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Yahoo! (re)condamnée en référé : à problème complexe solution boîteuse

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Ce 20 novembre, le président du TGI de Paris a rendu une décision très attendue dans la médiatique affaire « Yahoo! ». Historique du dossier et de la procédure Nous n’entrerons pas dans un historique détaillé de cette affaire, qui a déjà fait l’objet de plusieurs analyses sur ce site (faites une recherche sur le mot-clef « Yahoo« ).…

Ce 20 novembre, le président du TGI de Paris a rendu une décision très attendue dans la médiatique affaire « Yahoo! ».

Historique du dossier et de la procédure

Nous n’entrerons pas dans un historique détaillé de cette affaire, qui a déjà fait l’objet de plusieurs analyses sur ce site (faites une recherche sur le mot-clef « Yahoo« ).

Rappelons seulement que la Ligue Internationale contre le Racisme (Licra) et l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF), reprochent la mise en vente, quasi quotidiennement, d’objets et de trophées nazis (uniformes, drapeaux frappés de la croix gammée, film sur le thème des tortures nazies ou une boîte de Zyklon B).

Après avoir dans un premier temps appelé à un boycott généralisé de Yahoo, la Licra et l’UEJF ont porté le litige devant le TGI de Paris siégeant en référé.

Une première décision a été rendue le 22 mai 2000 :

Ordonnons à Yahoo ! Inc. de prendre toutes les mesures de nature à dissuader et à rendre impossible toute consultation sur Yahoo.com du service de ventes aux enchères d’objets nazis et de tout autre site ou service qui constituent une apologie du nazisme ou une contestation des crimes nazis ;

Ordonnons à Yahoo France de prévenir tout internaute consultant Yahoo.fr, et ce dès avant même qu’il fasse usage du lien lui permettant de poursuivre ses recherches sur Yahoo.com, que si le résultat de sa recherche, soit à partir d’une arborescence, soit à partir de mots-clés l’amène à pointer sur des sites, des pages ou des forums dont le titre et/ou les contenus constituent une infraction à la loi française, ainsi en est-il de la consultation de sites faisant l’apologie du nazisme et/ou exhibant des uniformes, des insignes, des emblèmes rappelant ceux qui ont été portés ou exhibés par les nazis, ou offrant à la vente des objets et ouvrages dont la vente est strictement interdite en France, il doit interrompre la consultation du site concerné sauf à encourir les sanctions prévues par la législation française ou à répondre à des actions en justice initiées à son encontre ;

Lors d’une audience ultérieure, Yahoo! s’est plainte de l’impossibilité de mettre en oeuvre la décision, et un collège de trois experts a été désigné. celui-ci a remis le 6 novembre un rapport de 116 pages que vous pourrez bientôt télécharger dans notre rubrique jurisprudence. Les experts devaient notamment répondre aux questions suivantes :

  1. Décrire les informations véhiculées par le net permettant de déterminer l’origine géographique des appels.

    Sans surprise, les consultants ont estimé que l’adresse IP était un moyen de tendre vers ce but. pour être complet, signalons qu’il y en a d’autres, comme les données fournies lors de l’envoi des requêtes HTTP (langue des logiciels utilisés, type de clavier,etc.). Ces techniques peuvent bien entendu être couplées à des cookies.

  2. Dire si d’autres informations, provenant notamment des opérateurs téléphoniques ou des câblo-opérateurs pourraient être exploitées tant par les fournisseurs d’accès que les hébergeurs des sites destinataires pour déterminer l’origine des appels et dans cette hypothèse, les décrire.

    Les consultants confirment que ces données ne sont pas transmises sur le Net donc elles ne sont pas accessibles au site visité. Certes elles permettent souvent a posteriori de rapprocher une visite et une personne, mais elle ne permette pas de filtrage a priori

  3. Décrire les procédures de filtrage pouvant être mises en oeuvre par la société Yahoo pour interdire l’accès aux internautes opérant à partir du territoire français à des rubriques qui pourraient être jugées illicites par les autorités judiciaires françaises. Dans l’hypothèse où aucune solution technique ne pourrait garantir un filtrage à 100%, fournir tous éléments techniques et de fait permettant d’apprécier l’étendue du filtrage susceptible d’être obtenu par chacune des procédures de filtrage décrites par les consultants. Plus généralement, fournir tous éléments techniques et de fait permettant au Tribunal de faire respecter les restrictions d’accès ordonnées à l’encontre de Yahoo Inc.

    Les consultants divergent sur ce point.

    • Deux d’entre eux ont estimé que les outils actuels permettant de cibler avec une relative efficacité la provenance des visiteurs. Pour eux, « L’association des deux procédures, identification géographique de l’adresse IP et déclaration de nationalité, permettrait probablement d’atteindre un taux de filtrage proche de 90 %« .

    • Le troisième consultant concède que ces moyens permettant de cerner la provenance géographique, mais il émet deux réserves : d’une part le taux de 90% lui semble trop optimiste, et d’autrepart il s’interroge sur les atteintes à la vie privée que cela peut engendrer.

Depuis lors, tant Yahoo! Inc que sa filiale française avaient pris des mesures sans reconnaissance préjudiciable, pour se conformer aux premières ordonnances. le juge devait donc rendre une décision finale après avoir pris connaissance du rapport d’expertise, et dire si les mesrues prises sont suffisantes.

Dans son ordonnance du 20 novembre, qui sera bientôt disponible dans notre rubrique jurisprudence, le président a confirmé ce qui paraissait inévitable à la lecture des précentes ordonnances :

Rejetons l’exception d’incompétence réitérée par Yahoo ! Inc ;

Ordonnons à Yahoo ! Inc de satisfaire dans les 3 mois de la notification de la présente ordonnance aux injonctions contenues dans notre ordonnance du 22 mai 2000 ce sous astreinte de 100.000 Francs par jour de retard à compter du 1er jour qui suivra l’expiration du délai de 3 mois ;

Commettons aux frais avancés de Yahoo Inc [un expert]avec mission de faire un rapport de consultation sur les conditions d’exécution des termes de l’ordonnance précitée ;

(…)

Constatons que Yahoo ! France a satisfait en grande partie à l’esprit et à la lettre de la décision du 22 mai 2000 contenant injonction à son encontre ;

Lui ordonnons toutefois de faire apparaître l’avertissement aux internautes dès avant même que ceux-ci fassent usage du lien avec yahoo.com ce dans les 2 mois de la notification de la présente décision.

Réflexions critiques

Nous avons déjà effectué plusieurs analyses des premières ordonnances, et nous y renvoyons (faites une recherche sur le mot-clef « Yahoo« ).

Trois problèmes principaux se posent.

  1. Au niveau du DIP : le TGI de Paris est-il compétent et peut-il appliquer le droit français ?

    Le juge avait déjà tranché, ce point, estimant que la simple visualisation est une faute sur le territoire français, qui cause un dommage au demandeur, ce qui justifie la juridiction des tribunaux français :

    Attendu qu’en permettant la visualisation en France de ces objets et la participation éventuelle d’un internaute installé en France à une telle exposition-vente, Yahoo ! Inc. commet dont une faute sur le territoire français, (…) qui est à l’origine d’un dommage tant pour la Licra que pour l’Uejf (…)

    Attendu que le dommage étant subi en France, notre juridiction est donc compétente pour connaître du présent litige en application de l’article 46 du Ncpc ;

    Nous avons déjà dit tout le mal que nous pensions du raisonnement, qui peut conduire par identité de motif un tribunal afghan à contraindre Les 3 Suisses de voiler toutes les femmes qui posent en maillot sur son site uniquement parce que le site est accessible depuis Kaboul ! La première ordonnance oubliait purement et simplement de dire quels étaient les critères de rattachement du litige avec la France, étant entendu que la seule possibilité de visualisation depuis la France n’est pas suffisante.

    L’ordonnance du 20 novembre est heureusement plus prolixe sur ce point :

    Attendu que s’il est exact que le site  » Yahoo Auctions  » en général, s’adresse principalement à des internautes basés aux Etats-Unis eu égard notamment à la nature des objets mis en vente, aux modes de paiement prévus, aux conditions de livraison, à la langue et à la monnaie utilisées, il n’en est pas de même des enchères d’objets représentant des symboles de l’idéologie nazie qui peuvent intéresser et sont accessibles à toute personne qui souhaite les suivre, y compris aux Français ;

    Que, par ailleurs, et comme il a déjà été jugé, la simple visualisation en France de tels objets constitue une violation de l’article R.645-1 du Code pénal et donc un trouble à l’ordre public interne ;

    Qu’en outre, cette visualisation cause à l’évidence un dommage en France aux associations demanderesses qui sont fondées à en poursuivre la cessation et la répération ;

    Attendu enfin que Yahoo sait qu’elle s’adresse à des français puisque à une connexion à son site d’enchères réalisée à partir d’un poste situé en France, elle répond par l’envoi de bandeaux publicitaires rédigés en langue française ;

    Qu’est ainsi suffisamment caractérisé en l’espèce le lien de rattachement avec la France, ce qui rend notre juridiction parfaitement compétente pour connaître la demande ;

    Voilà au moins une motivation digne de ce nom. Elle ne nous convainct toujours pas, mais au moins elle existe. Elle ne nous convainct pas parce que la balance des éléments en présence devait à notre estime conduire le juge français à décliner sa compétence. Il apparaît manifestement que c’est la possibilité de visualisation qui fonde sa compétence, ce qui est insuffisant. Signalons que si les textes en projet au niveau de la Conférence internationale de La Haye pour la réforme du droit international avaient été en vigueur, le critère de visulation aurait été spécifiquement exclu.

    Par ailleurs, bien que la LICRA et l’UEJF aient pour vocation de lutter contre le racisme, il demeure que leur préjudice n’est pas aussi certain qu’il n’y paraît. En effet, dans la mesure où les enchères sont licites aux USA – point non contesté – et que les parties reconnaissent qu’elles sont principalement destinées aux américains, ni la LICRA ni l’UEJF ne sont directement visées, dénigrées ou spécifiquement préjudiciées. Leur préjudice est uniquement établi par le fait qu’elle sont en désacord avec une pratique licite dans un autre pays. Cela suffit-il pour fonder la compétence du TGI de paris et justifier leur intérêt à l’action ? Nous n’en somme gère certains.

  2. Au niveau des mesures ordonnées : le TGI de Paris peut-il choisir entre la peste et le choléra ?

    On comprend le dégoût du magistrat devant les enchères d’objets nazis, mais il faut rappeler à nouveau deux éléments fondamentaux :

    • d’une part, ces enchères sont licites aux USA, état de destination des enchères ;

    • d’autre part, pour empêcher les Français d’accéder à ces enchères, le tribunal ordonne des mesures potentiellement privacides (pour autant que ce mot existe …).

      En effet, si l’on accepte (il est vrai que ce point n’est pas certain) que le filtrage implique le traitement de données à caractère personnel protégées par la loi, il est alors illégal de les collecter et de les traiter sans le consentement de la personne concernée. or, le filtrage est imposé et invisible, ce qui est la négation du consentement et du devoir d’information qu pèse sur le responsable du traitement. En d’autres termes, au nom de la lutte contre le nazisme, le juge légalise une opération qui est ue violation des législations protégeant la vie privée.

      Il est piquant de relever qu’un expert avait soulevé ce problème dans le rapport mais que le tribunal n’a pas répondu à cette objection. Faudra–til almler jusqu’aux plus hautes juridictions, y compris européennes, pour savoir si un juge peut légaliser une infraction pour prévenir une autre infraction ?

  3. Quelle est la situation de la filiale française ?

    La filiale française est-elle un intermédiaire au sens des articles 12 à 15 de la directive européenne sur le commerce électronique ? Probablement que oui. Certes, cette directive n’est pas encore transposée, mais il paraît regrettable d’en faire purement et simplement abstraction à quelques mois de sa transposition, car sa prise en compte aurait radicalement modifié sa situation.

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