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Droit voisin des éditeurs de presse : l’Allemagne recalée

Publié le par - 1347 vues

L’Allemagne avait pris de l’avance sur la question du droit voisin des éditeurs de presse en prévoyant un tel droit dès 2013. Oui mais … l’avocat général estime que la loi interdisant aux moteurs de recherche de fournir des produits de la presse sans l’autorisation préalable de l’éditeur, ne peut être appliquée à défaut d’avoir été préalablement notifiée à la Commission. Paradoxalement, c’est une bonne nouvelle pour les éditeurs de presse !

Selon l’avocat général, les règles allemandes auraient dû être notifiées à la Commission, car elles constituent une « règle technique » qui vise spécifiquement un service de la société de l’information, à savoir la fourniture de produits de la presse par le biais de moteurs de recherche sur Internet.

Les faits

En 2013, l’Allemagne  introduit un droit voisin du droit d’auteur pour les éditeurs de presse, sans notifier le projet de législation à la Commission. Les nouvelles dispositions prévoient que, contrairement aux autres utilisateurs, y compris les utilisateurs commerciaux, les opérateurs commerciaux d’un moteur de recherche sur Internet (ainsi que les prestataires de services commerciaux qui éditent des contenus) ne sont pas autorisés, sauf autorisation expresse, à fournir des extraits – autres que des mots isolés ou de très courts extraits de texte – de certains textes, images et contenus vidéo fournis par les éditeurs de presse.

VG Media est un organisme allemand de gestion collective des droits d’auteur et droits voisins du droit d’auteur pour le compte, notamment, d’éditeurs de presse. VG Media a formé, au nom de ses membres, un recours en indemnisation contre Google devant le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne) concernant l’usage fait par cette dernière, depuis le 1er août 2013, d’extraits de texte, d’images et de vidéos provenant de contenus de la presse et de médias, produits par les adhérents de VG Media, sans leur verser de rémunération.

Le Landgericht Berlin estime que l’issue de la procédure dépend du point de savoir si les nouvelles règles allemandes constituent une règle technique visant spécifiquement un service particulier de la société de l’information et donc une règle qui, conformément à la directive 98/34, doit être notifiée à la Commission pour pouvoir être applicable. Il demande donc à la Cour de justice d’interpréter la directive à cet égard.

L’avis de l’avocat général

L’avocat général estime que les nouvelles dispositions allemandes concernant le droit voisin pour les éditeurs de presse constituent bien une règle technique au sens de la directive 98/34, et sont donc soumises à notification.

Ces dispositions ne peuvent pas être considérées comme une simple condition d’exercice d’une activité professionnelle, telle qu’un agrément préalable. Elles ont pour conséquence concrète de soumettre la fourniture du service soit à une forme d’interdiction, soit à une demande pécuniaire à l’initiative de l’éditeur de presse. Si l’exploitant du moteur de recherche peut se prévaloir de l’exception de courte citation, celle-ci s’appliquera uniquement si la publication se limite à quelques mots ou  de très courts extraits de texte.

L’avocat général considère, en outre, que les règles allemandes en cause visent de manière spécifique les services de la société de l’information.

Leur finalité première est de répondre à l’influence des moteurs de recherche sur Internet, et de tenir compte du fait que les contenus médiatiques sont de plus en plus lus et consultés en ligne, en prévoyant une règle spéciale en matière de droit d’auteur concernant la fourniture, par les exploitants de ces moteurs de recherche, de services en ligne afférents aux produits de la presse.

L’avocat général admet que la législation en question a été adoptée afin de renforcer les droits de propriété intellectuelle des éditeurs de presse et, par extension, de promouvoir tant la diversité des médias que la liberté de la presse. Par l’omniprésence d’Internet et l’accès généralisé aux ordinateurs personnels et aux smartphones, les habitudes de consommation bien établies en matière de consommation de produits médiatiques – notamment la vente effective de journaux – ont, en effet, considérablement changé en l’espace d’une demi-génération.

Les législateurs de chaque État membre sont, par conséquent, en principe, autorisés à répondre à ces changements d’habitudes de consommation. Une presse libre et dynamique fait partie intégrante de l’essence même de la démocratie, laquelle constitue la pierre angulaire de l’Union et de ses États membres. Il serait assez irréaliste d’espérer une presse variée et de grande qualité, conforme aux standards les plus élevés en matière d’éthique des médias et de respect de la vérité, si les journaux et les autres médias ne bénéficient pas d’une source régulière de revenus. Il serait tout aussi naïf de nier que le modèle commercial traditionnel – « ventes et publicité » – a été affaibli, au cours des vingt dernières années et sur l’ensemble du territoire de l’Union, par la lecture en ligne de  titres et résumés de journaux, cette pratique ayant, pour sa part, été facilitée et boostée par l’arrivée de puissants moteurs de recherche tels que celui exploité par Google.

Ce constat ne dispense toutefois pas un État membre de  respecter les exigences de notification prévues par la directive 98/34.

L’exigence de notification de notification préalable du projet de loi allemand ne signifie pas pour autant  que le texte serait nécessairement non conforme ou répréhensible du point de vue du marché intérieur. L’objectif visé par la directive est plutôt que la Commission (et, par extension, les autres États membres) puissent prendre connaissance du projet et examiner, à un stade précoce, ses conséquences éventuelles sur le fonctionnement du marché intérieur.

L’avocat général propose donc à la Cour de juger que des dispositions nationales, telles que celles en cause (qui interdisent aux seuls exploitants commerciaux de moteurs de recherche et prestataires commerciaux de services qui éditent des contenus et non aux autres utilisateurs, y compris commerciaux, de mettre à la disposition du public des produits de la presse, en tout ou partie), constituent une règle technique  visant spécifiquement les services de la société de l’information, soumise à l’obligation de notification.

Il en découle donc, qu’en l’absence de notification préalable à la Commission, les règles allemandes consacrant un droit voisin en faveur des éditeurs de presse ne peuvent être appliquées par les juridictions allemandes.

Les éditeurs sont-ils vraiment perdants … ?

On pourrait croire, à la lecture de cet avis, que Google a sabré le champagne et que les éditeurs de presse pleurent ! En effet, à défaut de notification, la loi allemande ne produit pas d’effet, et Google peut continuer à reprendre les titres et extraits de presse sans autorisation.

Paradoxalement, il nous semble que c’est l’inverse qui pourrait se produire.

L’Allemagne est l’un des plus fervents défenseurs du droit voisin pour les éditeurs de presse.

Or, cette question est justement l’une des plus débattues actuellement au niveau européen. On assiste depuis six mois à une guerre de lobbying, d’une intensité rarement vue auparavant, dans le cadre de la négociation de la nouvelle directive sur le droit d’auteur.

L’enjeu de ce pugilat ? Deux articles:

  • L’article « 11 » qui crée un droit voisin en faveur des éditeurs de presse : il leur octroie les droits exclusifs de reproduction et de communication au public, contraignant ainsi les plateformes, telle Google News, à rémunérer les médias lorsqu’elles affichent des extraits d’articles.
  • L’article « 13 » sur la responsabilité des plateformes de partage de contenus lorsque des contenus sont retransmis par leurs utilisateurs via leurs services. La plus connue est YouTube, propriété de Google.

Suivez dès lors le raisonnement …

Première option : l’Allemagne se dit que la CJUE va confirmer l’application de la loi Allemande. Dans ce cas, ce pays pourrait relâcher la pression dans les discussions sur la nouvelle directive, puisqu’il aurait au moins assuré la protection de ses éditeurs de presse nationaux. Vu l’avis de l’avocat général, cette option devient peu probable.

Deuxième option, plus probable vu l’avis très charpenté de l’avocat général : l’Allemagne se rend compte que sa loi va tomber aux oubliettes. Dans ce cas, l’Etat allemand a toutes les raisons de redoubler d’efforts pour débloquer l’adoption de la nouvelle directive, et y faire inscrire en toutes lettres un droit voisin au niveau européen : elle obtiendra via la directive la protection des éditeurs qu’elle n’aura pas pu mettre en place via sa loi nationale. L’Allemagne doit cependant y arriver avant la fin de cette législature, au risque de devoir tout recommencer après les élections de mai 2019. On peut donc parier que les éditeurs de presse vont voir leur principal soutien sortir le grand jeu…

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