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Faire « usage » de la marque d’autrui. De quoi s’agit-il exactement ?

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Pour pouvoir se plaindre, le titulaire de la marque doit établir que le tiers en a fait usage, sans son consentement. Passée longtemps (quasiment) inaperçue, cette condition est aujourd’hui au centre de nombreux débats. L’affaire Red Bull est l’occasion d’en retracer les contours.

Le cadre juridique

La  matière qui nous occupe dans cette note a son siège à l’article 5 de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, remplacé sans modification substantielle pour la matière qui nous occupe, par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008.

L’article 5.1 de la directive dispose ce qui suit : « La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires :

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque. »

En outre, l’article 5.2 crée un régime spécial pour la marque renommée permettant d’interdire « à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou comparable à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas comparables à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice. »

Il y a donc trois cas de figure :

1.       Un conflit entre une marque et un signe identique, pour des produits ou services identiques, ce que l’on appelle communément la double identité. La matière est visée à l’article 5.1.a) ;

2.       Un conflit entre une marque et un signe identique ou similaire, pour des produits ou services similaires, ce que l’on appelle communément la similarité. La matière est traitée à l’article 5.1.b) ;

3.       Si la marque est renommée, elle reçoit en outre une protection ad hoc fondée sur l’article 5.2.

L’usage de la marque, condition sine qua non

Si on laisse de côté la notion de vie des affaires, l’usage est une notion tout à fait centrale qui vise l’élément matériel de la contrefaçon : il s’agit de toute utilisation par un tiers, en pratique, du signe enregistré comme marque. Il peut s’agir d’une reproduction sur un support, visible par le public, mais que l’on ne s’y trompe pas : l’usage peut prendre d’autres formes qu’une reproduction visible par le public.

L’usage du signe identique doit porter « sur des produits ou services ». Loin d’être une simple formalité, ce test peut au contraire révéler des surprises. Celine est révélateur, rappelant qu’un usage à titre de dénomination sociale, de nom commercial ou d’enseigne n’est en principe pas effectué pour des produits ou services, sauf lorsque le tiers utilise ledit signe de telle façon qu’il s’établit un lien entre le signe constituant la dénomination sociale, le nom commercial ou l’enseigne du tiers et les produits commercialisés ou les services fournis par le tiers. On ne peut que s’interroger sur la constitutionnalité de l’article L. 713-6 CPI selon lequel « l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme : a) Dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi employant son nom patronymique ». Le CPI ajoute manifestement des conditions incompatibles avec la jurisprudence de la cour.

Il arrivera que l’usage « pour des produits ou des services » soit établi indirectement. Portakabin a été l’occasion de préciser qu’un lien HTML, bien que concis et ne permettant pas à l’annonceur de formuler des offres précises de vente ou de donner un aperçu complet des types de produits ou de services qu’il commercialise, est néanmoins un usage pour des produits ou services en ce sens qu’il vise à ce que les internautes cliquent dessus pour prendre connaissance de l’offre.

Les faits dans l’affaire Red Bull

La société Frisdranken Industrie Winters BV (« Winters ») est une entreprise néerlandaise dont l’activité principale est le « remplissage » de canettes avec des boissons produites par elle-même ou par des tiers.

La société Red Bull GmbH produit et commercialise une boisson énergisante sous la marque RED BULL. Elle a accompli pour cette marque des enregistrements internationaux désignant notamment les pays du Benelux.

Winters a rempli des canettes de boisson rafraîchissante pour le compte de Smart Drinks Ltd, personne morale de droit des Îles Vierges britanniques et société concurrente de Red Bull. À cet effet, Smart Drinks a livré à Winters des canettes vides et leurs capsules, revêtues de divers signes, dont certains étaient similaires à la marque de Red Bull. Smart Drinks a également livré à Winters le sirop de base de la boisson rafraîchissante.

La société Winters a rempli les canettes d’une quantité définie de sirop de base additionné d’eau et au besoin de gaz carbonique et fermé les canettes, le tout en suivant les indications et les recettes de Smart Drinks. Winters a ensuite restitué les canettes remplies à Smart Drinks qui les a exportées en dehors du Benelux. En l’espèce, Winters s’est limité à accomplir ces services de remplissage pour le compte de Smart Drinks, sans expédier les canettes remplies à cette dernière. En outre, elle a ni livré ni vendu ces canettes à des tiers.

La société Red Bull a saisi les juridictions néerlandaises en faisant valoir que Winters empiète sur ses droits de marques et demande qu’il soit ordonné à cette dernière de cesser tout usage des signes similaires à sa marque.

Y a t il un usage de la marque de Red Bull ?

L’affaire Red Bull a terminé devant la juridiction suprême de l’Union européenne, à qui le Hoge Raad der Nederlanden (Cour Suprême, Pays-Bas) demande si le simple « remplissage » de conditionnements pourvus d’un signe similaire à une marque protégée doit être qualifié « d’usage de ce signe » dans la vie des affaires au sens de la directive sur les marques même si ce remplissage intervient à titre de prestation de service pour un tiers et à sa demande. (C-119/10)

La Cour de l’Union européenne rappelle tout d’abord que, en vertu de cette directive, le titulaire d’une marque peut interdire l’usage, sans son consentement, d’un signe identique ou similaire à sa marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et, en raison de l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services.

La Cour examine si, en l’espèce, un prestataire de service tel que Winters fait lui-même un « usage » des signes similaires aux marques de Red Bull.

À cet égard, la Cour rappelle que le fait de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service, ne signifie pas que celui qui rend ce service fait lui-même un usage du signe.

Force est de constater qu’un prestataire de service qui se limite à remplir, sur commande et sur les instructions d’un tiers, des canettes déjà pourvues de signes similaires à des marques enregistrées ne fait pas lui-même un « usage » de ces signes au sens de la directive sur les marques. En effet, un tel prestataire exécute simplement une partie technique du processus de production du produit final, sans avoir le moindre intérêt dans la présentation externe des canettes et notamment dans les signes qui figurent sur celles-ci, et crée ainsi uniquement les conditions techniques nécessaires pour que ce tiers puisse faire un tel usage.

Par ailleurs, poursuit la Cour, à cette constatation s’ajoute le fait qu’un prestataire dans la situation de Winters ne ferait, en tout état de cause, pas un usage des signes « pour des produits ou des services » identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée au sens de la directive sur les marques.

Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, cette expression porte, en principe, sur les produits ou les services du tiers qui fait l’usage du signe. Or, en l’espèce, il est constant que le service fourni par Winters consiste dans le remplissage de canettes et que ce service ne présente aucune similitude avec le produit pour lequel les marques de Red Bull ont été enregistrées.

Certes, la Cour a déjà jugé, dans le cadre de la prestation de services en ligne, que cette expression énoncée à la directive peut, sous certaines conditions, englober des produits ou des services d’une autre personne pour le compte de laquelle le tiers agit. Ainsi, elle a considéré qu’une situation où le prestataire de services fait usage d’un signe correspondant à une marque d’autrui pour promouvoir des produits que l’un de ses clients commercialise à l’aide de ce service, relève de cette même expression lorsque cet usage est fait de telle façon qu’il s’établit un lien entre le signe et le service du prestataire.2

Cependant, le remplissage de canettes pourvues de signes similaires à des marques enregistrées n’est, par sa nature, pas comparable à un service visant à promouvoir la commercialisation de produits revêtus de tels signes et n’implique pas notamment la création d‘un lien entre ces signes et le service de remplissage. En effet, l’entreprise procédant au remplissage n’apparaît pas au consommateur, ce qui exclut toute association entre ses services et les signes.

Dès lors, la Cour répond que la directive sur les marques doit être interprétée en ce sens qu’un prestataire de service qui, sur commande et sur les instructions d’un tiers, remplit des conditionnements – qui lui ont été fournis par ce tiers, lequel y a fait apposer préalablement un signe identique ou similaire à un signe protégé en tant que marque – ne fait pas lui-même un usage de ce signe susceptible d’être interdit.

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