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A quelles conditions peut-on se dire « licencié » d’une marque ?

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Il est fini le temps où il suffisait d’indiquer « licence de marque » comme titre du contrat, pour que les relations soient aussitôt qualifiées comme telles et produisent les effets juridiques attachés à l’existence d’une licence. Dorénavant, il faut que l’économie du contrat corresponde réellement à une licence de marque. A défaut, le juge requalifie en « contrat de service ».

A l’occasion d’une intéressante affaire portant sur un nom de domaine, la cour de justice de l’Union a précisé ce qu’il faut entendre « licence de marque ».

L’enjeu est important, car le fait de se dire licencié emporte, aussi bien pour le licencié que le donneur de licence ou les tiers, des effets juridiques nombreux :

  • Le licencié reçoit certaines prérogatives, comme le droit d’agir en justice pour défendre la marque si l’exploitation qu’il en fait est troublée par un tiers ;
  • Les tiers ne peuvent ignorer les effets externes du contrat.
  • On considère souvent que la licence engendre des obligations pour le donneur de licence, comme par exemple l’obligation de maintenir la validité de la marque et de son enregistrement.

Parfois, c’est la loi elle-même qui réserve au licencié des droits spécifiques.

Telle est par exemple la portée du règlement européen n° 874/2004 sur les « .eu », qui a réservé aux titulaires de marques et à leurs licenciés, une période exclusive pendant laquelle eux seuls pouvaient déposer un nom de domaine « .eu » (période « sunrise »).

Suffisait-il de signer avec le titulaire de la marque un bout de papier intitulé « licence » pour entrer dans la liste des personnes autorisées à déposer le nom de domaine.

C’est ce qu’a cru la société Bureau Gevers (agent en marque bien connu au Benelux) qui a enregistré, « en son nom mais pour le compte de [son client] », le nom de domaine lensworld.eu.

L’affaire est teintée d’un relent particulier parce que si le Bureau Gevers a agit de la sorte, c’est en réalité parce que son client était américain et ne satisfaisait donc pas aux critères territoriaux d’éligibilité.

La solution semblait donc toute trouvée : l’agent de marque est européen ; il signe un contrat appelé « de licence de marque » ; il réserve le nom de domaine en cette qualité pour le client américain ; le client américain garde la main sur le nom car le contrat lui réserve toutes les décisions.

Les faits

Pie Optiek est une société belge active dans le secteur de la vente par Internet de lentilles de contact. Elle possède la marque «Lensworld».

Bureau Gevers est une société belge active dans le conseil en propriété intellectuelle.

Walsh Optical est une société américaine, également active dans la vente sur Internet de lentilles de contact et d’autres articles de lunetterie. Elle était titulaire de la marque Benelux Lensworld.

Le 18 novembre 2005, Walsh Optical a signé avec Bureau Gevers un contrat dénommé «License Agreement» («contrat de licence»).

Aux termes de la clause 1 dudit contrat, les seuls objets de celui-ci sont de permettre au licencié d’enregistrer un nom de domaine en son nom mais pour le compte du donneur de licence, de définir les droits et les obligations de chaque partie durant ce même contrat ainsi que d’organiser la procédure selon laquelle le licencié transférera le ou les noms de domaine .eu au donneur de licence ou à la personne désignée par ce dernier.

À la clause 4 du contrat, qui contient les droits du licencié, il est précisé que celui-ci facturera ses services au donneur de licence.

Bureau Gevers a déposé auprès d’EURid une demande d’enregistrement du nom de domaine « lensworld.eu ». cette demande étant arrivée avant celle de Pie Optiek, elle a été préférée.

Les thèses en présence

Pie Optiek perd en arbitrage : « The Panel does not agree with the Complainant that a license that does not result in an agreement to sell products or services using the licensed trademark is not a genuine license.

A license agreement must not necessarily relate to the sale of products and services by the licensee. In trademark law, a "license" is a permission granted by the trademark holder to the licensee; only the terms of that contract will dictate what the licensee is allowed to do (cf. J. Phillips, Trademark Law, Oxford University Press, 2003, p. 516 as quoted by the Respondent). As a result, a license agreement which is limited to the registration of the .eu domain name identical to the trademark is a valid license agreement, which grants the licensee with a right and legitimate interest to the domain name. »

La société conteste cet arbitrage devant le tribunal de première de Bruxelles et perd à nouveau : « Le contrat de licence de marque désigne tout contrat par lequel le titulaire de la marque autorise un tiers à poser un acte qui lui est réservé, en ce sens que sans l’autorisation du titulaire, le tiers violerait le droit de marque ».

Elle fait appel, et la cour accepte de renvoyer l’affaire devant la CJUE, en question préjudicielle afin de savoir si la notion de « licencié de droit antérieur » comprend « une personne qui a uniquement été autorisée par le titulaire de la marque à enregistrer, en son nom propre mais pour le compte du donneur de licence, un nom de domaine identique ou similaire à la marque, sans pour autant être autorisée à faire d’autres usages de la marque ou usage du signe en tant que marque, comme, par exemple pour commercialiser des produits ou des services sous la marque ? »

L’arrêt rendu

L’arrêt commence par rappeler la finalité du .eu : « accroître la visibilité du marché intérieur sur le marché virtuel fondé sur l’Internet, en établissant un lien clairement identifié avec l’Union, le cadre juridique qui y est associé et le marché européen, ainsi qu’en permettant aux entreprises, aux organisations et aux personnes physiques dans l’Union de s’enregistrer dans un domaine spécifique qui rendra ce lien évident. »

Cette finalité s’est traduite, juridiquement, par l’adoption de critères territoriaux d’éligibilité : ne peut solliciter un .eu, que l’entreprise « ayant son siège statutaire, son administration centrale ou son lieu d’établissement principal dans l’Union ».

Pour la cour, la solution est la même que le demandeur soit le titulaire de la marque, ou son licencié. Elle estime que dans l’hypothèse « des licenciés de droits antérieurs, ces derniers doivent, à la fois, satisfaire au critère de présence sur le territoire de l’Union et disposer à la place du titulaire, à tout le moins en partie et/ou temporairement, du droit antérieur concerné. »

Dans le cas du Bureau Gevers, le critère de présence sur le territoire de l’Union ne pose pas de souci. Mais la société est-elle aussi « titulaire, à tout le moins en partie et/ou temporairement, du droit antérieur concerné » ?

Cela implique de voir ce qu’est un contrat de licence portant sur une marque.

L’article 8, paragraphe 1, de la directive 89/104 prévoit qu’une marque peut faire l’objet de licences pour tout ou partie des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée. Et le titulaire de la marque peut invoquer les droits conférés par celle-ci à l’encontre d’un licencié qui enfreint l’une des clauses du contrat de licence.

Quant à l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la même directive, il prévoit le droit, pour le titulaire d’interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, c’est-à-dire de faire une utilisation commerciale (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, non encore publié au Recueil, point 144), d’un signe identique ou similaire pour certains produits et services et dans certaines conditions.

On sait que la Cour a déjà jugé que ledit droit exclusif a été octroyé afin de permettre au titulaire de la marque de protéger ses intérêts spécifiques en tant que titulaire de cette marque, c’est-à-dire d’assurer que cette dernière puisse remplir ses fonctions propres et que, dès lors, l’exercice de ce droit doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque.

Par conséquent dit la cour, « il y a lieu de considérer que, par l’octroi d’une licence, le titulaire d’une marque concède au licencié, dans les limites stipulées par les clauses du contrat de licence, le droit d’utiliser cette marque aux fins qui relèvent du domaine du droit exclusif conféré par ladite marque, à savoir l’utilisation commerciale de celle-ci en conformité avec ses fonctions propres, en particulier la fonction essentielle consistant à garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service concerné. »

La cour va plus loin : elle revient sur un arrêt Falco qui a fait couler beaucoup d’encre, et qui tente de faire la part des choses entre un contrat de service et un contrat de licence dans le droit de la propriété intellectuelle (Falco Privatstiftung et Rabitsch, C‑533/07, Rec. p. I‑3327).

Elle avait estimé que « alors que la notion de services sous-entend, pour le moins, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d’une rémunération, le contrat par lequel le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle concède à son cocontractant le droit de l’exploiter en contrepartie du versement d’une rémunération n’implique pas une telle activité. »

Sur la base de ce critère ; il faut bien admettre que « le contrat en cause au principal, par lequel le cocontractant, dénommé «licencié», s’oblige, contre rémunération, à faire des efforts raisonnables pour déposer une demande et obtenir un enregistrement pour un nom de domaine .eu s’apparente davantage à un contrat de service qu’à un contrat de licence. »

Pour la Cour, « Tel est d’autant plus le cas si un tel contrat n’accorde audit licencié aucun droit d’utiliser commercialement la marque correspondant à ce nom de domaine en conformité avec ses fonctions propres, mais reconnaît que le nom de domaine qu’il enregistre conformément à ses obligations restera la propriété exclusive du donneur de licence et admet qu’il n’utilisera pas ce nom de domaine d’une quelconque manière incompatible avec les termes du contrat. »

La cour répond donc les termes «licenciés de droits antérieurs» ne visent pas une personne qui a uniquement été autorisée par le titulaire de la marque concernée à enregistrer, en son nom propre mais pour le compte de ce titulaire, un nom de domaine identique ou similaire à ladite marque, sans pour autant que cette personne soit autorisée à utiliser commercialement celle-ci en conformité avec ses fonctions propres.

Commentaires

Me Etienne Wéry (cabinet Ulys), conseil du plaignant et naturellement heureux du résultat, indique que « il y a deux niveaux de lecture dans cet arrêt : le premier porte sur le règlement applicable aux noms de domaine en « .eu » ; le second porte sur le droit des marques.

Le premier niveau devrait à présent inquiéter Eurid qui, pour information, avait plaidé dans un sens contraire à l’arrêt rendu (sourires crispés) ne voyant pas de problème particulier au montage réalisé.

Que faire des nombreux noms de domaine enregistrés moyennant  un montage similaire ? La rumeur persistante prétend en effet que non seulement Bureau Gevers, mais aussi de nombreux prestataires et autres cabinets d’avocats, on fait la même chose sur une échelle relativement importante. Eurid doit-elle agir proactivement à présent ? L’avocat général l’affirmait dans ses conclusions. Et à qui donner le nom ? La logique voudrait que l’on rouvre le dossier et qu’on l’attribue au second à l’époque, mais c’était il y a six ans …

Le second niveau de lecture concerne tout praticien en droit des marques.

La cour accentue sa théorie d’un droit des marques guidé par la fonction de la marque. Elle l’avait fait pour la contrefaçon dans ses arrêts Google, Interflora et autres O2. Elle le fait à présent pour les licences. On aime ou pas, peu importe : c’est un fait dont il faut tenir compte. » 

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