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Newsletter vs spamming : la CJUE redéfinit les frontières de la prospection directe

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En validant l’idée qu’un compte gratuit, typique des modèles freemium, peut équivaloir à une prestation rémunérée indirectement, la CJUE ouvre la voie à l’envoi de newsletters non sollicitées sans consentement préalable. Les e-mails envoyés dans ce cadre relèvent alors de l’exception de l’article 13(2) e-privacy, sans besoin de recourir à l’article 6 du RGPD. Une…

En validant l’idée qu’un compte gratuit, typique des modèles freemium, peut équivaloir à une prestation rémunérée indirectement, la CJUE ouvre la voie à l’envoi de newsletters non sollicitées sans consentement préalable. Les e-mails envoyés dans ce cadre relèvent alors de l’exception de l’article 13(2) e-privacy, sans besoin de recourir à l’article 6 du RGPD. Une clarification majeure pour les médias en ligne et les services numériques reposant sur l’inscription gratuite.

Les faits

Inteligo Media édite avocatnet.ro, un site qui informe quotidiennement le grand public des nouveautés législatives en Roumanie. La société met en place un système d’accès mêlant gratuité et abonnements, sous la dénomination « Service Premium ».

Tout utilisateur peut consulter gratuitement jusqu’à six articles par mois.

Pour accéder à un nombre plus élevé d’articles, il doit créer un compte gratuit sur la plateforme. Cette inscription implique l’acceptation des conditions contractuelles du « Service Premium ». Une fois inscrit, l’utilisateur bénéficie de deux articles gratuits supplémentaires chaque mois et commence à recevoir, par e-mail, une lettre d’information quotidienne intitulée « Personal Update ». Cette lettre propose un résumé des évolutions législatives survenues la veille, accompagné de liens vers les articles correspondants publiés sur le site. L’inscription ouvre également la possibilité, moyennant paiement, d’accéder à l’intégralité des contenus de la publication et de recevoir une version complète de la lettre, appelée « L’information en bref ».

Lors de la création du compte, l’utilisateur peut choisir de ne pas recevoir la lettre « Personal Update » en cochant une case dédiée. Chaque e-mail envoyé comporte en outre un lien de désabonnement permettant de cesser sa réception.

Le 26 septembre 2019, l’autorité roumaine de protection des données constate qu’Inteligo Media n’a pas été en mesure de prouver le consentement explicite des utilisateurs au traitement de leurs données personnelles.

L’autorité relève également que ces données avaient été collectées initialement pour l’exécution du contrat lié au service, mais avaient ensuite été utilisées pour envoyer la lettre « Personal Update », ce qu’elle considère comme un traitement poursuivant une finalité différente de celle annoncée au moment de la collecte.

L’enjeu : redéfinir la portée de l’interdiction du spamming

Le principe posé par l’article 13 la directive e-privacy, est bien connu :

Le principe : L’utilisation de systèmes automatisés d’appel et de communication sans intervention humaine (automates d’appel), de télécopieurs ou de courrier électronique à des fins de prospection directe n’est autorisé que si les communications sont transmises à des utilisateurs ayant donné leur consentement préalable.

L’exception : Toutefois, par exception, les coordonnées électroniques d’utilisateurs obtenues dans le respect du RGPD et dans le cadre de la vente d’un produit ou d’un service peuvent être exploitées à des fins de prospection directe sans consentement préalable, moyennant les conditions suivantes :

1) pour des produits ou services analogues ;

2) pour autant que les utilisateurs se voient donner la faculté de refuser de recevoir de telles communications au moment où leurs coordonnées sont recueillies ;

3) si l’utilisateur ne s’y est pas opposé à ce moment, il doit avoir la possibilité de le faire lors de chaque communication de prospection directe.

Le contenu éditorial s’oppose-t-il à voir dans la newsletter une communication commerciale ?

L’envoi d’une newsletter informationnelle est-elle une prospection directe au sens de la règle qui interdit le spamming ?

Dans une affaire précédente, la Cour a considéré que, afin de déterminer si une communication a pour finalité la prospection directe, il y a lieu de vérifier, premièrement, si cette communication poursuit un but commercial (c’est-à-dire, selon le dictionnaire, qu’elle est relative ou liée à l’« activité qui consiste à acheter et à vendre […] en vue de réaliser un profit ») et, deuxièmement, si elle s’adresse directement et individuellement à un consommateur .

Analysant l’offre complète, l’avocat général estime que l’objectif ultime est d’inciter les utilisateurs à acquérir un abonnement complet, ce qui permet de conclure que la newsletter « poursuit le but commercial de générer des revenus au moyen du verrou d’accès mesuré ».

La Cour est du même avis :

  • La communication en cause au principal consiste en une lettre d’information quotidienne, diffusée sous la forme d’un courrier électronique, qui contient un résumé de nouveautés législatives traitées dans les articles d’une publication de presse en ligne ainsi que des hyperliens vers ces articles. Ce n’est qu’en suivant ces hyperliens que les utilisateurs concernés peuvent en consulter le contenu complet, gratuitement dans la limite de huit articles par mois et, moyennant paiement, l’ensemble des articles disponibles sur la plateforme en ligne exploitée par Inteligo Media.
  • La nature éditoriale est sans conséquence sur ce point selon la Cour : « une telle communication est destinée à inciter les utilisateurs concernés à accéder au contenu payant fourni par un éditeur de presse, en favorisant l’épuisement du nombre d’articles pouvant être consultés gratuitement sur la plateforme en ligne en question et la souscription d’un abonnement complet. Elle vise ainsi à promouvoir la vente de ce contenu et poursuit, par conséquent, un but commercial, au sens de la jurisprudence citée au point 41 du présent arrêt. »

Quant à la question de savoir si la newsletter était adressée directement et individuellement à un consommateur, l’avocat général et la Cour s’appuient sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle cette condition est satisfaite lorsque les communications apparaissent directement dans la boîte de réception de la messagerie électronique privée de l’utilisateur concerné, ce qui est manifestement le cas.

L’adresse électronique du destinataire a-t-elle été obtenue « dans le cadre de la vente d’un produit ou d’un service » ?

L’exception à l’interdiction du spamming ne s’applique que si les coordonnées électroniques des utilisateurs ont été obtenues dans le respect du RGPD et dans le cadre de la vente d’un produit ou d’un service.

L’avocat général souligne dans son avis que la directive 2002/58 « ne fournit que peu d’orientations quant à la signification exacte de ces termes » et que l’expression, « qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée, doit normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme ».

La Cour estime que si le terme « vente » désigne une convention qui implique nécessairement un paiement en échange d’un bien ou d’un service et n’est, dès lors, susceptible de couvrir que les opérations qui supposent le versement d’une rémunération, il reste que la directive 2002/58 vise, de manière générale, les « service[s] », sans faire aucune distinction selon le type de prestation concernée ».

Il faut donc un paiement, mais « la rémunération d’un service fourni par un prestataire dans le cadre de son activité économique n’est pas nécessairement versée par les personnes qui en bénéficient ». La Cour souligne qu’il en va notamment ainsi lorsqu’une prestation réalisée à titre gratuit est fournie par un prestataire à des fins publicitaires pour des biens vendus ou des services fournis par ce prestataire, le coût de cette activité étant alors intégré dans le prix de vente de ces biens ou de ces services (arrêt du 15 septembre 2016, Mc Fadden).

Appliquant cela au cas d’espèce, la Cour juge qu’en souscrivant à ce service, lesdits utilisateurs obtenaient le droit d’accéder gratuitement à un certain nombre d’articles et que « la prestation d’un tel service a surtout un but publicitaire consistant à promouvoir le contenu payant fourni par Inteligo Media, le coût de ce service étant intégré dans le prix de ce contenu. » Dans ces conditions, elle considère « qu’une rémunération indirecte, intégrée dans le prix de vente de l’abonnement complet offert par ce prestataire, telle que celle en cause au principal, répond à l’exigence de paiement (…) ».

On ajoutera, pour être complet, que l’avocat général a profité de son avis pour ouvrir une brèche intéressante, soulignant que « à l’ère numérique moderne, les données elles-mêmes sont traitées comme une matière première » et qu’on « pourrait donc considérer que, pour que des données soient recueillies dans le cadre de la vente, il suffit que, plutôt qu’une contrepartie financière, l’utilisateur fournisse ses données à caractère personnel en échange d’un bien ou d’un service qui présente une valeur à ses yeux. »

Sans aller jusque-là, la Cour se montre favorable à une l’ouverture en précisant qu’une interprétation différente ou plus stricte de la deuxième condition irait à l’encontre de l’objectif du législateur, qui était de permettre l’utilisation des coordonnées électroniques des utilisateurs obtenues « dans le cadre d’une relation client-fournisseur existante sans caractériser davantage cette relation ».

La newsletter constitue-t-elle un produit ou service analogue ?

Il faut encore, pour que l’exception à l’interdiction du spamming s’applique, que les coordonnées électroniques des utilisateurs soient utilisées pour un produit ou service analogue.

La Cour renvoie à la description du mécanisme global : le but du compte gratuit, qui donne lieu à l’acceptation des conditions contractuelles, est d’accéder gratuitement à un certain nombre d’articles parus dans la publication concernée et de recevoir la lettre d’information, ce qui sert le but publicitaire consistant à promouvoir le contenu payant fourni par Inteligo Media. L’avocat général décrivait ce qu’il appelle « le scénario en cause » : « le service fourni gratuitement par Inteligo Media (…) visait à promouvoir l’achat d’un abonnement complet et poursuivait ainsi un objectif publicitaire. »

C’est donc le mécanisme du teaser : proposer une offre découverte, limitée mais déjà intéressante, dans le but de séduire l’utilisateur et le convertir en abonné payant.

La Cour juge qu’il est ainsi satisfait à la condition relative au caractère analogue du service faisant l’objet de la prospection en cause.

L’envoi de la newsletter dans le cadre de l’exception à l’interdiction du spamming nécessite-t-il, en outre, une base de licéité au sens du RGPD ?

La Cour devait aussi répondre à la question suivante : lorsque le responsable du traitement utilise l’adresse de courrier électronique d’un utilisateur afin de lui envoyer une communication non sollicitée, conformément à cet article 13, paragraphe 2, les conditions de licéité du traitement prévues à l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement sont-elles applicables ?

La Cour explique d’abord que l’article 6, paragraphe 1, du RGPD énumère de manière exhaustive les bases juridiques permettant de considérer un traitement comme licite. En principe, tout traitement doit donc relever de l’un de ces fondements.

Cependant, l’article 95 du RGPD prévoit que le règlement ne crée pas d’obligations supplémentaires lorsque le traitement est déjà régi par des obligations spécifiques ayant le même objectif, telles que celles prévues par la directive 2002/58. Autrement dit, lorsque cette directive encadre pleinement un type de traitement, le RGPD ne s’y ajoute pas.

La Cour constate ensuite que l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2002/58 fixe de manière exhaustive les conditions dans lesquelles une adresse e-mail peut être utilisée pour envoyer une communication non sollicitée, ainsi que les droits de l’utilisateur. Il s’agit d’obligations spécifiques au sens de l’article 95 du RGPD.

Il en résulte que, lorsque l’envoi d’une communication non sollicitée respecte les conditions prévues par l’article 13, paragraphe 2, il n’est pas nécessaire de vérifier en plus si le traitement repose sur l’une des bases juridiques de l’article 6, paragraphe 1, du RGPD.

Conclusion : l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2002/58, lu avec l’article 95 du RGPD, doit être interprété en ce sens que les conditions de licéité de l’article 6, paragraphe 1, du RGPD ne s’appliquent pas lorsque l’utilisation d’une adresse e-mail pour une communication non sollicitée répond déjà au cadre fixé par la directive 2002/58.

Plus d’infos ?

Les conclusions de l’avocat général, l’arrêt rendu et la communication de la Cour sont en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

Curia – Arret de la cour

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Curia – Avis avocat general

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Curia – Communiqué de la cour

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