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Protection juridique des mesures techniques anti-piratage : le cas du DVD

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Historique Le début de ce nouveau millénaire a vu l’éclosion de quelques litiges relatifs à la protection des mesures techniques aux Etats-Unis. L’affaire la plus médiatisée jusqu’ici est sans doute celle qui concerne la protection technique apposée sur les supports DVD qui font une poussée commerciale fulgurante. Les questions posées par ce cas sont en…

Historique

Le début de ce nouveau millénaire a vu l’éclosion de quelques litiges relatifs à la protection des mesures techniques aux Etats-Unis. L’affaire la plus médiatisée jusqu’ici est sans doute celle qui concerne la protection technique apposée sur les supports DVD qui font une poussée commerciale fulgurante. Les questions posées par ce cas sont en outre particulièrement intéressantes puisque sont mises en cause à la fois les notions de droit d’auteur, d’exceptions au droit d’auteur, de liberté d’expression et de position dominante.

Tout a commencé il y a quelques semaines, fin novembre 1999, lorsque des internautes norvégiens ont réussi à décrypter le mécanisme de protection du DVD, le Content Scrambling System (CSS), basé sur la cryptographie, dont la fonction principale est d’empêcher que les DVD soient copiés ou qu’ils soient joués sur des appareils de lecture non autorisés.

Et c’est là le nœud du problème.

L’industrie cinématographique et les concepteurs de la technologie CSS accordent des licences aux fabricants d’équipements électroniques et informatiques, afin qu’ils puissent intégrer dans leurs appareils une fonction de lecture DVD. Une fois la licence conclue, la DVDCCA ou DVD Copy Control Association qui gère ces licences, leur fournit une clé de décryptage permettant de lire les supports. Le CSS comprend ainsi plus de 40 clés différentes.

D’une part, un de ces licenciés aurait oublié de crypter la clé de décryptage intégrée dans l’appareil de lecture, ce qui a permis aux petits malins norvégiens de défaire en un tour de main la protection et de distribuer largement sur Internet le code source de la clé de décryptage, appelée DeCSS.

D’autre part, le prix de la licence est assez élevé ce qui laisse certaines interfaces hors du cercle fermé des licenciés DVD : ainsi, le système d’exploitation Linux en est dépourvu. L’objectif des utilisateurs norvégiens qui ont percé le secret du cryptage du DVD aurait été de pouvoir jouer les DVD sur ce système d’exploitation Linux. Ce qui permet de faire dire aux personnes poursuivies et à Linux que l’objectif réel des poursuites n’est pas la protection du droit d’auteur sur les films mais bien le contrôle du marché des licences.

Aspects juridiques du dossier

La première étape de ce feuilleton judiciaire a été perdue par les exploitants du système de protection de DVD. Un juge californien a rejeté leur demande pour un temporary restraining order, action proche de notre action en cessation, malheureusement sans étayer sa décision d’une motivation précise.

A ma connaissance, c’est le premier cas aux Etats-Unis où la protection des mesures techniques instaurée par le Digital Millenium Copyright Act trouverait à s’appliquer.

Adoptée en octobre 1998 afin notamment de transposer les Traités OMPI, cette législation insère dans le Copyright Act américain une section 1201 qui dispose :

 
a) VIOLATIONS REGARDING CIRCUMVENTION OF TECHNOLOGICAL MEASURES

 
(1) No person shall circumvent a technological measure that effectively controls access to a work protected under this title.(…) 

2) No person shall manufacture, import, offer to the public, provide, or otherwise traffic in any technology, product, service, device, component, or part thereof, that:

     

  • (A) is primarily designed or produced for the purpose of circumventing a technological measure that effectively controls access to a work protected under this title; 

  • (B) has only limited commercially significant purpose or use other than to circumvent a technological measure that effectively controls access to a work protected under this title; or 

  • (C) is marketed by that person or another acting in concert with that person with that person’s knowledge for use in circumventing a technological measure that effectively controls access to a work protected under this title.

Cette législation permet donc à la fois de sanctionner les actes de neutralisation de mesures techniques contrôlant l’accès à des œuvres, ainsi que la distribution d’équipements destinés à faciliter cette neutralisation. En outre un autre article prohibe la neutralisation des mesures techniques qui protègent un droit reconnu à l’auteur par le Copyright Act, tel que le droit de reproduction par exemple.

La protection du DVD est un exemple parfait de cette triple protection. En effet, d’une part le CSS protège le film contre la copie, et à ce titre sera protégé par les dispositions relatives aux mesures techniques protégeant un droit de l’auteur, et d’autre part il en contrôle l’accès, ce qui autorise à poursuivre le contournement et la distribution d’équipements illicites sur base de l’article 1201a) (1) précité. Dans ce dernier cas, les personnes poursuivies le seront soit pour avoir décrypté sans autorisation le mécanisme de protection, soit pour avoir offert au public via Internet les clés de décryptage illicites.

Or le DVDCCA ne paraît pas poursuivre les internautes qui distribuent le logiciel de décryptage sur cette base mais invoquent plutôt la violation d’un secret d’affaires.

La riposte des accusés ne fut pas longue.

Ils ont d’abord bénéficié d’une maladresse des demandeurs qui leur ont envoyé un message d’avertissement en indiquant les emails de tous les destinataires dans le champ « cc: ». Ce qui a bien entendu permis à toutes les personnes concernées de se regrouper en vue de préparer leur défense.

De nombreux sites web ont également fleuri pour protester contre l’action en justice jugée abusive. Leur argument principal repose sur la liberté d’expression, droit sacré aux Etats-Unis. En effet l’association du DVD ne s’est pas contentée de poursuivre les personnes qui fournissaient sur leur site la clé de décryptage mais également celles qui indiquaient par des hyperliens les sites où trouver cette clé. Insérer des hyperliens dans un site constituerait l’exercice sur Internet de la liberté d’expression, disent-ils. On a vu comment cette problématique a été jugée ailleurs, en Belgique et aux Pays-bas notamment.

Cet argument de la liberté d’expression se renforce encore pour certaines personnes impliquées, qui n’ont fait que rapporter les faits en question. Par exemple le site slashdot.org, site d’informations sur Internet, a lancé une discussion sur le développement et la distribution du DeCSS. Dans les liens utiles relatifs aux articles se trouvait l’adresse d’un site où le code source du DeCSS pouvait être trouvé. Passe-t-on ici de la liberté d’expression à la liberté de la presse ? Est-on en présence d’une exception au droit d’auteur dans un but d’information ?

Un autre point de la défense est d’invoquer que le contournement du mécanisme de protection ne s’est réalisé que pour permettre la décompilation du logiciel afin d’assurer l’interopérabilité de celui-ci avec les systèmes d’exploitation Linux. Le droit d’auteur américain reconnaît, à l’instar de la législation européenne, une exception en matière de décompilation de logiciels ou reverse engineering. Il est même reconnu dans la récente loi sur la protection des mesures techniques que nous avons mentionnée plus haut, que la neutralisation de la protection technique ne sera pas illicite lorsqu’elle est effectuée dans un but de reverse engineering.

C’est donc toute la question, délicate et complexe, de l’exception de décompilation face à l’interdiction de neutralisation qui se pose aux juges américains. Tâche particulièrement épineuse car on ne peut nier ici que la protection technique sert, outre la protection du contenu soumis au droit d’auteur, des buts de contrôle du marché des licences de DVD. Or, l’opération de reverse engineering, bien que permise en droit d’auteur, avait ici pour but d’outrepasser les règles de ce marché et d’accéder gratuitement à une technologie dont les concepteurs monnayent l’accès. Dans ce cas là, peut-on encore estimer que l’exercice de l’exception se justifie ?

Dans la loi américaine tout comme dans la directive européenne de 1991 sur la protection des programmes d’ordinateur, les conditions du reverse engineering sont assez strictes. En outre, l’exception prévue par le DMCA à la prohibition de la neutralisation des mesures techniques ne s’applique que si la personne est un utilisateur légitime du logiciel qu’il souhaite décompiler. Or dans le cas du DVD, les hackers norvégiens ont décompilé la clé de décryptage qu’un distributeur avait oublié de crypter à son tour. Sont-ils des utilisateurs légitimes du logiciel de décryptage intégré dans l’appareil de lecture qu’ils ont légitimement acquis ? Le fait que ce logiciel devait être crypté ne limite-t-il pas la légitimité de leur décompilation ? En outre, peut-on assurer que la décompilation ici réalisée poursuivait un strict but d’intéropérabilité avec une autre plate-forme ? Ne serait-il pas plus judicieux de régler la question sur le terrain du droit de la concurrence ? En effet, on pourrait estimer que le DVDCCA jouit d’une position de monopole sur le marché du DVD. Les conditions des licences relatives à ce produit pourrait donc faire l’objet d’un examen sur base du droit de la concurrence.

Le problème se complique encore, car si l’objet principal de l’action reste la violation d’un secret d’affaires, il faudra dans ce cas prouver que les informations ont été acquises illicitement. Qu’en est-il si le code source a été obtenu en décompilant le programme, opération permise dans certaines limites par le droit d’auteur américain ?

Enfin, un point essentiel de la saga judiciaire qui s’annonce sera de déterminer si la copie privée, reconnue jusqu’ici aux utilisateurs d’œuvres américains, se justifie également pour les copies de DVD et donc pour les copies privées digitales, qui sont, faut-il encore le répéter, de qualité égale à l’original. Les pirates du DVD ici en cause affirment que le but de la neutralisation du CSS n’était pas de permettre la copie des films en DVD. D’une part parce que cette copie peut s’effectuer, avec un peu de technique et de patience, sans qu’il soit nécessaire de décrypter le contenu, d’autre part parce que les DVD vierges en vente sur le marché ne permettent pas encore de stocker les 4,7 ou 9,4 gigabytes requis pour un film sur ce type de support. Mais ce dernier argument risque bien de sonner de plus en plus faux alors qu’apparaissent sur le marché des DVD enregistrables d’une capacité de 4,7 GB. Dès lors, la copie de certains films deviendra possible et de nombreux utilisateurs seront bien contents de dénicher sur Internet les clés de décryptage DeCSS. Que la distribution de celles-ci ait été destinée à permettre la lecture du DVD sur Linux aura alors peu d’importance.

Perspectives futures

La suite du procès est en cours. Début janvier, l’industrie cinématographique a lancé d’autres poursuites contre des sites qui offraient le DeCSS devant les tribunaux de New York. Cette fois, l’action repose sur la violation des dispositions relatives aux mesures techniques de protection. Il s’agira d’un des premiers jugements en la matière, ce qui ne manquera pas d’intérêt pour le juriste de droit d’auteur.

Un autre litige oppose également RealNetworks, qui diffuse sur Internet la technique RealAudio, qui permet à des radios de transmettre leurs programmes sur Internet, à la société Streambox accusée d’avoir défait la protection technique des contenus RealAudio et de distribuer le logiciel de neutralisation afin de permettre aux internautes de les télécharger tels des fichiers MP3. Un juge de Seattle a ici accueilli le premier stade de l’action en cessation de RealNetworks sur base des dispositions du DMCA que nous avons évoquées.

Ces deux litiges soulignent bien l’ambiguïté des dispositions américaines relatives à la protection des mesures techniques.

Le cas du DVD est particulièrement problématique. En effet, il semble évident que le mécanisme de protection de ce support ne se contente pas de protéger le contenu contre toute copie mais poursuit également une fonction essentielle de contrôle des licences et du marché relatif à cette technologie. Dans ce cas, l’accès aux contenus protégés n’est pas réellement un intérêt qui devrait apparaître dans la loi sur le droit d’auteur. Il suffit de songer à la directive européenne sur la protection de l’accès conditionnel. Toutefois même ce texte européen ne vise que le contrôle d’accès visant à obtenir une rémunération. Ceci démontre bien que l’accès à des contenus sur Internet est parfois conditionné par d’autres intérêts que le strict droit d’auteur, ce qui souligne combien l’insertion dans les lois de propriété intellectuelle de protection des systèmes d’accès constitue une dérive, non seulement dangereuse pour l’équilibre du droit d’auteur mais également une source d’incertitudes pour les développeurs de telles technologies d’accès.

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