Journée internationale du handicap : qu’exige la directive sur l’accessibilité en matière de sites web et applications ?
Publié le 04/12/2025 par
Etienne Wery
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La Journée internationale du handicap est l’occasion parfaite pour rappeler que l’accessibilité ne concerne pas uniquement l’espace public physique. C’est aussi une question de sites web, d’applications et d’interfaces numériques. Un simple bouton mal codé, une image sans alternative textuelle, un texte contrasté trop faiblement… et l’accès à un service en ligne devient impossible. La…
La Journée internationale du handicap est l’occasion parfaite pour rappeler que l’accessibilité ne concerne pas uniquement l’espace public physique. C’est aussi une question de sites web, d’applications et d’interfaces numériques. Un simple bouton mal codé, une image sans alternative textuelle, un texte contrasté trop faiblement… et l’accès à un service en ligne devient impossible. La Directive européenne 2019/882, dite « Accessibility Act », entend changer cela. Derrière ce texte technique se joue un changement profond : faire du numérique un espace utilisable par tous.
Tous handicapés ?
La définition du handicap a constitué l’un des principaux points d’achoppement au sein de l’Union européenne, chaque État membre disposant de sa propre tradition juridique et s’écartant plus ou moins de la définition retenue dans la Convention des Nations Unies du 13 décembre 2006.
La directive vise ainsi les personnes présentant une déficience physique, mentale, intellectuelle ou sensorielle durable qui, en interaction avec diverses barrières, peut faire obstacle à leur participation pleine et effective à la société sur la base de l’égalité avec les autres.
Le handicap, au sens de la directive, ne doit donc pas être compris dans son acception courante, mais au regard de l’objectif d’inclusion et d’égalité. Une situation qui serait, en temps normal, considérée comme ordinaire peut ainsi, dans le cadre de la directive, constituer un handicap.
On songe par exemple au vieillissement. Le considérant 4 est explicite : le texte inclut « les personnes présentant une déficience physique, mentale, intellectuelle ou sensorielle, des limitations liées à l’âge ou toute autre limitation des capacités du corps humain, qu’elle soit permanente ou temporaire, lesquelles, en interaction avec diverses barrières, peuvent restreindre l’accès aux produits et services et nécessiter une adaptation de ceux-ci aux besoins particuliers de ces personnes. », y compris les personnes présentant une limitation visuelle, auditive, cognitive ou motrice.
Un cadre juridique qui s’appuie sur des précédents anciens
L’UE ne part pas de zéro : Traité d’Amsterdam, Charte des droits fondamentaux, Convention ONU… L’accessibilité existe dans le droit depuis longtemps, en particulier dans l’UE. Ce qui change aujourd’hui, c’est son champ d’application. Là où les obligations visaient surtout les services publics, elles concernent désormais les opérateurs privés, notamment les plateformes d’e-commerce, cœur du commerce contemporain.
Ce que la directive exige en pratique
L’exigence centrale repose sur quatre critères, bien connus des experts en accessibilité numérique :
- Perceptible
- Utilisable
- Compréhensible
- Robustesse.
Ils peuvent sembler théoriques, mais recouvrent des obligations concrètes : navigation au clavier, compatibilité avec les lecteurs d’écran, textes clairs, alternatives aux contenus non textuels, contrastes lisibles, explication des erreurs lors d’un formulaire, cohérence d’affichage. En pratique, un site accessible est un site où l’utilisateur ne se perd pas et ne bute pas sur un blocage technique.
La directive ne donne pas une liste unique de solutions, mais renvoie à des référentiels largement reconnus : WCAG, RGAA, plusieurs normes ISO. Ce sont des outils opérationnels qui permettront aux entreprises de concrétiser leurs obligations.
Focus sur l’e-commerce
Le texte comporte un volet spécifique dédié aux services de commerce en ligne. Les sites e-commerce doivent respecter les exigences générales d’accessibilité et des obligations spécifiques liées au parcours d’achat. Ce point est fondamental, car il étend l’accessibilité à chaque étape de l’acte commercial. Cela implique notamment que la navigation doit pouvoir se faire sans souris, uniquement via clavier ou aides techniques ; que les formulaires de création de compte, livraison ou paiement doivent être lisibles, compréhensibles et accessibles ; que les boutons d’action (ajouter au panier, payer, valider) doivent être détectables par un lecteur d’écran ; et que les méthodes d’identification, de signature ou de paiement doivent être utilisables par tous.
Le commerçant devra également informer clairement l’acheteur lorsqu’un produit possède des fonctionnalités utiles aux personnes en situation de handicap. Par exemple, préciser si un ordinateur est compatible avec un lecteur d’écran, si une vidéo dispose de sous-titres, ou si une liseuse permet un agrandissement fort des caractères. Cette information devra être visible, accessible et non noyée dans des mentions techniques.
L’obligation concerne aussi le tunnel d’achat. Ajouter le produit au panier, renseigner son adresse, valider le paiement : toutes ces étapes devront fonctionner pour un utilisateur qui navigue au clavier ou utilise des aides technologiques. Aujourd’hui, il suffit parfois d’un bouton mal étiqueté pour empêcher un achat. Demain, ce type d’obstacle constituera une non-conformité réglementaire, voire pourra engager la responsabilité du site marchand.
Calendrier
Depuis le 28 juin 2025, tout nouveau service numérique mis sur le marché doit être accessible.
Quant aux sites marchands et applications existantes, ils bénéficient d’une mise en oeuvre progressive, mais leur mise en conformité devra être achevée d’ici 2030.
La mécanique est simple : ce qui est né après 2025 doit être accessible dès sa mise en ligne ; ce qui existait avant dispose de quelques années pour s’adapter, mais ne peut plus évoluer sans intégrer immédiatement les exigences d’accessibilité. Chaque nouvelle fonctionnalité – page de paiement modernisée, identification biométrique, module de chat intégré – tombe ainsi directement sous le régime de l’accessibility by design.
Les exceptions : un sujet sensible, complexe
La directive prévoit des exceptions, qui soulèvent de nombreuses interrogations.
Deux motifs peuvent théoriquement justifier une non-mise en accessibilité : si l’adaptation impose une modification qui dénaturerait le service, ou si elle représente une charge disproportionnée pour l’entreprise.
Les microentreprises bénéficient d’un allégement, mais pas d’une exonération générale. La difficulté réside dans l’interprétation.
Qu’est-ce qui constitue une atteinte « fondamentale » au service ? À partir de quel niveau de coût ou de complexité peut-on parler de « charge disproportionnée » ? Comment le prouver ? Qui arbitrera ces situations, et selon quels critères ? Sur ce point, la directive ouvre plus de questions qu’elle n’en résout, même si une annexe tente d’établir des critères objectifs, et l’avenir dira comment les autorités nationales et les juges interpréteront cette marge. Ce qui est certain, c’est qu’une entreprise qui invoquera l’exception devra être en mesure de le démontrer, documentation à l’appui. Le simple argument de la difficulté technique ne suffira pas.
Plus d’infos en lisant notre note juridique
Cet article est un résumé de l’analyse plus complète de la directive, que vous pouvez télécharger librement (voir ci-dessous – en anglais).