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Fiscalité directe du commerce électronique : les nouvelles règles

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Lors de notre dernière chronique (« TVA et commerce électronique : quelles règles appliquer ? »), nous avions synthétisé la problématique de l ‘application de la TVA au commerce électronique. Dans le cadre de cette chronique, nous débattrons de fiscalité directe du commerce électronique, en particulier la question de l’assimilation d’un serveur à un établissement…

Lors de notre dernière chronique (« TVA et commerce électronique : quelles règles appliquer ? »), nous avions synthétisé la problématique de l ‘application de la TVA au commerce électronique.

Dans le cadre de cette chronique, nous débattrons de fiscalité directe du commerce électronique, en particulier la question de l’assimilation d’un serveur à un établissement stable et celle de la classification des paiements lors de transactions électroniques.

Un serveur peut être un établissement stable

Pour le fisc, la seule manière de taxer les bénéfices réalisés par une entre-prise de nationalité étrangère sur les activités qu’elle exerce en direct sur le territoire national est de considérer qu’elle y a installé un « établissement stable ».

La Convention Fiscale Modèle OCDE, qui inspire la plupart des con-ventions fiscales entre États (dites « conventions préventives de double imposition »), définit, en son article 5, l’établissement stable comme étant « une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entre-prise exerce tout ou partie de son activité ».

Un serveur web belge qui héberge un site commercial étranger pourrait-il répondre à une telle définition? Inversement, un site géré par une société belge et se situant sur un serveur étranger pourrait-il être imposé par le pays de « résidence » du serveur au motif que, ce faisant, il disposerait localement d’un établissement stable ?

Une incertitude a subsisté pendant des années à cet égard, et les administration fiscales des différents Etats membres de l’OCDE ont parfois adopté des interprétations diamétralement opposées.

Ainsi, le Royaume-Uni s’est toujours déclaré hostile à une assimilation d’un serveur à un établissement stable tandis que le fisc autrichien n’a pas hésité à franchir le pas. En effet, dès 1996, il décidait qu’une entreprise anglaise avait un établissement stable en Autriche dès lors qu’elle vendait de l’information soit au moyen d’un serveur propre établi localement, soit par l’intermédiaire d’un site hébergé par un fournisseur autrichien.

Lors du sommet sur le commerce électronique tenu à Ottawa en octobre 1998, le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a rendu public un rapport sur les problèmes fiscaux posés par l’usage commercial d’internet. Y était évoquée notamment la problématique de la notion d’établissement stable.

Les débats se sont surtout articulés autour du critère de « fixité » de l’installation. En effet, un site peut être facilement déplacé d’un serveur vers un autre, par exemple établi dans un autre État.

Pour s’opposer à la qualification d’établissement stable, certains ont même invoqué, par analogie, une jurisprudence néerlandaise selon laquelle une exploitation pétrolière flottante n’est pas un établissement stable au motif qu’elle est déplacée plusieurs mois par an hors des eaux territo-riales des Pays-Bas.

Toutefois, d’autres ont répliqué que des pays comme la Norvège et la Suède ont adopté des pratiques fiscales opposées en matière de plate-formes de forage déplacées temporairement hors des eaux territoriales…

Le 3 mars 2000, le Comité a établi une « proposition de clarification rela-tive aux commentaires sur l’article 5 du modèle de Convention fiscale de l’OCDE » dont l’objectif est de donner une interprétation de la notion d’établissement stable dans le cas d’un serveur internet.

Le projet prévoyait ainsi les principes suivants :

– un serveur, en tant qu’il est matérialisé par un ordinateur suscepti-ble d’être localisé territorialement, peut constituer un établisse-ment stable, à l’inverse du site web lui même, dans la mesure où celui-ci est uniquement composé de logiciels et données informa-tiques qui n’impliquent aucune notion de tangibilité, de localisa-tion physique ;

– le serveur, pour constituer un établissement stable, doit être fixe, à savoir qu’il doit être localisé dans un endroit déterminé pendant une période suffisante, et non de manière temporaire ;

– l’entreprise qui l’utilise doit en avoir la disposition et le contrôle. Ainsi, une entreprise dont le site web est hébergé par un fournis-seur d’hébergement établi dans un autre pays n’aura pas d’éta-blissement stable dans ce pays si le fournisseur fait fonctionner seul le serveur. Tel ne serait pas le cas si l’entreprise gère elle-même le serveur ;

– le serveur n’est pas constitutif d’un établissement stable si les acti-vités exercées par l’entreprise grâce à celui-ci sont préparatoires et auxiliaires,

– le fournisseur d’hébergement ou d’accès ne constitue pas un agent dépendant, et l’entreprise ne peut donc avoir d’établissement sta-ble par le biais du fournisseur. En effet, la plupart des conventions fiscales, notamment celles conclues par la Belgique, prévoient que, si une personne agit pour le compte d’une entreprise étrangère et dispose de pouvoirs, qu’elle exerce habituellement, lui permettant de conclure des contrats au nom de l’entreprise, celle-ci sera considérée comme ayant un établissement stable. Appliqué au commerce électronique, ce type de dispositions soulève l’interrogation suivante : un fournisseur d’hébergement ou d’accès pourrait-il être qualifié d’agent dépendant au motif qu’il permet, par le fait de l’hébergement du site commercial étranger ou de la fourniture d’accès à l’internet, la conclusion des opérations « en ligne » ? Le Comité répond par la négative, suiv-ant en cela l’avis du Treasury Department des États-Unis (« Discussion Paper » du 21 nov. 1996).

En décembre 2000, le Comité des affaires fiscales a finalement pu se mettre d’accord sur un texte définitif. Les principes précédemment dégagés ont été maintenus pour l’essentiel :

o un site web ne peut en lui-même constituer un établissement stable ;

o en général, un accord prévoyant l’hébergement d’un site web n’aboutit pas à l’existence d’un établissement stable pour l’entre-prise qui exerce des activités commerciales par l’intermédiaire de ce site ;

o un fournisseur de services sur l’Internet ne constitue pas, sauf dans des circonstances très exceptionnelles, un agent dépendant d’une autre entreprise de manière à constituer un établissement stable de cette entreprise ;

o Si un local où se trouvent des équipements informatiques, tel qu’un serveur, peut, dans certaines circonstances, constituer un établissement stable, il faut pour cela que les fonctions exercées dans ce local soient importantes et constituent en outre un élé-ment essentiel de l’activité commerciale de l’entreprise. Ainsi, il n’y aura pas établissement stable si les opérations de commerce électronique réalisées à partir du serveur se limitent à des activités préparatoires ou auxiliaires, telles que de la publicité ou de la fourniture d’informations sur des produits ou services sans possibilité d’achat en ligne.

Appréciation critique

L’analyse de l’OCDE est à notre sens criticable, et ce pour au moins deux motifs. En premier lieu, sur le plan des principes, elle s’inscrit à contre-courant de la directive européenne sur le commerce électronique, qui prévoit que ne peuvent constituer un « établissement » au sens des articles 52 et sui-vants du Traité de Rome « la présence et l’utilisation des moyens techni-ques et des technologies requis pour fournir le service », à savoir par exemple l’hébergement de sites web.

Ensuite, l’approche « matérielle » de l’OCDE nous semble dépassée, et il eût été peut-être indiqué d’oser remettre plus fondamentalement en cause l’interprétation traditionnelle de l’établissement stable.

En effet, le point de départ est celui d’un équipement informatique – le serveur – qui, par opposition à un site web, peut seul se « matérialiser » en établissement stable.

Les auteurs du nouveau commentaire ont à l’évidence été influencés par une exception déjà prévue dans l’ancien commentaire de l’article 5 de la Convention fiscale Modèle : une entreprise étrangère peut détenir un établissement stable dans un autre pays par le simple fait d’y placer, exploiter, contrôler ou entretenir des distributeurs automatiques ou des appareils de jeu, sans qu’aucune présence physique de membres de son personnel ne soit requise.

Toutefois, l’analogie entre serveur et distributeur automatique ne résiste pas à l’analyse : il existe une identité entre le pays où est installé le distributeur et la résidence des personnes qui l’utilisent, alors que tel n’est pas nécessairement le cas entre un serveur et la « clientèle » du site web qu’il héberge.

En effet, une entreprise établie dans un pays A peut décider de situer son serveur (qu’elle contrôle) dans un pays B, pour y héberger un site de vente en ligne qui s’adressera à des résidents d’un pays C.

Dans ce cas, selon les nouveaux commentaires de l’article 5, le serveur pourra être assimilé à un établissement stable situé sur le territoire du pays B, alors que toutes les transactions sont réalisées avec des personnes établies dans le pays C… L’on complique encore les choses dans l’hypothèse où certaines applications informatiques (modules de paiements en ligne etc…) fonctionnent en mode ASP à partir d’un pays D…

Selon nous, dans un univers aussi dématérialisé qu’Internet, il conviendrait de consacrer un ‘ »équivalent numérique » de l’établissement stable.

En effet, l’internet est une technique de communication à distance, ce que sont également le téléphone ou le fax, mais avec une caractéristique unique : sa faculté de « virtualiser » tous les types de relations (casinos virtuels, catalogues en ligne, cyber-banques etc..).

Aujourd’hui, l’on ouvre un magasin électronique comme on lance un nouveau commerce de détail. Seule la forme change.

Par conséquent, il nous semble conforme au fondement même de la notion d’affirmer que, sur l’internet, les vrais établissements stables sont ces sites de vente en ligne qui sont exploités par des sociétés établies dans un pays donné mais qui « ciblent » des résidents d’un ou plusieurs autres territoires.

Ce type de raisonnement a déjà été consacré dans d’autres débats juridiques relatifs à l’internet.

Ainsi, selon le Règlement européen du 22 décembre 2000 « concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale », lorsqu’un consommateur de l’Union européenne achète un CD sur un site étranger, il pourra toujours saisir ses tribunaux nationaux dès lors que le site « dirige » ses activités vers le pays de l’acheteur (ou plusieurs pays dont le sien).

Ce faisant, le législateur européen a fait application du critère de « destination », préconisé par certaines organisations internationales notamment en matière de services financiers en ligne ou de marques sur l’internet (voir notre chronique « Responsabilités sur Internet : loi applicable et juridiction compétente » ).

Ce serait en quelque sorte le même critère qui serait appliqué à l' »établissement stable électronique » : lorsqu’un site web cible ou dirige ses activités vers un territoire donné, il pourrait être considéré que le société qui l’exploite y a établi un établissement stable… Les conditions d’application du critère devraient bien entendu être précisées, notamment lorsque le site en question cible une large zone (toute l’Union européenne par exemple).

La qualification des paiements

Lorsqu’une information ou un produit digitalisé est transmis « en ligne » contre paiement, s’agit-il d’une vente de biens, d’une location de biens immatériels ou d’une prestation de services ?

D’un point de vue fiscal, la question est essentielle. En effet, si l’opération est une vente ou une prestation de services, les revenus seront taxés dans le pays de résidence (ou de l’établissement stable) du vendeur ou du prestataire de services.

Ainsi, les revenus générés par la vente d’un CD ou par la consultation payante d’une base de données depuis un site géré par une société résidente des États-Unis seront soumis à l’impôt américain (ou éventuellement à l’impôt du pays de « résidence » du serveur, si celui-ci est assimilé à un établissement stable).

Si l’opération est une location de biens immatériels (cession d’un droit d’usage), la Convention Modèle de l’OCDE impose de taxer les redevances (royalties) exclusivement dans l’État de rési-dence du bénéficiaire (l’opérateur du site web en l’occurrence). Toutefois, de nombreuses conventions fiscales dérogent à ce principe et prévoient une retenue à la source, même si le bénéficiaire du revenu n’a pas d’établis-sement stable dans l’État de la source (où réside l’internaute-client).

Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a également décidé d’étudier la question, pour clarifier à terme les « notions de biens incorporels, de rede-vances et de services, plus particulièrement pour les données numérisées » utilisées dans la Convention Modèle Fiscale.

Un rapport préliminaire a été publié le 24 mars 2000 par l’un des groupes d’experts (Technical Advisory groups) du Comité des affaires fis-cales. Le comité a ensuite publié un document modifié en date du premier septembre 2000 aux fins de consultation publique. A l’issue de celle-ci, un dernier document a été rendu public le premier février 2001, qui semble refléter un consensus au sein du Comité.

Parmi les clarifications proposées, nous en retiendrons une principale. Elle a trait à la qualification des paiements effectués pour la délivrance en ligne de biens digi-talisés.

En effet, dans certains pays, la législation applicable stipule que les transactions permettant au client de télécharger des produits numériques peuvent faire intervenir un usage du droit d’auteur par le client, par exemple parce que le contrat l’autorise à réaliser une ou plusieurs copies du contenu numérique.

Si la contrepartie essentielle porte sur autre chose que l’usage ou la concession de droits d’auteur (notamment l’acquisition d’autres types de droits, données ou services contractuels) et que l’usage du droit d’auteur se limite aux droits de téléchargement, stockage et exploitation sur l’ordinateur, cet usage ne doit pas être pris en compte dans la détermination de la nature du paiement aux fins de l’application de la définition des « redevances ».

Tel est le cas des transactions qui permettent au client de télécharger des produits numériques (tels que logiciels, images, sons ou texte).

Dans ces transactions, le paiement est effectué pour acquérir des données transmises sous la forme d’un signal numérique. Il s’agit là de la contrepartie essentielle de la rémunération, qui ne correspond donc pas à des redevances.

En revanche, lorsque la contrepartie essentielle du paiement est l’octroi d’un droit d’auteur sur un produit numérique qui est téléchargé, les transactions correspondantes donnent lieu à des redevances.

Tel est le cas, par exemple, d’un éditeur qui paie pour acquérir le droit de reproduire une image protégée par un droit d’auteur qu’il télécharge pour la faire figurer sur la couverture d’un livre. Dans cette transaction, la contrepartie essentielle du paiement est l’acquisition de droits d’auteur.

Article paru dans L’Echo du 20 septembre 2001

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