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Facebook est devenu payant ! Est-ce légal ?

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Ce matin, en me connectant, Facebook me propose une version payante sans publicité, ou une version gratuite avec publicité. Motif : « l’évolution des lois dans votre région ». Est-ce légal ? Pas si évident quand on y songe attentivement … Le consentement de l’utilisateur est-il libre ? Ce changement par rapport à la promesse de gratuité lors de la création du compte est-il admissible ? Analyse.

L’évolution de la page d’accueil de facebook

Facebook a été créé en 2004. Initialement, il était un réseau social destiné aux étudiants de l’Université Harvard, mais il s’est rapidement étendu à d’autres universités avant de devenir accessible au grand public.

La phrase « C’est gratuit (et ça le restera toujours) » est devenue une caractéristique notable de la page d’accueil de Facebook. Nous n’avons pas résisté à en faire la photo d’illustration de cette actu.

Cette phrase emblématique a été retirée de la page d’inscription de Facebook en août 2019.

Elle a été remplacée par « C’est facile et rapide ».

La société a présenté ce changement comme purement cosmétique, mais aucun observateur n’était dupe : la modification, intervenue quelques mois après l’adoption du RGPD, avait pour but d’ouvrir une possibilité (rendre Facebook payant pour que l’utilisateur compense via un paiement ce que le réseau social risquait de perdre en raison de l’entrée en vigueur du règlement).

C’est donc aujourd’hui une réalité : en me connectant, je suis confronté à la nouvelle version de la page d’accueil :

« Faites un choix concernant les publicités

Dans le cadre de l’évolution des lois dans votre région, vous pouvez maintenant choisir de continuer à utiliser les produits Meta gratuitement en nous autorisant à utiliser vos informations pour les publicités, ou de vous abonner pour les utiliser sans publicités. »

Pour 9,99 €/mois (TVAC) Meta propose de continuer à utiliser le compte facebook et promet que « Vos informations ne seront pas utilisées pour les publicités. »

Alternativement, Meta me propose de découvrir « des produits et des marques grâce à des publicités personnalisées, tout en utilisant votre compte Facebook gratuitement. Vos informations seront utilisées pour les publicités. »

Le site me signale aussi que « [mon] choix actuel » est le compte gratuit avec publicité.

Facebook propose une page dédiée avec plus d’infos sur les deux options, y compris la possibilité de quitter le service en supprimant le compte.

La gratuité est-elle un droit ?

Facebook, c’est entre 60 et 70.000 employés dans le monde. Aucune de ces personnes ne travaille bénévolement et il n’y a aucune raison pour qu’il en soit autrement.

Par ailleurs, un réseau social, quel qu’il soit, est un service qui permet d’entretenir des relations, créer un réseau, développer ses affaires, acheter et vendre des objets, se renseigner, s’exprimer, trouver l’âme sœur, etc.

Même si cela consiste à enfoncer une porte ouverte, il faut donc le rappeler : il est parfaitement normal que le coût de ce service soit couvert d’une manière ou d’une autre, et puisque le service est proposé par une société commerciale il est parfaitement légitime que celle-ci cherche à réaliser un profit.

Ce n’est donc ni le principe du caractère commercial de la démarche qui pose problème, ni le bénéfice vertigineux de Meta. C’est la manière de procéder qui pose question : comment financer tout cela puisque le but initial était que l’utilisateur ne débourse pas d’argent.

Au début du millénaire, avec le développement des technologies (notamment les cookies et les régies publicitaires en ligne), est apparu la possibilité de monétiser une audience. Le principe est simple : l’utilisation du service ne donne pas lieu à une rémunération en argent sonnant et trébuchant, car l’éditeur trouve une source de revenus alternative dans la valorisation des données des utilisateurs.

La sagesse populaire a traduit ce modèle en : « si c’est gratuit, c’est toi le produit ».

Le RGPD, cet empêcheur de tourner en rond

Ce modèle a été fortement mis en difficulté ces denrières années, et les difficultés juridiques se sont accumulées pour Facebook (Meta).

Outre les arrêts Schrems, il y a eu cette incroyable saga autour de la base de licéité permettant de cibler l’utilisateur en vue de lui afficher des publicités personnalisées.

Le jour de l’entrée en vigueur du règlement européen, Facebook a modifié l’ancienne base de licéité pour la remplacer par « l’exécution d’un contrat ». Il était, selon le réseau social, « nécessaire » de permettre les publicités personnalisées pour exécuter le contrat d’accès au site.

La CJUE a mis un terme à la discussion dans son arrêt du 4 juillet dernier, jugeant que « la nécessité d’exécuter le contrat auquel cette personne est partie ne justifie la pratique litigieuse qu’à la condition que le traitement de données soit objectivement indispensable de telle sorte que l’objet principal de ce contrat ne pourrait être atteint en l’absence de ce traitement. Sous réserve d’une vérification par le juge national, la Cour émet des doutes quant à la possibilité que la personnalisation des contenus ou l’utilisation homogène et fluide des services propres au groupe Meta puissent satisfaire à ces critères. De plus, selon la Cour, la personnalisation de la publicité par laquelle est financé le réseau social en ligne Facebook ne saurait justifier, en tant qu’intérêt légitime poursuivi par Meta Platforms Ireland, le traitement de données en cause, en l’absence du consentement de la personne concernée. »

Il y a eu ensuite cette décision de l’autorité norvégienne, prise dans la foulée de cet arrêt, interdisant à Facebook toute publicité ciblée vis-à-vis des utilisateurs norvégiens.

Il y a eu encore, la semaine passée, cette décision de l’EDPB, qui a décidé d’étendre la décision norvégienne à l’ensemble des pays de l’espace européen.

Il y a eu aussi le Digital Service Act qui, même s’il ne concerne pas la protection des données à caractère personnel, contient un certain nombre d’obligations qui impactent cette matière, notamment la question de la transparence des algorithmes. Les plateformes doivent expliquer comment leurs algorithmes recommandent des contenus publicitaires en fonction du profil des utilisateurs. Cette mesure vise à augmenter la compréhension des utilisateurs sur la manière dont leurs données sont utilisées pour cibler la publicité. Les plateformes sont tenues de proposer un système de recommandation de contenus qui n’est pas fondé sur le profilage. Cela offre aux utilisateurs une option pour recevoir des contenus recommandés sans que ceux-ci soient personnalisés en fonction de leur historique de navigation ou de leurs données personnelles. Un registre public des publicités doit être mis à disposition, contenant des informations sur qui a parrainé l’annonce, ainsi que sur la manière et les raisons pour lesquelles certaines personnes sont ciblées par cette publicité. Cette mesure vise à accroître la transparence autour des publicités en ligne et à permettre une meilleure compréhension des pratiques publicitaires​.​

Le passage au payant est-il conforme au RGPD ?

Il découle de la modification de la base de licéité en 2018, et de l’arrêt rendu le 4 juillet dernier, que la publicité ciblée doit reposer sur le consentement de l’utilisateur.

On rappelle à cet égard que :

  • Le consentement est « toute manifestation de volonté, libre, spécifique, éclairée et univoque par laquelle la personne concernée accepte, par une déclaration ou par un acte positif clair, que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement » (art. 4 RGPD)
  • La preuve du consentement incombe au responsable du traitement (art. 7.1 RGPD) ;
  • Le consentement doit être recueilli d’une manière transparente (si le consentement « est donné dans le cadre d’une déclaration écrite qui concerne également d’autres questions, la demande de consentement est présentée sous une forme qui la distingue clairement de ces autres questions, sous une forme compréhensible et aisément accessible, et formulée en des termes clairs et simples. » (art. 7.2 RGPD)
  • Le consentement peut être retiré. (art. 7.3 RGPD)

La Cour de justice s’est toujours montrée intraitable sur la question du consentement.

En l’occurrence, c’est le caractère « libre » du consentement qui nous semble poser problème.

Mettons-nous un instant du côté de l’utilisateur. J’ai un compte depuis 15 ans, il est un outil essentiel de communication en ligne et de relation avec mon réseau. C’est comme cela que je donne des nouvelles aux amis. Ma famille, qui vit dans un autre pays, me suit grâce à mon compte. J’ai rencontré l’âme soeur grâce à facebook rencontre. Bref, je construis ma vie en ligne largement grâce au réseau social.

Où est encore la liberté de consentement si, après 15 ans aux cours desquels facebook a créé une situation de fait qui me rend dépendant de mon compte, la société me propose une modification aussi radicale qu’un paiement ou une renonciation au compte avec tout ce que cela engendre ?

Est-ce que je donne mon consentement parce que je pense réellement que c’est la bonne chose à faire, ou est-ce que je le donne parce que je n’ai pas l’argent pour payer l’abonnement et que les sacrifices à consentir en renonçant à mon compte sont tels que je suis contraint d’accepter ?

Il faut aussi injecter dans l’appréciation le fait que, de l’aveu même de Facebook, la démarche n’a qu’un seul objectif : répondre à l’illégalité actuelle du traitement de données. En d’autres termes, l’utilisateur doit « couvrir » une illégalité commise par facebook en donnant son consentement, ou payer, ou renoncer. À nouveau, le validité du consentement paraît particulièrement douteuse.

Et puis, comment concilier tout cela avec l’article 7.4 RGPD qui énonce que « au moment de déterminer si le consentement est donné librement, il y a lieu de tenir le plus grand compte de la question de savoir, entre autres, si l’exécution d’un contrat, y compris la fourniture d’un service, est subordonnée au consentement au traitement de données à caractère personnel qui n’est pas nécessaire à l’exécution dudit contrat » (art. 7.4 RGPD) ? Dit autrement : le consentement donné à l’époque pour la publicité personnalisée n’était pas libre, car on a présenté comme « nécessaire » à l’exécution du contrat un traitement qui ne l’était pas, mais le consentement donné aujourd’hui pour « réparer » cela via un choix cornélien et basique, serait libre et valabement exprimé ?

Enfin, il y a la question du prix qui, plus il est élevé, plus il constitue une une manière de forcer l’utilisateur a conserver son réglage actuel et autoriser la publicité. Or, à 120 euros par an, Meta n’y a pas été avec le dos de la cuiller.

Le passage au payant est-il valable sur le plan contractuel ?

On l’a vu dans le rappel historique qui précède : le réseau social a, pendant plus de 15 ans, construit sa réputation avec une phrase devenue emblématique : « C’est gratuit et ça le restera toujours ».

Déjà à l’époque, cette phrase a fait sourire un certain nombre de juristes qui considéraient que le mot « gratuit » était trompeur : le service n’est pas gratuit, comme aucun service de ce type. Le financement est simplement déplacé. Il y a du reste eu une tentative judiciaire en Allemagne, qui s’est soldée par un échec puisque le juge a considéré la formule valable.

Mais aujourd’hui, les choses changent réellement : la modification porte sur une promesse de gratuité pour le moins explicite (« c’est gratuit ») et radicale (« ça le restera toujours »).

En d’autres termes, c’est une modification unilatérale du contrat, portant sur un élément essentiel ayant déterminé l’utilisateur à s’engager à l’époque, sur lequel l’éditeur revient avec, en cas de refus, une situation extrêmement dommageable pour celui qui se retrouve, du jour au lendemain, privé de cet outil.

Le droit des contrats n’aime pas trop ce genre de démarche, et le droit de la consommation (pour tous les comptes non-professionnels) encore moins.

Que peut faire facebook ?

Faut-il conclure de ce qui précède que toute modification est impossible ?

Certainement pas. On l’a dit : Facebook a le droit de gagner sa vie en proposant un service par ailleurs extrêmement apprécié par un grand nombre d’utilisateurs.

Ce qui pose problème, c’est la brutalité de l’évolution et l’ultra-simplicité du choix (tu payes ou tu dégages) dans un contexte qui a vu le réseau insister sur la gratuité, qui fait que l’opération ressemble plus à un braquage qu’à un consentement.

Nous aurions été moins heurté par le fait de proposer le choix payant/gratuit aux nouveaux comptes, en laissant les anciens comptes créés à l’époque du slogan « C’est gratuit et ça le restera toujours » bénéficier de la gratuité (sans publicité). Une autre option consisterait à découper la solution en un service de base (sans publicité), accompagné d’options (payantes ou avec acceptation de la publicité). Au fur et à mesure du temps, si les options présentent une plus-value pour l’utilisateur, celui-ci aura tendance à évoluer, librement, vers la solution complète, tout en gardant la possibilité de rester avec une solution basique et conforme au RGPD.

Nous ne serions guère étonné qu’une action collective voie le jour, quelque part en Europe, pour contester ce changement brutal et douteux.

Il sera aussi intéressant de voir la réaction des autres réseaux sociaux car ce qui précède vaut pour faeabook, certes, mais aussi pour les autres acteurs mondiaux qui fonctionnaieent sur le même business model.

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