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Principe de précaution appliqué aux OGM : l’avocat général restreint la liberté des Etats

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Selon l’avocat général, les États membres ne peuvent adopter des mesures d’urgence concernant des denrées alimentaires et des aliments pour animaux génétiquement modifiés que s’ils peuvent établir, outre l’urgence, un « risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. »

Le maïs modifié autorisé en 1988

En 1998, la Commission européenne a autorisé la mise sur le marché du maïs génétiquement modifié MON 810. Dans sa décision, la Commission s’est référée à l’avis du comité scientifique qui considérait qu’il n’y avait pas de raison de penser que ce produit aurait des effets indésirables sur la santé humaine ou sur l’environnement. (Décision de la Commission du 22 avril 1998 concernant la mise sur le marché de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810), conformément à la directive 90/220/CEE du Conseil (JO 1998, L 131, p. 32).

La résistance italienne

La décision de la Commission passe mal dans plusieurs pays. Les motifs sont nombreux :

  • craintes quant à l’objectivité réelle (ou la subjectivité supposée) du comité scientifique composé d’experts parfois liés à l’industrie agro-alimentaire ;
  • refus d’une majorité de la population face aux OGM ;
  • craintes politiques (quel gouvernement va soutenir une décision européenne qu’il réprouve et qui passe mal dans son opinion publique ?).

En 2013, le gouvernement italien a demandé à la Commission d’adopter des mesures d’urgence pour interdire la culture du maïs MON 810, compte tenu de nouvelles études scientifiques réalisées par deux instituts de recherche italiens.

Sur la base d’un avis scientifique rendu par l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), la Commission a conclu qu’aucune preuve scientifique nouvelle ne permettait de justifier les mesures d’urgence demandées et d’invalider ses conclusions précédentes sur l’innocuité du maïs MON 810. En dépit de cela, le gouvernement italien a adopté en 2013 un décret interdisant la culture du MON 810 sur le territoire italien.

En 2014, M. Giorgio Fidenato et d’autres personnes ont cultivé du maïs MON 810 en violation de ce décret et ont été poursuivis pour ce fait.

Dans le cadre de la procédure pénale engagée à leur encontre, le Tribunale di Udine (tribunal d’Udine, Italie) demande notamment à la Cour de justice si des mesures d’urgence peuvent être adoptées sur le fondement du principe de précaution.

L’avis de l’avocat général

Dans ses conclusions de ce jour, l’avocat général Michal Bobek propose à la Cour de répondre que les États membres ne peuvent adopter des mesures d’urgence concernant des denrées alimentaires et des aliments pour animaux génétiquement modifiés que s’ils peuvent établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement, comme le prévoit l’article 34 du règlement de l’Union sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. (Règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (JO 2003, L 268, p. 1).

L’article 34 autorise les États membres à adopter des mesures d’urgence « lorsqu’un produit [génétiquement modifié autorisé] est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ».)

L’article 34 constitue, de l’avis de l’avocat général, l’expression concrète du principe de précaution dans le contexte spécifique des denrées alimentaires et des aliments pour animaux génétiquement modifiés dans une situation d’urgence.

Le principe de précaution consacré dans la législation alimentaire de l’Union autorise les États membres à adopter des mesures d’urgence pour prévenir les risques pour la santé humaine qui n’ont pas encore été pleinement décelés ou compris en raison des incertitudes scientifiques. (Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO 2002, L 31, p. 1).

L’article 7 de ce règlement, intitulé « Principe de précaution », autorise les États membres à adopter des mesures d’urgence « dans des cas particuliers où […] la possibilité d’effets nocifs sur la santé [a été révélée], mais où il subsiste une incertitude scientifique ».)

Toutefois, M. Bobek considère, pour plusieurs raisons, que ce principe général ne change rien aux conditions clairement définies à l’article 34, de nature plus spécifique :

  • Premièrement, le principe de légalité, qui est d’autant plus pertinent lorsque les États membres infligent des sanctions pénales, exige que les autorités publiques agissent uniquement dans le cadre de ce qui a été indiqué par la loi.
  • Deuxièmement, un règlement doit être interprété et appliqué de manière uniforme dans tous les États membres.
  • Troisièmement, le principe de précaution et l’article 34 s’inscrivent dans des contextes différents étant donné que, à la différence du principe de précaution, l’article 34 porte spécifiquement sur des produits génétiquement modifiés déjà soumis à une évaluation scientifique complète avant leur mise sur le marché.

Voilà un fameux pavé jeté dans la mare !

Privilégier l’article 34 revient en effet à alourdir considérablement la charge pesant sur les épaules des Etats qui voudront résister aux décisions de la Commission et du comité scientifique.

L’avocat général ajoute que cette conclusion n’est pas modifiée par le fait que, en 2015, une directive (Directive (UE) 2015/412 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2015, modifiant la directive 2001/18/CE en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d’interdire la culture d’organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire (JO 2015, L 68, p. 1) a considérablement modifié l’ensemble du cadre juridique applicable aux organismes génétiquement modifiés dans l’Union et que, en 2016, la Commission a interdit, sur la base de cette directive, le maïs MON 810 dans 19 États membres, dont l’Italie (Décision d’exécution (UE) 2016/321 de la Commission, du 3 mars 2016, modifiant la portée géographique de l’autorisation de cultiver le maïs génétiquement modifié (Zea mays L.) MON 810 (JO 2016, L 60, p. 90). L’avocat général relève que cette directive est entrée en vigueur après le décret italien et vise des motifs différents.

En conclusion, l’avocat général estime que l’article 34 du règlement (CE) no 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, interprété à la lumière du principe de précaution, « autorise les États membres à adopter des mesures d’urgence si, et seulement si, ils peuvent établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Toutefois, le principe de précaution ne modifie pas les critères énumérés à l’article 34 de ce règlement. »

Commentaires

Juridiquement il y a une première question centrale : faut-il privilégier :

  • l’article 34 (les Etats peuvent refuser une OGM autorisé qui est « de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement »), ou
  • l’article 7 qui autorise les États membres à adopter des mesures d’urgence « dans des cas particuliers où […] la possibilité d’effets nocifs sur la santé [a été révélée], mais où il subsiste une incertitude scientifique ».)

Il y a une seconde question importante consistant à savoir à partir de quand pareil risque/doute est avéré ou susceptible de se produire ? L’avis du comité scientifique de la Commission européenne clôture-t-il l’histoire ? Peut-on tenir compte de tous les avis scientifiques y compris ceux parus dans la presse généraliste ou scientifique ? En fonction des éléments qui seront retenus, le curseur se déplace. La seconde question rejoint la première.

La Cour suit généralement l’avis de son avocat général mais elle n’est pas tenue de le faire. La communauté scientifique d’une part, et l’industrie agro-alimentaire d’autre part, attendent avec impatience l’arrêt qui va faire bouger les lignes, juridiquement et politiquement.

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