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Le code électoral français, les sondages et l’internet. Et s’il était interdit d’interdire ?

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Il est interdit en France de diffuser des sondages et des estimations de résultats des élections la veille ou le jour du scrutin. Les voisins belges et suisses ont pourtant manifesté leur intention de diffuser malgré tout des résultats avant la fermeture du dernier bureau de vote. Sont-ils punissables ? Et qu’en est-il du journaliste français qui se limiterait à relayer cette information en citant sa source. Nous analysons quatre questions : (1) un principe simple : l’interdiction absolue, (2) les médias audiovisuels étrangers, (3) les sites web des médias étrangers, (4) la délicate position des journalistes français

Un principe simple : l’interdiction absolue

D’après l’article L.52-2 du Code électoral : « En cas d’élections générales, aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique, en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain. Il en est de même dans les départements d’outre-mer avant la fermeture du dernier bureau de vote dans chacun des départements concernés. (…) ».

Pourquoi cette interdiction ? Sur son site web, la Commission des sondages explique que le législateur a voulu, en 1977 puis en 2002, édicter les dispositions nécessaires pour que la publication des sondages électoraux portants sur des intentions de vote ne vienne pas influencer ou perturber la libre détermination du corps électoral.

La crainte est que les derniers votants soient influencés par les résultats. L’exemple classique consiste à se demander ce qui se serait passé si, en 2002, en fin de journée du premier tour de l’élection présidentielle et avertis que Jean-Marie Le Pen (FN) passait au second tour, les personnes n’ayant pas encore voté s’étaient précipitées en masse pour modifier le cours de histoire ?

Les médias audiovisuels étrangers

A chaque élection française se pose la question des télévisions étrangères. Leur signal peut déborder les frontières ou, en cas de diffusion par satellite par exemple, être accessible sur l’ensemble du territoire français.
Les médias audiovisuels relèvent en principe de leur autorité de tutelle nationale. Telle est la conséquence de l’harmonisation européenne qui vise à supprimer les entraves à la libre diffusion des émissions télévisuelles à l’intérieur de l’Union.

Le système repose sur deux principes : d’une part les États membres sont compétents pour veiller à la légalité des activités des organismes de radiodiffusion télévisuelle établis sur leur territoire ; d’autre part les États membres n’ont quasiment pas de possibilité pour entraver la réception sur leur territoire des émissions diffusées par des organismes établis dans un autre État membre.

On dispose de repères jurisprudentiels.

L’Allemagne a ainsi tenté de s’opposer à la diffusion, depuis le Danemark, de la chaîne de télévision Roj TV en langue kurde, au motif que les émissions heurtaient « l’idée de l’entente entre les peuples » définie par le droit constitutionnel allemand. Les programmes incitaient à trancher les divergences entre les Kurdes et les Turcs par la violence – y compris en Allemagne – et soutenaient les efforts du PKK (parti du travail du Kurdistan, qualifié d’organisation terroriste par l’Union européenne) pour recruter des jeunes Kurdes dans la guérilla contre la République de Turquie.

Saisie, la Cour européenne de justice a rappelé deux choses importantes :

  • Seules les autorités danoises sont compétentes pour vérifier si le comportement incriminé constitue effectivement une « incitation à la haine ».
  • Dans la lutte pour préserver l’ordre public, les États membres peuvent adopter des réglementations qui ne portent pas spécifiquement sur la diffusion et la distribution des programmes. Cependant, ils ne sont pas autorisés à entraver la retransmission sur leur territoire d’émissions en provenance d’un autre État membre.  

Le CSA français – l’Etat français en général – n’a donc pas autorité pour empêcher les télévisions belge et suisse de travailler comme elles l’entendent à partir de leur territoire. Et si elles diffusent des résultats de sondage parce que leur droit national ne s’y oppose pas, tant pis. Quant aux autorités de tutelle belge ou suisse, on les imagine mal sanctionner leurs télévisions pour la violation alléguée d’une norme française inapplicable à l’étranger.

Les sites web des médias étrangers

Ce qui n’était qu’un problème théorique il y a quelques années devient une vraie question à l’heure de l’internet car en un clic, tout citoyen français peut accéder au sondage mis en ligne sur le site web d’un organe de presse belge ou suisse  francophone. Et grâce aux réseaux sociaux et à l’internet mobile, ces sondages étrangers reçoivent un écho immédiat en France.

Ces sites d’information sont, sur le plan juridique, des prestataires de service de la société de l’information (PSSI).

Ici aussi on évolue dans un cadre harmonisé sur le plan européen : la clause dite « de marché intérieur » reprend dans les grandes lignes le principe énoncé ci-dessus pour les médias audiovisuels, selon lequel les PSSI relèvent d’abord et avant tout de leurs dispositions nationales même s’ils sont accessibles dans l’ensemble de l’Union.

Certes, les États peuvent adopter exceptionnellement, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures dérogatoires, mais celles-ci sont subordonnées au respect de quatre conditions strictes :

  1. Le respect du principe de finalité ;
  2. La démonstration d’une atteinte à cette finalité ou le risque sérieux et grave d’atteinte à ces objectifs (ce qui permet des mesures préventives) ;
  3. Le respect du principe de proportionnalité (les mesures doivent être appropriées et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire) ;
  4. Le respect d’une procédure ad hoc.

Les trois premières conditions seront analysées ci-dessous. S’agissant de la procédure, la directive prévoit que la France doit d’abord demander à l’Etat d’origine de prendre des mesures, et ne peut agir que si ce dernier reste inactif ou adopte des mesures qui lui paraissent insatisfaisantes. En ce cas, la France doit aussi notifier à la Commission et à l’Etat d’origine son intention de prendre des mesures dérogatoires individuelles.

A notre connaissance, la procédure n’a pas été engagée en dépit du discours plutôt musclé de la Commission des sondages…

La délicate position des journalistes français

Quelle est alors la situation du journaliste français, qui apprend via ses confrères belges les résultats d’un sondage ? Quel cruel dilemme : doit-il se taire, ou au contraire accomplir sa mission d’information et signaler, au titre de l’actualité, que la presse belge donne tel candidat vainqueur ?

On est ici au cœur de la notion de censure ou, comme le disent plus élégamment les juristes, des mesures d’ingérence préventives : au nom d’un intérêt jugé supérieur, la liberté de la presse est momentanément muselée.

On sait que la matière est régie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui fait partie de l’ordre juridique de l’Union européenne.

S’il est souvent admis que l’article 10 de la Convention n’interdit pas en tant que tel les ingérences préventives, il reste que la Cour strasbourgeoise impose la plus grande prudence : « De telles restrictions présentent de si grands dangers qu’elles appellent de la part de la Cour l’examen le plus attentif. Dès lors, ces restrictions doivent s’inscrire dans un cadre légal particulièrement strict quant à la délimitation de l’interdiction et efficace quant au contrôle juridictionnel contre les abus éventuels » (C.E.D.H., arrêt R.T.B.F. du 29 mars 2011, § 106).

On retrouve l’esprit des conditions rappelées ci-dessus en matière de sites web : il faut franchir avec succès le triple test de : (1) légalité (être prescrit par la loi), (2) finalité et (3) proportionnalité.

Quelles sont les finalités admises ? La Convention fait référence « à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

Quant au principe de proportionnalité, il exige de vérifier que l’atteinte constitue « une mesure nécessaire », « dans une société démocratique », pour la préservation de ces finalités.

Il n’est pas du tout certain que l’interdiction qui frappe le journaliste français passe avec succès les tests de finalité et proportionnalité. Relevons, pêle-mêle :

  • La CEDH s’oppose aux interdictions chaque fois que la mesure n’est pas de nature à atteindre effectivement le but poursuivi ou, à tout le moins, de contribuer à sa réalisation. Or, on a vu ci-dessus que n’importe quel votant peut consulter les sondages sur n’importe quel site de presse étranger. Où est encore l’efficacité de la mesure dans ce cas ? ;
  • La CEDH refuse les ingérences préventives si une autre mesure moins attentatoire permet d’arriver à un résultat sensiblement similaire. Réguler et encadrer ? Oui. C’est en ce sens que la Commission des sondages a rappelé, le 29 mars, que l’on ne peut pas appeler « sondage » ou présenter comme tel, « les enquêtes réalisées en ligne par des médias ou des sites internet qui permettent à leurs lecteurs ou visiteurs de répondre spontanément à des questions sans que soit assuré le caractère représentatif de l’ensemble des personnes ainsi interrogées. » Quant à interdire, c’est moins sur.
  • Il faut aussi démontrer la proportionnalité au sens de la mise en balance des intérêts. Or, si l’atteinte à la liberté journalistique est bien réelle, on peut se demander si la crainte qui la justifie est fondée. Le vote global peut-il vraiment être influencé par les sondages la veille ou le jour même du scrutin ? Un grand nombre de pays démocratiques fonctionnent bien sans cette interdiction et ne s’en portent pas plus mal. Il faut donc mettre en balance l’atteinte, établie, à la liberté des journalistes et le risque, hypothétique, d’une modification globale du résultat du scrutin.
  • Enfin, le titulaire de la liberté importe aussi. Or, l’interdiction frappe au cœur de leur mission des personnes dont le métier est d’informer et d’être un contrepouvoir garant de la liberté de tous, à un moment où le monde entier a les yeux rivés sur le résultat d’une élection importante se déroulant dans la cinquième puissance mondiale. N’est-il pas disproportionné de museler ainsi les journalistes en ce jour crucial, au nom d’un risque dont la probabilité de survenance est sujette à caution ?

Et s’il était tout simplement interdit d’interdire ?

Dans l’intervalle, par prudence, le journaliste français qui relaierait un sondage mis en ligne sur un site étranger pourrait réduire le risque en s’entourant de précautions oratoires et signaler que « selon nos confrères belges du journal XYZ, M. Untel est en tête des sondages avec …% des votes ».

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