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La neutralité du net toujours au cœur des débats

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La Commission fédérale des communications (FCC) a récemment annoncé vouloir revenir sur les règles protégeant la neutralité du net aux Etats-Unis. Un projet pressenti, qui pourrait remettre en cause le respect de la liberté d’expression, à l’heure où l’internet ouvert est pourtant largement consacré dans le monde.

Le mardi 21 novembre, le président controversé de la FCC, Ajit Pai, a présenté un nouveau plan sur la « transparence », qui devrait être soumis au vote en décembre, et qui laisse la part belle aux fournisseurs d’accès, en leur permettant de pratiquer une différenciation des prix dans l’accès au réseau (voir l’article du NY times). Ces nouvelles mesures vont à l’encontre du principe de la neutralité du net, dont la garantie est indispensable au respect des droits humains.

La remise en cause du principe par la FCC

Si ces derniers jours les mesures présentées par la FCC ont suscité la polémique, elles ne sont en réalité pas surprenantes. C’est bien aux Etats-Unis que la notion de neutralité du net a été identifiée en tant que telle, et portée à la connaissance du public en 2003, par l’article désormais célèbre du professeur Tim Wu de l’Université de Columbia (« Net Neutrality, Broadland Discrimination », Journal of Telecommunications and High Technology Law, 2003, vol. 2, p. 141). Rappelons, pour résumer, que la neutralité du net renvoie à l’obligation des fournisseurs d’internet de ne pas entraver ou restreindre l’accès au réseau, et au droit des utilisateurs d’avoir accès à son contenu sans discrimination, tant pour chercher des informations que pour les diffuser (pour une explication, voir notamment les précédentes publications de ce blog). Aux Etats-Unis, depuis février 2015, la « Net neutrality » est garantie par un ensemble de règles, promues par l’administration Obama, et votées par la FCC. Néanmoins, l’élection de Donald Trump a suscité des inquiétudes à cet égard, tôt confirmées par la nomination de M. A. Pai à la présidence de la commission spécialisée. L’homme est en effet réputé plus proche des entreprises de télécommunication que de la protection des consommateurs. Celui-ci avait pris, dès son nouveau poste occupé, des mesures favorables aux opérateurs, et porte le projet d’un retour à une plus grande liberté des fournisseurs.

Néanmoins, si le plan, comme attendu, était voté, l’agence aura à justifier légalement de ce revirement, et ce alors que les règles sur la neutralité du net avaient été validées par les tribunaux américains (Voir D.C.Cir., US Telecom association vs. FCC, 14 juin 2016). D’ici là, les débats vont assurément être intenses.

La consécration de la neutralité du net dans le monde

Un tel retour en arrière reviendrait à inscrire le droit américain en marge de la tendance internationale, puisqu’un nombre croissant d’ordres juridiques reconnait la neutralité du net dans leur droit positif. C’est le cas du Chili, précurseur en la matière ( Ley 20.453 du 18 août 2010 : http://www.leychile.cl/Navegar?idNorma=1016570), du Brésil (« Marco Civil da Internet » de 2014), ou encore de l’Inde (« Prohibition of Discriminatory Tariffs for Data Services Regulations », 8 février 2016 : http://www.trai.gov.in/sites/default/files/Regulation_Data_Service.pdf). Le droit de l’Union européenne le consacre quant à lui en tant que tel depuis son règlement 2015/2120, et pose des conditions reprises dans la Loi française pour une République numérique du 7 octobre 2016 (Loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, JORF n°0235 du 8 octobre 2016, articles 40 et suiv). Les parlements des Pays-Bas et de la Slovénie avaient même voté de telles législations dès 2012.

Un principe garant de la liberté d’expression et du développement durable

Si cette reconnaissance est si étendue, c’est que le principe de la neutralité du net est indispensable au respect des droits humains dans le cyberespace, en particulier de la liberté d’expression, mais aussi de la liberté de réunion et d’association, ou encore du droit à la vie privée. En droit international, aucun instrument juridique contraignant n’en donne une définition, mais il apparaît sous différentes formes dans une très grande variété de texte à valeur recommandatoire, témoignant d’une volonté politique en ce sens. Les résolutions du Conseil des droits de l’homme de l’ONU y font désormais régulièrement référence, ainsi que de nombreuses déclarations multilatérales, telles que l’Agenda de Tunis pour la société de l’information du SMSI de 2005, la Déclaration de Séoul sur le futur de l’économie d’Internet de l’OCDE de 2008, la Déclaration finale du SMSI+10, la Déclaration africaine des droits et des libertés de l’Internet de 2014 ou encore la plus récente Déclaration de l’Union africaine sur la gouvernance de l’Internet de 2016. L’Unesco a également contribué à éclaircir les rapports entre les notions de neutralité, d’ouverture, et d’accès à Internet, sous l’égide du concept de l’universalité d’Internet. Au niveau régional, le travail du Conseil de l’Europe est incontournable en la matière, en particulier grâce à la recommandation du Comité des ministres sur « la protection et la promotion du droit à la liberté d’expression et du droit à la vie privée en lien avec la neutralité du réseau » du 13 janvier 2016.

En outre, la neutralité du net est identifiée au niveau international comme un vecteur important de la réalisation des objectifs de développement durable tels que listés dans l’agenda 2030 de l’ONU. Les rencontres du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) en ont fait un principe central, qui doit être protégé face aux pratiques commerciales discriminatoires.

Dans ce contexte, le prochain vote de la FCC pourrait bien susciter de vives réactions, et illustrer une nouvelle fois l’inscription du mandat de D. Trump à contre-courant du consensus international.

Droit & Technologies

Auteurs

Géraldine Giraudeau

Géraldine Giraudeau est professeure de droit public à l’Université de Perpignan, en délégation à l’Université de la Nouvelle-Calédonie. Diplômée de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l’Université Carlos III de Madrid (doctorat en droit international), agrégée des Facultés de droit, ses recherches portent sur le droit international général et sur le droit comparé. Elle est l’auteur de plusieurs présentations et articles sur le droit international et les nouvelles technologies, en particulier sur la neutralité du net.

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