qui était contesté de part adverse.

L’originalité et la beauté

La jurisprudence et la doctrine portugaises étant fortement divisées sur le degré d’originalité requis pour que des œuvres d’art appliqué (dessins, modèles et œuvres de design), puissent être qualifiées d’ « œuvres » au sens du droit d’auteur, la Cour suprême portugaise a souhaité obtenir les éclaircissements de la CJUE.

L’enjeu consiste donc à déterminer les critères requis pour qu’un modèle puisse bénéficier du droit d’auteur. Plus précisément, une législation nationale peut-elle accorder la protection du droit d’auteur à des modèles au motif qu’ils génèrent « un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique » ? On a presque envie d’écrire : la beauté accorde-t-elle davantage de protection ?

Rappelons qu’au contraire du droit des dessins et modèles, le droit d’auteur n’est pas totalement harmonisé au niveau de l’UE. La création utilitaire est un des domaines où les traditions juridiques des États membres sont particulièrement variées.

Et pour cause : le  règlement 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires dispose lui-même que : « Un dessin ou modèle protégé par un dessin ou modèle communautaire bénéficie également de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur des États membres à partir de la date à laquelle il a été créé ou fixé sous une forme quelconque. La portée et les conditions d’obtention de cette protection, y compris le degré d’originalité requis, sont déterminées par chaque État membre. »

L’avocat général

Dans ses conclusions, l’Avocat général Szpunar défendait que le droit d’auteur sur des designs devait s’appliquer dès lors que le critère d’originalité propre au droit d’auteur était satisfait, à l’exclusion de tout autre critère.

La CJUE suit cette opinion.

La notion d’œuvre

La Cour rappelle tout d’abord sa jurisprudence désormais constante quant à la notion « d’œuvre » en droit d’auteur.

Première balise : l’œuvre est une notion autonome du droit de l’Union. En d’autres termes, les États n’ont ici aucune marge de manœuvre.

Deuxième balise ; pour qu’une création (notion artistique) devienne une « œuvre » (notion juridique), il faut établir la réunion de deux éléments cumulatifs :

  • L’existence d’un objet original, en ce sens que celui-ci est une création intellectuelle propre à son auteur, manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. À cet égard, lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative, le critère d’originalité ne sera pas rempli.
  • D’autre part, la qualification d’œuvre est réservée aux éléments qui sont l’expression d’une telle création. Cela implique nécessairement l’existence d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité. La Cour a fait il y a quelques mois une application remarquée de cette condition, au sujet de la protection par le droit d’auteur de la saveur d’un fromage.

Le cumul droit d’auteur / dessins et modèles

Si, en vertu de la charte des droits fondamentaux, les objets constituant une propriété intellectuelle doivent bénéficier d’une protection, il n’en résulte pas qu’ils doivent tous bénéficier d’une protection identique.

Pour la Cour, les régimes de protection du droit d’auteur et des dessins et modèles « poursuivent des objectifs foncièrement différents et sont soumis à des régimes distincts  :

  • la protection des dessins et modèles vise à protéger des objets qui, tout en étant nouveaux et individualisés, présentent un caractère utilitaire et ont vocation à être produits massivement. La protection est destinée à s’appliquer pendant une durée limitée mais suffisante pour permettre de rentabiliser les investissements nécessaires à la création et à la production de ces objets, sans pour autant entraver excessivement la concurrence.
  • la protection associée au droit d’auteur, dont la durée est très significativement supérieure, est réservée aux objets méritant d’être qualifiés d’œuvres ».

La Cour simplifie le message.

D’une part, elle juge que si un modèle répond, par ailleurs, aux deux conditions susmentionnées permettant de le qualifier d’œuvre au sens du droit d’auteur, il n’y a pas de raison de s’opposer à la double protection. Mais précise-t-elle aussitôt, cette double protection ne saurait pour autant “aboutir à ce qu’il soit porté atteinte aux finalités et à l’effectivité respectives de ces deux protections”. Il en découle que ce cumul ne saurait être envisagé que dans certaines situations.

D’autre part, pour tenir compte de la finalité différente des deux protection, la Cour rejette l’effet « esthétique » dans l’appréciation des deux conditions susmentionnées  :

  • « ainsi qu’il découle du sens usuel du terme « esthétique », l’effet esthétique susceptible d’être produit par un modèle est le résultat de la sensation intrinsèquement subjective de beauté ressentie par chaque personne appelée à regarder celui-ci. Par conséquent, cet effet de nature subjective ne permet pas, en lui-même, de caractériser l’existence d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité (…) ».
  • S’il « est certes vrai que des considérations d’ordre esthétique participent de l’activité créative (…) il n’en reste pas moins que la circonstance qu’un modèle génère un effet esthétique ne permet pas, en soi, de déterminer si ce modèle constitue une création intellectuelle reflétant la liberté de choix et la personnalité de son auteur, et satisfaisant donc à l’exigence d’originalité (…). »

Impact

La portée de cette décision est triple :

Primo, pour les dessins et modèles et œuvres de design, il marque la fin du critère esthétique ou de la valeur artistique encore d’application dans certains Etats membres … En ce sens, l’arrêt va considérablement contribuer à harmoniser la protection des œuvres dites « utilitaires » par le droit d’auteur.

Secundo, en pratique, l’arrêt ouvre certes la porte à la double protection, mais l’espace est étroit : à défaut de pouvoir adopter une approche « esthétique », force est de constater que le critère d’originalité se révèle particulièrement exigeant pour ce type de création qui sont souvent, par nature, déterminées par des considérations techniques,

Tertio, pour toutes les « œuvres », la Cour confirme que les conditions d’application du droit d’auteur sont les mêmes pour tous les types d’œuvres : pas de discrimination.

Plus d’infos ?

L’arrêt et les conclusions de l’avocat général sont disponibles en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

Conclusions de l’AG

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