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Discréditer l’innovation est sanctionnable en droit de la concurrence

Publié le par - 1396 vues

Le dénigrement systématique peut dégénérer en comportement anti-concurrentiel. 25 millions d’euros d’amende infligée par l’Autorité de la concurrence à un laboratoire pharmaceutique, pour avoir mené une campagne globale et systématique tendant à jeter le discrédit sur le médicament générique substituable qui était produit par un concurrent.

Durogesic est un antalgique opioïde puissant, dont la substance active est le fentanyl, prescrit pour le traitement de la douleur sévère. Il est notamment délivré aux patients atteints de douleurs chroniques d’origine cancéreuses dont les enfants. Il est prescrit sous forme de patch à apposer sur la peau. Il est produit par Janssen-Cilag.

Saisie par le laboratoire pharmaceutique Ratiopharm, devenu Teva Santé, l’Autorité de la concurrence a rendu fin 2017 une décision par laquelle elle sanctionne Janssen-Cilag et sa maison-mère Johnson & Johnson à hauteur de 25 millions d’euros pour avoir retardé l’arrivée sur le marché des génériques de Durogesic et freiné, dans un second temps, leur développement.

Deux pratiques ont été sanctionnées :

  • l’intervention répétée, et juridiquement non fondée de Jannsen Cilag, auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), afin de convaincre l’autorité de santé de refuser l’octroi au niveau national du statut de générique aux spécialités concurrentes de Durogesic, et ce, en dépit de l’obtention de ce statut au niveau européen.
  • la mise en œuvre par Jannsen Cilag d’une vaste campagne de dénigrement des génériques de Durogesic, propageant auprès des professionnels de santé exerçant en ville et à l’hôpital (médecins, pharmaciens) un discours trompeur de nature à instiller un doute dans leur esprit sur l’efficacité et l’innocuité de ces génériques, notamment en déformant la portée de la mise en garde que l’AFSSAPS avait décidé de faire inscrire au répertoire des génériques.

Pour l’Autorité, ces pratiques sont graves. Elles ont retardé de plusieurs mois l’arrivée des génériques sur le marché et ont discrédité les médicaments génériques de Durogesic, indépendamment de toute considération de santé publique, en instillant un doute dans l’esprit des professionnels de santé sur leur efficacité et leur sécurité.

La stratégie mise en place par Janssen-Cilag a eu des effets de grande ampleur visant l’ensemble des professionnels de santé susceptibles de prescrire ou dispenser Durogesic et engendrant un manque à gagner pour les laboratoires génériques, dans un contexte marqué par les déficits chroniques des comptes sociaux.

Premier grief : l’intervention infondée auprès de l’AFSSAPS

À la suite de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’Allemagne à son générique, Ratiopharm, a, comme les textes européens le lui permettent, engagé une procédure de reconnaissance mutuelle, visant à obtenir une AMM dans les différents pays de l’Union – dont la France – où il souhaitait distribuer son médicament. La Commission européenne a accordé cette AMM en octobre 2007 et enjoint les États membres concernés de la suivre dans un délai de 30 jours. Toutefois, Janssen-Cilag s’est immiscé indûment dans la procédure nationale de délivrance de l’AMM avec pour objectif de retarder l’entrée des génériques sur le marché.

En résumé, Janssen-Cilag a mis des bâtons dans les roues de la procédure française, contactant l’AFSSAPS avec des propos alarmistes tels que : « le système en place n’offre pas toutes les sécurités nécessaires », ou encore que les soucis d’économies des laboratoires les amènent à « chercher des sources d’approvisionnement en dehors de l’Union européenne, impliquant des pays n’offrant pas toujours les garanties de qualité requises (ex : Asie) », ou affirmant que la substitution peut engendrer la « survenue d’inefficacité ou d’effets indésirables inhabituels chez certaines populations de malades (personnes âgées ou fragiles) », et que « Toute substitution chez les enfants poserait des difficultés comparables sinon plus importantes. ».

Résultat : l’AFSSAPS qui n’a pas voulu prendre de risque, a mis plus de temps que normal à délivrer l’AMM, engendrant une perte de revenus conséquente.

Deuxième grief : une communication négative orchestrée

Le deuxième grief est intéressant car il ouvre une ligne d’attaque inhabituelle dans les dossiers de ce genre : l’Autorité a en effet relevé une « communication globale et structurée tendant à jeter le discrédit sur les génériques concurrents de Durogesic. »

Auprès des professionnels de santé, Janssen-Cilag a tenu un discours très négatif :

  • les patchs génériques « n’ont pas la même composition, ni la même quantité de fentanyl et taille que le patch de Durogesic »;
  • « quand le générique est sorti, le laboratoire nous a appelés pour nous conseiller de continuer sous Durogesic des traitements déjà initiés sous ce produit (et de ne pas passer au générique)»
  • « Nous avons reçu la visite de Janssen-Cilag au moment de la sortie du générique. La personne qui est venue (…) nous a conseillé de ne pas délivrer le générique. »

Le laboratoire a aussi déformé le contenu de la mise en garde émise par l’AFSSAPS en procédant à une présentation inexacte et incomplète des risques liés à la substitution, véhiculant ainsi auprès des professionnels de santé un discours anxiogène. L’AFSSAPS a d’ailleurs adressé un courrier à Janssen-Cilag, afin de rectifier les inexactitudes de la lettre envoyée aux pharmaciens car certaines formulations « ne reflèt[ai]ent pas exactement la teneur de la position que l’Afssaps a prise ». Janssen-Cilag avait insisté, dans la « lettre d’information médicale », sur le risque lié à la substitution du princeps par le générique, alors que la mise en garde visait indifféremment tous les cas de substitution (« spécialité de référence par spécialité générique, spécialité générique par spécialité de référence ou spécialité générique par spécialité générique »).

Enfin, Janssen-Cilag a insisté sur le caractère prétendument inédit de la mise en garde adoptée par l’AFSSAPS, alors que cette possibilité n’avait été introduite dans le code de la santé publique que peu de temps auparavant.

Commentaires

La santé au sens large est un secteur en pleine évolution : les génériques, l’internet, la vente en ligne, la transformation du métier, la téléconsultation, l’immixtion systématique de l’informatique, l’arrivée d’applications médicales, etc.

Or, le secteur est (très) lent à faire sa mutation.

Les enjeux économiques sont (très) importants et les acteurs en place (ou aux manettes) n’aiment pas quand on bouscule un bel ordre établi.

Ces acteurs en place sont prompts à dégainer l’argument « santé », et pas toujours à bon escient. La santé a parfois bon dos quand il s’agit de créer un discours anxiogène destiné en réalité à préserver les positions concurrentielles et empêcher l’arrivée de concurrents innovants.

La décision de l’Autorité envoie un signal clair : le dénigrement orchestré peut dégénérer en comportement anti-concurrentiel lourdement sanctionné.

Droit & Technologies

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