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La France n’aime pas ses pharmacies en ligne …

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Le Conseil d’Etat se montre clément envers l’arrêté fixant le cadre applicable aux e-pharmaciens. Il n’annule qu’une seule disposition d’un texte hyper contraignant. La France est plus que jamais embourbée dans une logique dont les premiers bénéficiaires sont … les pharmaciens étrangers. Qui veut la peau des pharmacies françaises ?

Pourtant, il est urgent d’avoir une vision à long terme sur le dossier car c’est tout le secteur (et pas seulement la pharmacie en ligne) qui va en souffrir à court terme, entrainant des conséquences négatives pour le patient et la collectivité.

Petit rappel du contexte…

Le principe selon lequel la vente à distance de médicaments non soumis à prescription médicale doit être autorisée aux pharmaciens légalement établis dans un Etat membre de l’Union européenne, a été posé par la Cour de Justice en 2003. Il n’y avait pas de directive à l’époque ; la Cour se fondait sur les Traités.

En 2011, le même principe a été inséré par le législateur européen au sein de la Directive 2001/83 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.

La France s’y est conformée en adoptant, le 19 décembre 2012, l’Ordonnance n° 2012-1427 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments, consacrant l’ouverture aux pharmaciens de la possibilité de vendre en ligne des médicaments.

L’Ordonnance devait, sur plusieurs points, être complétée par des textes réglementaires.

Après différents rebondissements, le gouvernement a adopté deux arrêtés qui sont entrés en vigueur le 1er février 2017 :

  • Le premier, relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments, pris en application de l’article L. 5121-5 du code de la santé publique ;
  • Le second concernant les règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments, pris en application de l’article L. 5125-39 du Code de la Santé publique.

C’est ce second arrêté qui a été soumis au Conseil d’Etat.

L’interdiction de la publicité

La première disposition soumise à l’analyse du Conseil d’Etat tend à interdire toute forme de promotion des médicaments proposés à la vente sur le site de commerce électronique d’un pharmacien. Elle prévoit que « les médicaments sont classés par catégorie générale d’indication (douleurs, fièvre, nausée, toux…) puis de substances actives. A l’intérieur de ces catégories, le classement est établi par ordre alphabétique, sans artifice de mise en valeur, afin d’éviter toute forme de promotion (…) ».

Le Conseil d’Etat rappelle que la publicité auprès du public pour les médicaments, est certes fortement réglementée et soumise à des conditions strictes, mais elle est en principe possible.

Le Conseil d’Etat a considéré que la disposition litigieuse, qui interdit toute forme de promotion sur le site en faveur d’un médicament – que ce médicament soit de médication officinale ou non – est plus restrictive que la promotion permise en officine physique.

Il en a conclu, à ce titre, qu’une telle disposition était illégale et devait être annulée.

L’interdiction du référencement

Une disposition interdit le référencement payant des sites internet de commerce électronique de médicaments.

Le Conseil d’Etat a considéré que la Directive 2001/83 relative aux médicaments ne réglementait pas la publicité faite en faveur d’une officine pharmaceutique, à laquelle le référencement payant devrait se rattacher. A ce titre, l’Etat serait donc en droit d’apporter à cette publicité les restrictions qui lui apparaitraient nécessaires pour assurer la protection de la santé publique, dans le respect toutefois des traités européens.

En interdisant le recours au référencement payant pour les pharmacies, le pouvoir réglementaire se serait, en fait, borné à tirer les conséquences de la réglementation française existante en matière de publicité en faveur d’une pharmacie.

Il se réfère, en l’occurrence, à l’article R. 5125-26 du Code de la Santé publique qui limite la publicité qui peut être faite en faveur d’une officine à un seul communiqué – dont la dimension est strictement définie au centimètre près – dans la presse écrite, ne pouvant annoncer que les évènement suivants : la création, le transfert, le changement de titulaire ou encore la création d’un site internet, et devant se limiter à un certain nombre d’informations, dont la liste est dressée de manière exhaustive. Pour le Conseil d’Etat, la disposition litigieuse interdisant le référencement payant ne créerait donc pas de contrainte disproportionnée au commerce électronique de médicaments au regard de l’objectif poursuivi de santé publique.

Cette interdiction pose pourtant de nombreux soucis, notamment :

  • D’une part, elle place de facto tous les sites français loin derrière les sites étrangers, puisque seuls ces derniers apparaitront parmi les liens sponsorisés lors d’une recherche sur un moteur de recherche. Or, l’expérience étrangère montre toute l’importance de ce canal de communication ;
  • D’autre part, elle traite l’officine comme un élément monolithique dans lequel le médicament absorbe tout le reste, là où la réalité est plus subtile : la vente porte aussi (et largement) sur des produits considérés en droit comme des marchandises banales (cosmétique, beauté, compléments alimentaires, hygiène, etc.). Or, la vente de ceux-ci est impactée négativement par l’interdiction de référencement avec des conséquences économiques notables vu les marges réalisés sur ces produits ;
  • Elle manque de base légale (où est la finalité de santé ? où est la proportionnalité?) pour tous les produits vendus en pharmacie dont le rapport avec la santé est lâche.

Les autres dispositions

De la même manière, le Conseil d’Etat a considéré que le pouvoir réglementaire n’imposait aucune contrainte excessive en exigeant du pharmacien qu’il fournisse une information visible et lisible sur le régime de prix auquel est soumis le médicament (est-il librement fixé ou non, en fonction de son caractère remboursable ou non ?).

Était également en cause l’obligation du pharmacien, lorsqu’il recourt à un tiers pour héberger les données de santé de ses patients, de recourir à un tiers qui soit agréé par le Ministre de la Santé pour ce faire. Une telle obligation était d’ores et déjà prévue dans le Code de la Santé publique. Selon le Conseil d’Etat, « une telle exigence, justifiée par la nécessité de garantir la protection des données de santé des patients, n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi de la santé publique ».

Enfin, le Conseil d’Etat juge qu’est également justifiée l’obligation faite au pharmacien de s’assurer que les correspondances avec ses patients, y compris par courrier électronique, fassent l’objet de procédés de chiffrement. Elle est justifiée « par la nécessité de garantir que l’ensemble des sites internet de commerce électronique de médicaments permettent aux pharmaciens d’exercer leur devoir de conseil tout en assurant la protection des données de santé des patients ».

Le Conseil d’Etat en conclut que les dispositions précitées concernant le référencement payant, l’information du régime de prix, l’hébergement des données de santé et le chiffrement des correspondances n’outrepassent pas la marge de manœuvre laissée aux Etats membres par la directive 2001/83 relative aux médicaments et par le Traité sur le fonctionnement de l’Union. Nul besoin donc, selon le Conseil d’Etat, de poser quelconque question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union.

L’histoire n’est pourtant pas finie

Pendant que les vendeurs étrangers sabrent le champagne, eux qui peuvent vendre en France en appliquant le droit de leur pays d’origine, les juristes français doivent à présent se tourner vers l’Europe s’ils veulent contester la logique restrictive française.

Il est assez regrettable que le Conseil d’Etat ne se soit pas plié à l’exercice de la question préjudicielle.

Le cadre européen du commerce électronique de médicaments est somme toute encore très récent.

Les directions adoptées dans les Etats membres, en matière de publicité en faveur d’une officine ou en matière de protection des données de santé …, sont encore assez hétérogènes.

Il suffit d’ailleurs de rester en France pour comprendre le caractère encore très mouvant de ce cadre : on ne compte plus les recours pour excès de pouvoir à l’encontre des dispositions de ce cadre que le Conseil d’Etat ou les Tribunaux administratifs ont eu à connaitre.

On rappellera, également, que l’Autorité de la concurrence avait émis un avis très sévère sur l’arrêté relatif aux bonnes pratiques et sur celui relatif aux règles techniques, dont il est question ici (Avis 16-A-09 du 26 avril 2016). « L’Autorité émet un avis défavorable sur ces projets de texte », pouvait-on lire sur le communiqué de presse concernant cet Avis. L’Autorité avait, par exemple, écrit que « la règle consistant à interdire le référencement payant par des moteurs de recherche ou par des comparateurs de prix apparaît donc superflue et devrait être supprimée ».

Il semble, à tout le moins, que ledit cadre ne fasse point consensus.

Par ailleurs, cet arrêt semble laisser derrière lui un ensemble de questions ouvertes. Par exemple : comment le pharmacien établi dans un autre Etat membre articulera le nouveau règlement européen relatif à la protection des données (l’obligeant à tenir compte de la loi de l’Etat de résidence de son client) et l’obligation qu’impose l’arrêté de recourir à un hébergeur agréé en France ? Ou encore : comment articuler l’interdiction du référencement payant et l’autorisation des communications commerciales pour les professions réglementées contenue dans la directive 2000/31 sur le commerce électronique ?

Il est fort à parier que cet arrêt ne marquera pas la fin de l’histoire et que l’ouverture viendra de la CJUE.

Plus d’infos ?

En lisant l’arrêt du Conseil d’Etat, disponible en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt du Conseil d’Etat

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