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A propos de la diffamation …

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La diffamation tend à devenir la tarte à la crème des mécontents. Plus un jour ne passe sans qu’une célébrité, un politicien, un acteur ou un PDG n’annonce une plainte en diffamation par ce que tel journal publie un article peu élogieux à son sujet. C’est oublier que la diffamation répond à des conditions strictes à défaut desquelles le délit n’est pas constitué. Petit rappel des conditions légales …

Avez-vous lu que « Les rapports du ministère de l’intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété » ?  

Et saviez-vous que « La réalité est que vivre aujourd’hui dans nos quartiers, c’est avoir plus de chance de vivre des situations d’abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l’embauche, de précarité du logement, d’humiliations policières régulières (…) » ?

Si vous n’avez pas reconnu ces mots, c’est que vous n’avez pas lu le magazine publié en 2002 par le groupe de rappeurs La Rumeur, destiné à soutenir les ventes de leur dernier album produit par EMI Music.

Inutile de dire qu’à l’époque le sang de nos policiers n’a fait qu’un tour, et que le procureur de la république de Paris a requis une enquête sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, qui a donné lieu à un très long parcours judiciaire :

  • Le dossier a fini devant la cour d’appel de Paris ;
  • Le procureur général près la cour d’appel de Paris s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de ladite cour en date du 22 juin 2006 ;
  • Cet arrêt a été cassé le 11 juillet 2007 par la chambre criminelle de la Cour de cassation ;
  • La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d’appel de Versailles qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 23 septembre 2008 dans le même sens que la cour d’appel de Paris, par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l’arrêt de cassation ;
  • Un pourvoi ayant été formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles (8e chambre des appels correctionnels), la chambre criminelle a, par arrêt du 10 novembre 2009, décidé le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière ;
  • L’assemblée plénière a rendu un arrêt final, qui confirme l’arrêt de la cour d’appel de Versailles.

Le délit de diffamation

C’est le délit de diffamation qui est au centre des débats.

A l’heure où la presse regorge de poursuites en tous sens fondées sur la diffamation, il n’est pas inutile de se repencher sur l’arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de Cassation dans l’affaire précitée.

Dans son rapport, l’avocat général rappelait déjà que :

  • En cette matière des infractions en matière de presse, qui touche à la liberté fondamentale de pensée et d’opinion, la Cour de cassation juge "que pour apprécier la qualification légale qu’il convient d’appliquer à un écrit présenté comme diffamatoire, les juges doivent prendre en considération non seulement les termes mêmes relevés par l’acte initial de la poursuite, mais encore les éléments extrinsèques de nature à donner aux propos incriminés leur véritable sens et à caractériser l’infraction poursuivie" (Crim., 18/10/1994, n° 92-84.994) ;
  • Et parce que l’infraction relève du domaine de la liberté fondamentale d’opinion, la Cour de cassation se reconnaît la faculté d’exercer un contrôle approfondi sur l’appréciation des faits par le juge du fond et sur l’examen des pièces du dossier (Crim.,17/01/2006, n° 05-83.323 ; 30/09/2003, n° 02-87.578 ; 03/07/1996, n° 94-82.647, Bull. n° 283). La chambre criminelle se reconnaît ainsi le droit d’examiner elle-même l’article dont les termes sont placés sous ses yeux et d’en rechercher et d’en déterminer le sens et la portée dans leurs rapports avec la qualification légale (Boré, La cassation en matière pénale, n° 85-32).

Il n’est pas inutile de se rappeler la rédaction des articles 29 et 30 de la loi du 29 juillet 1881 :

Art. 29 : "Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation.

La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure."

·     Art. 30 : "La diffamation commise par l’un des moyens énoncés en l’article 23 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre de mer de l’air, les corps constitués et les administrations publiques sera punie d’une amende de 45 000 euros".

L’imputation d’un fait

L’article 29 conditionne donc le délit de diffamation à l’allégation ou l’imputation d’un fait.

Dans la phrase qui précède, c’est le mot « fait » qui est important. En cette matière, comme en d’autres très proches, on fait une distinction importante entre l’affirmation d’un fait et d’une opinion.

Selon un attendu constamment présent dans les arrêts de la Cour de cassation « pour être diffamatoire une allégation ou une imputation doit se présenter sous la forme d’une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté, l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire » (1re Civ., 03/04/2007, Bull., n° 147 ; 1re Civ., 03/05/2007, Bull., n° 167 ; Crim., 28/03/2006, n° 05-80.634 ; Crim., 14/02/2006, n° 05-82.475 ; Crim.,16/03/2004, n° 03-82.828, Bull. n° 67 ; Crim.,11/02/2003, n° 01-86.041 ; Crim., 03/07/1993, n° 94-82.647 ; Crim., 15/10/1985, Bull. n° 314 ; Crim., 06/12/1988, n° 88-80.798 ; Crim., 02/06/1981, Bull. n° 169). « A défaut d’une telle articulation il ne peut s’agir que d’une injure » (Crim., 03/12/1963, Bull. n° 345).

L’avocat général relève à cet égard que : « Le propos ou l’écrit diffamatoire doit faire référence expresse à une action ou à une inaction, qu’on prétend s’être produite ou se produire actuellement, et dont il serait possible d’établir l’existence ou l’inexistence (Merle et Vitu ; Chavanne Auffret).

Le fait diffamatoire doit donc se comprendre comme une réalité qui peut être appréhendée par les sens et qui comme telle peut être prouvée. (B. de Lamy, p.167).

Certains auteurs (B. de Lamy, La liberté d’opinion et le droit pénal, p. 177 ; A. Chavanne, La diffamation, fasc. 140) soulignent que si la diffamation punit également l’imputation d’un fait vrai comme celle d’un fait faux ou même imaginaire, encore faut-il nécessairement, pour que l’infraction existe que le fait reproché soit présenté comme une réalité et qu’il apparaisse vraisemblable.

Si le lecteur ou l’auditeur moyen, en raison de la teneur générale du propos, n’est pas amené à porter crédit au fait reproché et à le croire plausible, il n’y a pas diffamation. Il n’ y a de reproche qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération qu’autant que l’auditeur ou le lecteur du propos peut raisonnablement penser que le fait s’est produit ou se produit actuellement.

Dans ces conditions jurisprudence et doctrine s’accordent pour dire qu’il existe une méthode, une technique qui permet de caractériser le fait précis, c’est de vérifier si la preuve de la vérité du propos peut être rapportée, et s’il peut faire l’objet d’un débat contradictoire objectif. (1re Civ., 03/05/2007, Bull. n° 167 ; 1re Civ., 04/04/2006, Bull. n° 193 ; Crim., 28/03/2006, Bull. n° 90).

Le fait diffamatoire reproché doit donc être un fait précis et déterminé, présenté comme une réalité qui s’est produite ou qui se produit actuellement, et susceptible de faire l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire. »

Parfois, la différence est aisée. Dire que tous les politiciens sont pourris sera, par le côté outrancier et généralisé du propos, considéré comme l’affirmation d’une opinion éventuellement constitutive d’injure. Par contre, affirmer que tel homme politique a reçu telle somme d’argent en noir de telle autre personne, pour soutenir sa campagne sera, par le côté précis du propos, considéré comme l’imputation d’un fait à une personne.

Bien souvent, la différence n’est pas simple. Dire de tel homme politique, nommément désigné, qu’il est un magouilleur, pourra être perçu comme l’affirmation d’une opinion négative quant aux valeurs morales de la personne visée, mais on pourrait aussi soutenir qu’il s’agit de la suggestion de la commission d’un délit bien précis. Le contexte sera important pour juger de cela.

Il en va de même dans l’affaire des rappeurs : lorsqu’ils affirment que les rapports officiels ne feront jamais état des centaines de jeunes abattus par les forces de police, se rendent-ils coupables de diffamation ?

Pour répondre par l’affirmative, il faut impérativement démontrer qu’en écrivant cette phrase, ils allèguent ou imputent un fait aux forces de police.

Dans son deuxième pourvoi, le ministère public fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Versailles de renvoyer les prévenus des fins de la poursuite, alors, selon le moyen, "que constitue une diffamation envers une administration publique, ne pouvant être justifiée par le caractère outrancier du propos, l’imputation faite aux forces de police de la commission, en toute impunité, de centaines de meurtres de jeunes des banlieues". En statuant ainsi qu’elle l’a fait, la cour d’appel aurait méconnu le sens et la portée de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 qu’elle a violé ;

La cour de cassation n’est pas de cet avis : « attendu qu’ayant exactement retenu que les écrits incriminés n’imputaient aucun fait précis, de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire, la cour d’appel en a déduit à bon droit que ces écrits, s’ils revêtaient un caractère injurieux, ne constituaient pas le délit de diffamation envers une administration publique ». (Arrêt n° 585 du 25 juin 2010 (08-86.891))

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