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Cybersurveillance des salariés : l’étau se resserre suite à un arrêt de cassation français

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Le voilà enfin… Le premier grand arrêt de principe de la Cour de cassation (française) en matière de surveillance des activités « électroniques » des salariés. La décision, rendue le 2 octobre 2001, était attendue. C’est que le contrôle de l’utilisation des technologies dites « nouvelles » sur le lieu de travail ne cesse de défrayer la chronique. Et,…

Le voilà enfin… Le premier grand arrêt de principe de la Cour de cassation (française) en matière de surveillance des activités « électroniques » des salariés.

La décision, rendue le 2 octobre 2001, était attendue. C’est que le contrôle de l’utilisation des technologies dites « nouvelles » sur le lieu de travail ne cesse de défrayer la chronique. Et, malgré la démultiplication des litiges entre employeurs et travailleurs à ce propos (Pour une étude de la question en droit belge, voy. O. RIJCKAERT, « Le contrat de travail face aux nouvelles technologies », Orientations, 2000, 201), les juridictions du travail n’avaient pas encore véritablement eu l’occasion de dégager des principes clairs en la matière.

C’est à présent chose faite. Dans un contexte de plus en plus « chaud », l’arrêt de la Cour de Cassation française du 2 octobre 2001 fera incontestablement des remous, et pas seulement Outre-Quiévrain.

Les faits et la procédure

Les faits peuvent être résumés en quelques lignes. Monsieur O., employé auprès de la s.a. Nikon, est licencié pour motifs graves. L’une des fautes reprochées est l’usage, à des fins personnelles, du matériel mis à sa disposition par la société dans un but professionnel (en l’espèce, un ordinateur). Pour établir les faits reprochés, l’employeur avait, en l’absence du travailleur et sans l’en avertir, ouvert et reproduit sur disquette le fichier intitulé « Personnel » de l’ordinateur mis à disposition du travailleur.

Monsieur O. saisit les juridictions prud’homales en vue de contester le bien fondé de son licenciement. Il fait notamment valoir, devant la Cour d’appel de Paris, que les documents invoqués par l’employeur à l’appui du licenciement ont été obtenus de façon illicite. Dans son arrêt du 29 mars 1999, la Cour rejette cette argumentation, relevant que « l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail ». La Cour d’appel confirme ainsi le bien fondé du licenciement du travailleur, qui se pourvoit en cassation contre l’arrêt.

Un seul attendu

L’essence de l’arrêt rendu par la Cour de cassation française tient en un court attendu : « Le salarié a droit, même au temps et lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée; celle-ci implique en particulier le secret des correspondances; l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur ».

La Cour casse ensuite l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en ce qu’il viole, entre autres, deux textes légaux : l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’article 120-2 du Code du travail, qui dispose que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Un arrêt de principe

L’arrêt du 2 octobre 2001 est le premier rendu en la matière par la haute juridiction française. Et toutes les conditions semblent réunies pour en faire un véritable arrêt de principe : les faits soumis à l’appréciation de la Cour sont simples (et se produisent quotidiennement dans les entreprises), la formulation de l’arrêt est limpide et sa portée clairement circonscrite.

Que retenir de l’arrêt ?

Il rappelle tout d’abord que le salarié a droit, même sur le lieu de travail, au respect de sa vie privée. Ce droit fut à plusieurs reprises consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme, notamment dans son célèbre arrêt Niemietz;

Corollaire de ce droit : le secret des correspondances du salarié doit être garanti, même sur le lieu de travail;

Les documents stockés sur un ordinateur, dans un dossier intitulé « Personnel », méritent la qualification de « correspondance ». L’employeur qui en prend connaissance viole le droit du salarié au respect de sa vie privée;

Le fait que les correspondances aient été échangées au moyen des outils informatiques appartenant à l’employeur est sans incidence. De même, le fait que l’employeur interdise toute utilisation privée des outils de travail ne l’autorise pas à prendre connaissance des courriers personnels échangés par le travailleur.

Un avocat général qui ne mâche pas ses mots…

Si l’arrêt de la Cour mérite incontestablement l’attention, les conclusions de l’Avocat général valent, elles aussi, le détour.

Le magistrat rappelle tout d’abord que, en vertu de son pouvoir de direction, l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail. Cette prérogative est toutefois en concurrence avec d’autres droits, dont celui du travailleur au respect de sa vie privée.

Ainsi, la surveillance et le contrôle ne peuvent en principe s’exercer que dans le respect des principes de loyauté et de transparence. Tant les textes légaux que la jurisprudence de la Cour de cassation exigent que le travailleur soit informé sur les dispositifs mis en place en vue de collecter des renseignements le concernant. L’utilisation de moyens secrets n’est en revanche pas admise.

Une fois ces principes rappelés, l’Avocat général fustige le comportement de certains employeurs qui seraient enclins à exercer un contrôle trop « serré » sur leurs travailleurs : « L’identité intime du salarié, qui n’est pas seulement un être de travail, doit être respectée (…) L’entreprise ne peut être un espace où l’arbitraire et le pouvoir discrétionnaire s’exercent sans frein, un terrain d’espionnage où seraient bafoués les droits fondamentaux ».

Il poursuit – quelque peu en marge de l’espèce soumise à la Cour – en abordant la question, controversée, du droit de l’employeur d’interdire à ses salariés toute communication privée durant le temps de travail. Pour l’Avocat général, « une telle prohibition totale paraît (…) tout-à-fait irréaliste au 21è siècle. Comment en effet, en l’absence d’abus manifeste ou d’actes illicites, empêcher un salarié d’appeler de son poste de travail, par téléphone ou par mail, pendant ses heures de pause (…) pour régler des affaires personnelles urgentes ? ». L’Avocat général prend ainsi distance par rapport aux juridictions de fond (françaises) qui, dans la plupart des cas, ont jugé sévèrement le comportement de l’employé faisant usage, à des fins privées, de l’Internet ou de l’e-mail.

Enfin, tout en proposant à la Cour de casser l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, l’Avocat général – dans une envolée aux accents prophétiques – annonce que l’arrêt à venir « ne serait que la première pièce d’un édifice encore à construire, tant sont multiples les problèmes posés par les nouvelles technologies ».

Et en Belgique ?

Rappelons tout d’abord aux non juristes que, aussi remarquable qu’il soit, l’arrêt de la Cour de cassation française du 2 octobre 2001 n’a aucun effet juridique direct en Belgique. Ceci étant, il ne manquera pas de marquer les esprits des praticiens du droit social, qu’ils soient syndicalistes, magistrats, avocats ou directeurs des ressources humaines.

Relevons par ailleurs que la plupart des textes sur lesquels se fonde la Cour de cassation française pour casser l’arrêt ont soit un effet direct, soit un vague équivalent dans l’ordre juridique belge. Ainsi, l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme a un effet direct en Belgique. Par ailleurs, l’article 6, 5° de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail impose à l’employeur d’y mentionner – et donc en principe de négocier avec les représentants des travailleurs – les « droits et obligations du personnel de surveillance ». Cette disposition se rapproche quelque peu de l’article 121-8 du Code du travail français – sur lequel la Cour se fonde dans son arrêt – qui impose l’information et la consultation du Comité d’entreprise préalablement à la mise en oeuvre des moyens ou techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés. De même, la Convention collective de travail (belge) n° 68 relative à la vidéosurveillance, traduit en termes clairs les principes de finalité, proportionnalité et transparence qui sont les conditions nécessaires à toute ingérence dans la vie privée des individus. La CCT impose ainsi que la surveillance soit adéquate, pertinente et non excessive au regard des finalités poursuivies. Par ailleurs, le respect du principe de transparence se traduit, aux termes de l’article 9 de la CCT, par une obligation d’information du Conseil d’entreprise . L’information doit porter sur « tous les aspects de la surveillance », c’est-à-dire notamment la finalité poursuivie, la conservation des images, le nombre de caméras et leur emplacement et les périodes durant lesquelles les caméras fonctionnent. Enfin, le secret des télécommunications est garanti en droit belge par l’article 314bis du Code pénal et la loi du 16 mars 1991 .

Les textes existent donc, qui permettraient à nos juridictions de fond – et à notre Cour de cassation – de rendre des décisions semblables à celle prononcée le 2 octobre dernier par la Cour de cassation française. Une recommandation s’impose donc aux employeurs qui choisiraient d’exercer un contrôle sur les activités « électroniques » de leurs travailleurs : le respect des principes de finalité, de proportionnalité et surtout, de transparence. Sur ce dernier point, l’adoption de directives claires ou, mieux encore, la négociation, avec les représentants des travailleurs, des modalités du contrôle de l’usage des « nouvelles technologies », semble désormais incontournable.

Plus d’infos

En prenant connaissance de l’arrêt et des conclusions générales, en ligne sur notre site dans la partie jurisprudence.

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