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Euro, Mondial et autres compétitions sportives : à quelles conditions les chaines peuvent-elles diffuser de brefs extraits ?

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En plein Euro 2012, la Cour de justice se penche sur la cadre applicable à la diffusion de brefs extraits des manifestations sportives. Un débat très chaud lorsqu’on considère la foire d’empoigne qu’est la saison des négociations avec les titulaires de droits. Entre gros sous d’une part, et liberté d’information d’autre part, quelles sont les règles à suivre … ?

Depuis quelques mois, la problématique de la diffusion des images des manifestations sportives occupent largement les prétoires de la Cour de Luxembourg. Après avoir validé l’approche extensive de la notion d’événement d’importance majeure pour la société[1], avoir stigmatisé la segmentation nationale des droits de retransmission sportive[2], le juge européen devrait prochainement se prononcer sur la mise en œuvre de l’exception de courte citation en matière sportive.

L’Avocat général, Y. Bot, vient de rendre ses conclusions dans l’affaire C-283/11 qui conduira la CJUE à apprécier la conformité du mécanisme des brefs extraits, institué par le législateur européen au sein de la Directive « Services de médias audiovisuels »[3], avec les droits fondamentaux que sont la liberté d’entreprise et le droit de la propriété.

Le cadre juridique

Conformément à l’article 15 de la Directive SMA, sous réserve d’observer certaines conditions, l’acquisition d’un droit exclusif de retransmission d’un événement présentant un grand intérêt pour le public, par un organisme de radiodiffusion télévisuelle, ne peut empêcher que d’autres organismes de radiodiffusion télévisuelle établis dans l’Union puissent en réaliser de brefs reportages d’actualité. En particulier, dans le but de réaliser de tels reportages, les radiodiffuseurs secondaires seront amenés à choisir librement leurs brefs extraits à partir soit d’un accès au signal du radiodiffuseur détenteur des droits exclusifs, soit par tout autre moyen efficient tel que l’accès au lieu où se déroule l’événement en cause. En outre, le droit de réaliser des brefs reportages d’actualité peut être soumis à une compensation financière qui ne peut être supérieure aux frais supplémentaires directement occasionnés par la fourniture de l’accès aux brefs extraits.

Le litige en cause

En l’occurrence, la question du strict encadrement de la compensation financière qui peut être réclamée en contrepartie du droit de courte citation a donné lieu à un différend, sur le territoire autrichien, entre deux organismes de radiodiffusion télévisuelle. Suite à la contestation d’un radiodiffuseur secondaire quant au montant de la compensation financière qui avait été fixée en vue d’obtenir le droit de réaliser des brefs reportages d’actualité sur certains matchs de la Ligue Europa (saisons 2009/2010 à 2011/2012), l’autorité autrichienne de régulation en matière de communication, se fondant sur la limitation prévue par les textes, a constaté que, en l’espèce, les frais d’accès au signal satellitaire étaient nuls. Autant dire que le radiodiffuseur secondaire était en droit de réaliser de brefs reportages d’actualité sur la Ligue Europa sans verser une quelconque rémunération au radiodiffuseur détenteur des droits. Or, ce dernier contestait une telle analyse puisque, selon lui, l’interdiction systématique, sans se prononcer au cas par cas, d’une indemnisation des radiodiffuseurs détenteurs des droits exclusifs de retransmission, telle qu’elle résulte de la Directive SMA, constitue une violation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de la CEDH et du droit constitutionnel autrichien. Une telle mesure réduit considérablement son droit de propriété. Le Conseil supérieur fédéral de la communication, saisi également du litige, a décidé de surseoir à statuer afin de recourir au mécanisme du renvoi préjudiciel.

A l’appui de sa question préjudicielle, le Conseil supérieur fédéral de la communication se réfère à des décisions rendues par la Cour constitutionnelle allemande[4] et la Cour constitutionnelle autrichienne[5] qui, dans un cas similaire, ont considéré que, conformément aux dispositions qui garantissent le droit de propriété et la liberté d’entreprise,  l’octroi du droit de réaliser de brefs reportages d’actualité doit donner lieu au paiement d’une rémunération raisonnable ou d’une contrepartie appropriée qui peut notamment tenir compte du coût d’acquisition des droits exclusifs.

Selon l’Avocat général, ces décisions ne sont pas nécessairement pertinentes à l’échelle communautaire dans la mesure où « la sauvegarde des droits fondamentaux au sein de l’Union doit être assurée dans le cadre de la structure et des objectifs de celle-ci. Il s’ensuit que la pondération qu’il y a lieu d’effectuer entre les différents droits fondamentaux en jeu n’appelle pas nécessairement la même réponse selon qu’elle est effectuée dans le cadre national ou au niveau de l’Union. Dans la présente affaire, nous considérons […] que les impératifs liés à l’achèvement du marché intérieur et à l’émergence d’un espace unique de l’information militaient en faveur de l’adoption par le législateur de l’Union d’une disposition de compromis entre l’octroi gratuit d’un droit aux courts extraits et la participation financière des radiodiffuseurs secondaires aux coûts d’acquisition des droits exclusifs de transmission ».

Par conséquent, de l’avis de l’Avocat général, l’article 15, paragraphe 6, de la Directive SMA en ce qu’il limite la compensation financière due au radiodiffuseur primaire par les radiodiffuseurs secondaires pour réaliser des brefs reportages d’actualité sur un événement présentant un grand intérêt pour le public, tel que des matchs de la Ligue Europa, n’est pas condamnable sur le fondement des droits fondamentaux.

Certes, le mécanisme des brefs extraits de la Directive SMA constitue une atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union (droit de propriété et liberté d’entreprise). En effet, l’encadrement qui en résulte fait obstacle à la possibilité pour les radiodiffuseurs primaires « de décider librement du prix auquel ils entendent céder l’accès aux courts extraits » et, de ce fait, rend toute participation des radiodiffuseurs secondaires aux coûts d’acquisition des droits exclusifs illusoire ce qui est de nature à impacter la valeur commerciale des droits exclusifs.

Néanmoins, l’encadrement des modalités financières consécutives à la mise à disposition des brefs extraits poursuit un objectif légitime qui s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression et spécifiquement dans le cadre de « la liberté de recevoir des informations et le pluralisme des médias ». En outre, la poursuite de cet objectif légitime, qui favorise au demeurant l’achèvement du marché intérieur et facilite l’émergence d’un espace unique de l’information, est réalisée de manière proportionnée à travers la limitation de la compensation financière. « Il s’agit du moyen le plus efficace afin d’éviter de cloisonner la diffusion entre les Etats membres et selon l’importance économique des organismes de radiodiffusion télévisuelle ». D’après l’Avocat général, il est évident que l’instauration au sein de la Directive SMA d’un régime distinct suivant que l’organisme de radiodiffusion soit de nature publique ou privée ou encore exerce ou non une mission de service public aurait été excessive au regard de l’objectif poursuivi.

L’arrêt est attendu pour la fin de l’été ou le début de l’automne.

En France

En réalité, le bien fondé de l’article 15, paragraphe 6, de la Directive SMA au regard des droits fondamentaux repose essentiellement sur les conditions et limites posées par le législateur de l’Union dans la mise en œuvre du droit aux brefs extraits par les radiodiffuseurs secondaires (nature de l’événement, finalité des brefs reportages d’actualité, indication de la source des extraits…). « A contrario, s’il avait résulté de l’économie de cet article [l’article 15] que le droit aux brefs reportages d’actualité n’était soumis à aucune limitation, l’atteinte aurait pu être considérée comme étant disproportionnée ».

Ainsi, si l’on met en perspective cette affaire avec la législation française, il semble que, quelle que soit la position de la CJUE, la compatibilité de la règlementation française des brefs extraits[6] avec le droit communautaire soit sujette à discussion dans la mesure où le législateur français a posé le principe selon lequel « le vendeur ou l’acquéreur de ce droit ne peut s’opposer à la diffusion, par d’autres services de communication au public par voie électronique, de brefs extraits prélevés à titre gratuit parmi les images du ou des services cessionnaires et librement choisis par le service non cessionnaire du droit d’exploitation qui les diffuse »[7].

La jurisprudence française ne s’est jamais véritablement prononcée sur cette problématique et ce contrairement à d’autres modalités pratiques de l’exception de courte citation en matière sportive. En effet, si le législateur a, dès 1992, posé les bases du mécanisme des brefs extraits sportifs, il avait laissé le soin au pouvoir réglementaire de venir en préciser les contours. Or, le décret n’étant pas intervenu, les tribunaux ont joué un rôle significatif dans ce domaine en étudiant notamment la problématique de la durée maximale des brefs extraits ou encore celle du délai de leur diffusion[8]. De manière schématique, il est prévu que la « norme » en la matière, héritée du code de bonne conduite du 22 janvier 1992, est en principe de 90 secondes. Il n’en demeure pas moins que le recours à la jurisprudence est perçu par la plupart des professionnels du secteur comme une source d’insécurité juridique en raison de revirements potentiels[9]. Preuve en est des solutions jurisprudentielles divergentes en ce qui concerne l’étendue de la notion de brefs extraits en présence d’images sportives diffusées par les chaînes d’information en continu[10].

Pour surmonter ces difficultés, le législateur a récemment confié au Conseil supérieur de l’audiovisuel le pouvoir de préciser les conditions de diffusion des brefs extraits[11]. Préalablement à la mise en œuvre de cette prérogative, le CSA a souhaité procéder à une consultation publique, en avril dernier, en vue de recueillir le point de vue des différents acteurs concernés[12]. C’est dire qu’une évolution du cadre légal français de l’exception de courte citation en matière sportive est imminente. Pour autant, la question de l’accès payant aux brefs extraits ne devrait pas en être. D’une part, les dispositions légales prévoient expressément un principe de gratuité. D’autre part, si l’on considère, sur la base de la Directive SMA (considérant 55), que l’accès aux brefs extraits est une question distincte de celle de leur diffusion, il n’appartiendrait pas au CSA, aux termes de la loi, de se positionner sur la problématique du caractère onéreux de l’accès aux brefs extraits[13]. D’ailleurs, la récente consultation publique du CSA n’envisage nullement cette thématique alors que lors de sa consultation publique de 2008 l’autorité en charge de la régulation de l’audiovisuel avait émis l’hypothèse d’un dispositif complémentaire de brefs extraits payants au-delà des 90 secondes[14]. Pourtant, à ce jour, le droit de l’Union impose expressément une certaine compensation financière.

 


 

[1] TPIUE, 7e ch., 17 févr. 2011, aff. T.-385/07, FIFA c/ Commission européenne ; T-68/08, FIFA c/ Commission européenne ; aff. T-55/08, UEFA c/ Commission européenne, Cah. dr. sport, n° 23, 2011, p. 173, note S. Le Reste ; p. 223, note F. Rizzo.

[2] CJUE, grande chambre, 4 oct. 2011, aff. C-403/08, Football Association Premier League Ltd, et al. c/ QC Leisure, et al. ;  C-429/08, Karen Murphy c/ Media Protection Services Ltd, Cah. dr. sport, n° 26, p. 190, note A. Signorile.

[3] Directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mars 2010, visant à la coordination de certaines dispositions législatives réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (JO L 95, p. 1)

[4] Arrêt du 17 février 1998.

[5] Arrêt du 1er décembre 2006.

[6] A noter que, conformément à l’article 20-4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le mécanisme des brefs extraits résultant du Code du sport « est applicable aux événements de toute nature qui présentent un grand intérêt pour le public ».

[7] Article L. 333-7 alinéa 2 du Code du sport.

[8] F. Rizzo, « Le droit de citation en matière sportive », Cah. dr. sport, n° 11, p. 32 ; F. Rizzo, « Régime juridique des événements sportifs », J.-Cl. Consommation, Fasc. 4125, 2010, spéc. n° 50  et s.

[9] Synthèse des contributions à la consultation publique du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative au droit à l’information sportive, 2008, p. 2.

[10] F. Buy, J.-M. Marmayou, D. Poracchia, F. Rizzo, Droit du sport, 2e éd., LGDJ, 2009, n° 1173.

[11] Article 22 de la loi n° 2012-158 du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs. Cf. sur cette loi : dossier spécial, La loi « éthique », in Cah. dr. sport, n° 27, 2012, p. 17 et s.

[12] Les contributions devaient parvenir au CSA au plus tard le 18 mai 2012.

[13] Article L. 333-7 alinéa 6 du Code du sport : « Le Conseil supérieur de l’audiovisuel fixe les conditions de diffusion des brefs extraits prévus au présent article, après consultation du Comité national olympique et sportif français et des organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l’article L. 331-5 ».

[14] Synthèse des contributions à la consultation publique du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative au droit à l’information sportive, 2008, p. 5.

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