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Victoire de l’industrie musicale : la cour de cassation nuance fortement la question de la copie privée

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La cour de cassation a rendu hier, le 28 février 2006, un arrêt cassant la décision rendue le 22 avril 2005 par la cour d’appel de Paris, dans le débat extrêmement sensible opposant d’une part les mesures de protection technique, et d’autre part l’exception de copie privée (affaire Mulholland Drive). Cette décision de la cour…

La cour de cassation a rendu hier, le 28 février 2006, un arrêt cassant la décision rendue le 22 avril 2005 par la cour d’appel de Paris, dans le débat extrêmement sensible opposant d’une part les mesures de protection technique, et d’autre part l’exception de copie privée (affaire Mulholland Drive). Cette décision de la cour suprême intervient peu de temps après le jugement du 10 janvier 2006 du TGI de Paris rendu dans la même matière, et au beau milieu du débat qui agite actuellement l’Assemblée Nationale dans le cadre de la transposition de la directive sur les droits d’auteur dans la société de l’information.

L’occasion de faire le point …

L’arrêt rendu par la cour suprême

Pour la cour de cassation :

« (…) l’arrêt, après avoir relevé que la copie privée ne constituait qu’une exception légale aux droits d’auteur et non un droit reconnu de manière absolue à l’usager, retient que cette exception ne saurait être limitée alors que la législation française ne comporte aucune disposition en ce sens ; Qu’en l’absence de dévoiement répréhensible, dont la preuve en l’espèce n’est pas rapportée, une copie à usage privé n’est pas de nature à porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre sous forme de DVD, laquelle génère des revenus nécessaires à l’amortissement des coûts de production ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, propre à faire écarter l’exception de copie privée s’apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d’auteur et de l’importance économique que l’exploitation de l’œuvre, sous forme de DVD, représente pour l’amortissement des coûts de production cinématographique, la cour d’appel a violé les textes susvisés »

La question est sur toutes les lèvres : que retenir de cet arrêt ? Celui-ci met-il un terme définitif au débat, à tout le moins en l’état actuel de la législation ?

La réponse doit être nuancée.

Le triple test, étape indispensable

La cour commence par rappeler que la reproduction des œuvres littéraires et artistiques protégées par le droit d’auteur peut être autorisée, (1) dans certains cas spéciaux, (2) pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exportation normale de l’œuvre, (3) ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

Ce faisant, la cour interprète tout simplement les articles L. 122-5 et L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle à la lumière de la directive du 22 mai 2001 sur les droits d’auteur dans la société d’information (ensemble l’article 9.2 de la Convention de Berne).

Les hauts magistrats en déduisent que l’exception de copie privée ne peut pas faire échec aux mesures techniques de protection destinées à empêcher la copie, lorsque cette copie aurait pour effet de porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, laquelle doit s’apprécier en tenant compte de l’incidence économique qu’une telle copie peut avoir dans le contexte de l’environnement numérique.

La cour de cassation doit incontestablement être approuvée lors qu’elle impose aux juges de se soumettre au droit international et européen applicable et de passer par le triple test :

  1. la reproduction n’est admise que dans certains cas spéciaux,

  2. pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre,

  3. ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

Du reste, après quelques hésitations, les juges du fond se sont aujourd’hui alignés sur cette manière de procéder. Qu’il s’agisse de l’arrêt soumis à la censure de la cour de cassation, ou de la décision du TGI de Paris du 10 avril 2006, les juges du fond ont chaque fois pris soin d’effectuer le triple test requis. (Autre chose étant de savoir si ce test devra encore être effectué une fois que la France aura transposé en droit interne la directive, puisqu’une bonne partie des observateurs considèrent que le triple test est présumé avoir été réalisé par le législateur au moment de l’adoption de la loi. Ceci est une autre question.)

La deuxième condition : l’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre

Dans le cas d’espèce, c’est la deuxième condition qui pose problème : pour rappel, celle-ci impose de vérifier que la reproduction « ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ».

  1. L’arrêt de la cour de cassation comporte un premier enseignement : les magistrats estiment en effet que l’exploitation normale « doit s’apprécier en tenant compte de l’incidence économique qu’une telle copie peut avoir dans le contexte de l’environnement numérique ».

    C’est donc l’approche économique qui est privilégiée par la cour de cassation.

    Cette approche économique est aussi celle qui a été privilégiée dans le rapport d’un groupe spécial de l’OMC institué dans le cadre d’un différend intervenu entre l’UE et les Etats-Unis : les experts y calculent l’exploitation normale de l’œuvre (et partant les atteintes) en termes de valeur économique, de recettes, de concurrence (voir : Rapport du Groupe Spécial « Etats-Unis – Article 110 5) de la Loi sur le droit d’auteur », WT/ DS 160/ R, 15 juin 2000, disponible à l’adresse ).

    Ce n’est pas la seule approche même si cela reste l’angle d’attaque le plus courant (on peut en effet concevoir, fût-ce in abstracto, qu’un titulaire de droits les exploite non pour en retirer un profit direct mais d’autres avantages, dont la renommée ; certains auteurs et artistes-interprètes privilégient cette approche en diffusant eux-mêmes leurs œuvres sur le réseau sans passer par les circuits habituels et en fondant leur démarche sur un autre modèle économique).

  2. Qu’avait dit la cour d’appel sur l’atteinte à l’exploitation normale ? L’arrêt du 22 avril 2005, censuré, énonce que :

    « Considérant que, sur la condition de ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé, le tribunal ne saurait être suivi quand il a jugé que ‘la copie d’une œuvre filmographique éditée sur support numérique ne peut que porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et que cette atteinte sera nécessairement grave car elle affectera un mode d’exploitation essentielle de ladite œuvre indispensable à l’amortissement de ses coûts de production’ ;

    En effet, s’il n’est pas contestable que l’exploitation d’une œuvre sous forme de DVD constitue une exploitation normale de celle-ci, comme l’est d’ailleurs une exploitation sur des cassettes vidéo, et est source de revenus nécessaires à l’amortissement des coûts de production, il n’est pas expliqué en quoi l’existence d’une copie privée, qui, en son principe et en l’absence de dévoiement répréhensible, ne fait pas échec à une exploitation commerciale normale, caractérise l’atteinte illégitime, ce d’autant plus qu’est prise en compte cette exigence de rentabilité par la fixation d’une rémunération en fonction de la qualité d’une reproduction numérique et que l’auteur ou ses ayant droit ne subit pas obligatoirement de manque à gagner, l’impossibilité de réaliser une copie n’impliquant pas nécessairement pour le consommateur une nouvelle acquisition du même produit ».

  3. C’est ici que l’appréciation de la cour de cassation est différente, celle-ci estimant au contraire que :

    Qu’en statuant ainsi, alors que l’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, propre à faire écarter l’exception de copie privée s’apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d’auteur et de l’importance économique que l’exploitation de l’œuvre, sous forme de DVD, représente pour l’amortissement des coûts de production cinématographique, la cour d’appel a violé les textes susvisés »

Qu’a voulu dire la cour de cassation ? Que retenir au final ?

Sur base d’un raisonnement par l’absurde, on peut retenir que la cour de cassation n’a pas décidé que l’exception de copie privée ne s’applique tout simplement pas dans l’environnement numérique. Le pouvoir judiciaire n’a pas compétence pour écarter toute application des articles L. 122-5 et L. 211-3 CPI dès l’instant où l’on se place dans l’environnement numérique. Cela reviendrait en effet à modifier le texte de la loi, ce qui relève de la compétence exclusive du législateur ; or, on sait que les hauts magistrats ont toujours eu à cœur de maintenir scrupuleusement la séparation des pouvoirs.

Toujours par l’absurde, on peut retenir que la cour de cassation n’a pas censuré la cour d’appel en ce qu’elle a estimé, en fait, qu’il y avait ou non atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre. En effet, s’il est certain qu’au titre du contrôle de la légalité, la cour de cassation a le droit (et le devoir) de vérifier que le juge du fond applique le triple test, il est tout aussi certain que l’appréciation marginale [nous soulignons] de la cour de cassation ne l’autorise pas à invalider le raisonnement de fait du juge du fond. L’appréciation en fait est du ressort exclusif du juge du fond.

Il semble donc que l’enseignement de la cour de cassation soit le suivant : la cour d’appel n’a pas expliqué en quoi, dans le nouvel environnement numérique, il y a ou non atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre protégée.

Il est vrai que le juge d’appel a seulement estimé que « l’existence d’une copie privée, […] en son principe et en l’absence de dévoiement répréhensible, ne fait pas échec à l’exploitation commerciale normale [de l’œuvre] ».

Nonobstant la cassation pour « violation des textes susvisés » [NDR : les articles L 122-5 et L 211-3 CPI], on se situerait donc à cheval entre le contrôle de légalité pour violation d’une norme et le défaut de motivation.

Et demain ?

La cour d’appel de Paris va prochainement devoir se repencher sur le délicat problème de la copie privée et des mesures de protection technique.

Elle le fera à deux titres :

  • D’une part, elle va hériter de l’appel diligenté contre la décision du TGI de Paris du 10 janvier 2006 (affaire Phil Collins) ;

  • D’autre part, elle va retrouver après cassation l’affaire Mulholland Drive commentée ci-dessus. La cour de cassation a en effet renvoyé l’affaire à la cour d’appel de Paris autrement composée.

Bien malin celui qui peut dire aujourd’hui le sens dans lequel les choses évolueront.

Il y a toutefois une certitude : la charge de la preuve de l’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre repose sur l’industrie.

La motivation du jugement du TGI de Paris du 10 janvier 2006 est exemplaire sur ce point. Le tribunal avait en effet estimé, s’agissant de la deuxième condition, que « les sociétés défenderesse ne développent pas en quoi la copie privée destinée à un usage strictement réglementé par la loi nuit à l’exportation normale de l’œuvre, procédant seulement par comparaison avec le marché des DVD en reprenant à leur compte les motifs d’une décision rendue par le tribunal de céans siégeant dans une autre composition, ou bien encore avec le marché des logiciels, étranger au présent litige ; (…) il n’est pas démontré pour autant que cette exploitation serait affectée par la copie privée effectuée par l’utilisateur pour son compte personnel ; (…) Qu’aucune étude économique faisant ressortir les effets sur le marché du disque de la réalisation de copie privée déversée au débat par les sociétés défenderesse ».

Il y a également des jalons qui existent. Le groupe spécial de l’OMC dont nous avons parlé ci-dessus à en effet précisé certains critères d’appréciation ; notamment :

  • L’exploitation est « l’activité par laquelle les titulaires de droits d’auteur usent des droits exclusifs qui leur ont été conférés pour tirer une valeur économique de leurs droits sur ces œuvres ».

  • Pour savoir ci cette exploitation est normale, il faudrait « se fonder sur les manières dont on pourrait raisonnablement s’attendre qu’un auteur exploite son œuvre en temps normal » , et « examiner les formes d’exploitation qui génèrent actuellement des recettes significatives ou tangibles, ou celles qui, avec un certain degré de probabilité et de plausibilité, pourraient revêtir une importance économique ou pratique considérable ».

  • Les exceptions ne portent pas atteinte à cette exploitation normale si « elles sont restreintes à une portée ou à un degré qui ne constitue pas une concurrence aux utilisations économiques ne bénéficiant pas de ces exceptions ».

  • Cette exploitation normale « est affectée non seulement par ceux qui les utilisent effectivement sans autorisation des détenteurs de droits en raison d’une exception ou limitation, mais aussi par ceux qui peuvent être incités par cette exception ou limitation à les utiliser à tout moment sans avoir à obtenir de licence auprès des détenteurs de droits ».

Les paris sont ouverts …

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