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Après dix ans la justice blanchit Madonna : elle n’a pas plagié

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La Cour d’appel ne nie pas la ressemblance entre les deux chansons en cause et elle reconnait même que les quelques mesures litigieuses « accrochent l’oreille », mais elle conclut que ces mesures se retrouvent dans de nombreuses ouvres antérieures à la chanson composée par le plaignant. A défaut d’originalité, pas de protection. La Madonne est donc blanchie.

Les faits

En 1998, Madonna sort un album Ray of light sur lequel on trouve notamment le titre (le tube, vu le succès rencontré) «Frozen» enregistrée au Copyright Office américain le 4 mai 1998.

Un artiste belge se plaint de plagiat. Avec sa maison d’édition, il saisit l’organisme belge de gestion collective (la SABAM)  qui constate en janvier 1999 une forte ressemblance et soumet le cas à un comité d’experts qui a statué comme suit le 29 juillet 2002: « Les experts constatent une grande similitude entre les 4 premières mesures chantées des 2 œuvres. Ces 4 mesures reviennent plusieurs fois dans les deux couvres. Dans les deux cas, cette mélodie est l’élément qui accroche davantage l’oreille. Dans les deux cas, l’harmonie se limite à un accord mineur tenu pendant 4 mesures. Мélodiquement et rythmiquement, les experts constatent une différence de  notes sur le troisième temps de la première mesure. Le genre est différent (ballade pour «Frozen» et rock plus rapide pour «Ma vie fout l’camp»). On notera quelques différences d’accentuation mais globalement l’impression est celle d’une similitude flagrante pour le passage concerné».

La justice est saisie.

Un jugement est rendu le 18 novembre 2005, qui dit pour droit que la mélodie soutenant la chanson « Frozen » constitue un plagiat de celle soutenant la chanson « Ma vie fout l’camp » et ordonne des mesures de cessation sous astreinte.

Entretemps, la SABAM avait bloqué à titre conservatoire les droits perçus pour l’exploitation de « Frozen » en Belgique et averti l’ASCAP (son équivalent américain).

L’affaire aboutit devant la Cour d’appel.

Celle-ci commence par geler le dossier car dans l’intervalle, une autre action a été introduite par d’autres personnes devant le TGI de Paris, qui peut avoir un impact : selon les plaignants, la mélodie en cause a en réalité été créée en 1982 pour une chanson « Bloodníght ». Par jugement (définitif et non frappé d’appel) rendu le 6 janvier 2012, le tribunal français a débouté les demandeurs, estimant la contrefaçon non caractérisée en fonction des divergences de métrique et du défaut d’originalité de la suite litigieuse des cinq notes communes entre les couvres.

La cour d’appel reprend donc le dossier en 2012 et vient de rendre un arrêt qui blanchit Madonna et sa maison d’édition.

Les principes en cause

La Cour fait la part des choses :

  • En amont, l’œuvre première (lire « l’œuvre créée en premier ») doit constituer une création intellectuelle propre à son auteur, expression originale de sa liberté créatrice, portant l’empreinte de sa personnalité.
  • En aval, lorsqu’il y a une véritable création, la liberté de créer du créateur second entre en jeu pour tempérer les prétentions parfois démesurées du premier créateur.

Et le débat de se focaliser, comme on pouvait s’en douter, sur l’originalité puisque c’est ce critère qui encadrera la réflexion du juge, aussi bien en amont qu’en aval.

La cour fait un bel effort pédagogique et prend la peine de rappeler quelques principes :

  • L’originalité doit être marquée. La Cour de Justice Benelux, dans son arrêt du 22 mai 1987, a précisé que l’adjectif « marqué » impliquait qu’après examen de l’originalité, si  un « doute raisonnable » subsistait, la protection par le droit d’auteur devait être écartée (Fernand DE VISSCHER et Benoît MICHAUX, Précis du droit d’auteur et des droits voisins, Bruylant, 2000, p. 185).
  • S’agissant de l’originalité résultant de la combinaison d’éléments en cas de reproduction partielle, l’arrêt Infopaq de la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que les parties de l’œuvre bénéficient de la protection « à condition qu’elles contiennent certains des éléments qui sont l’expression de la création intellectuelle propre à l’auteur de cette œuvre » (point 39) et que « la reprise d’un extrait d’une œuvre protégée … est susceptible de constituer une reproduction partielle … si un tel extrait contient un élément de l’œuvre qui, en tant que tel, exprime la création intellectuelle propre à l’auteur» (point 48). Pour la Cour d’appel, cela signifie que l’arrêt Infopaq « indique que l’originalité, qui peut porter sur une combinaison d’éléments connus, s’apprécie différemment selon le genre de l’œuvre ».
  • La doctrine déduit de ces arrêts que « l’empreinte de la personnalité de l’auteur est et reste l’élément central, caractérisant l’originalité de la création. La Cour de Justice ne se borne pas à examiner si l’œuvre litigieuse est une création intellectuelle propre à l’auteur. Elle va plus loin. Elle recherche les éléments originaux qui marquent l’œuvre litigieuse de la personnalité de l’auteur» (Ariane. JOACHIMOWICZ, obs. sous Cass., 26 janvier 2012, J.L.M.B., 2012/21, p. 984).
  • Les éléments repris ou copiés ne méritent une protection que si leur choix et leur combinaison sont suffisamment originaux en sorte que l’étendue de l’exclusivité dépend de l’originalité de l’œuvre contrefaite, laquelle doit s’apprécier non pas au regard de l’œuvre en tant que telle, mais des éléments repris.
  • En matière de droits d’auteur, la contrefaçon ne requiert pas un risque de confusion, mais il faut, condition nécessaire mais non suffisante, une similarité substantielle entre les deux créations.

La Cour en vient alors au domaine musical, marqué par la présence de sept notes seulement :

  • Pour la Cour, « la composition musicale, qui utilise un vocabulaire musical limité, le nombre de notes n’étant que de sept, se compose de la mélodie, de l’harmonie et du rythme. Seule la mélodie, création de forme par excellence, est appropriable en elle-même, tandis que l’harmonie et le rythme ne peuvent être protégés qu’appliqués à une mélodie (Henri Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, Paris, 1976, p. 139, n°109) ».
  • La ressemblance doit s’apprécier de façon synthétique, du point de vue de l’auditeur moyen, non du spécialiste, sans mettre l’accent sur les différences. Cette analyse synthétique se retrouve en amont, pour apprécier l’originalité, et en aval, pour juger la contrefaçon.
  • L’originalité peut être contestée par la preuve de la présence des éléments similaires dans des œuvres antérieures, qualifiées de «destructrices d’originalité».
  • Suivant la doctrine, « En synthèse, il est permis d’affirmer que sur le plan de la preuve, il faut mais il suffit qu’au départ, l’auteur présumé identifie ses choix libres et créatifs, et qu’il les rende vraisemblables. En vertu de son obligation de contribuer à l’administration de la preuve, le défendeur devra ensuite, pour contester avec succès l ‘originalité apparente, produire des éléments de nature à contredire la liberté ou la créativité des choix, par exemple à l’aide d’antériorités. L’étape suivante, s’il doit y en avoir une, consisterait pour l ‘auteur présumé à réfuter ces derniers éléments de manière motivée» (Benoit MICHAUX ; «Le juge national et l’originalité en droit d’auteur après l’arrêt Infopaq », A.&M., 2013/2, p. 93).

Application à la chanson de Madonna

Le plagiat musical reproché ne concerne pas l’ensemble de la chanson, mais seulement quelques mesures, et plus particulièrement les deux premières mesures du premier couplet chanté « 3.3.3. 2.2.2. 1.7.1 », répétées à deux reprises, qui se retrouvent dans la chanson de MADONNA sous une forme comparable (mais avec une note en plus, dix au lieu de neuf, 3.3.3.2 2.2.2 1.7.1) et selon une structure similaire (mais avec un couplet en plus, trois au lieu de deux).

La Cour commence par écarter l’avis de la Sabam, « qui n’a aucune valeur contraignante ».

La Cour ne nie pas la ressemblance entre les deux chansons, et elle reconnait même les quelques mesures litigieuses « accrochent l’oreille », mais elle conclut que ces mesures se retrouvent dans de nombreuses œuvres antérieures à la chanson composée par le plaignant. Et la Cour de citer, entre autres titres, «The Nights The Lights Went Out in Georgia» (Bobby RUSSELL, 1972) et «Livin’On A Prayer» (John BON JOVI, 1986).

Conclusion logique : « Confrontées à ces antériorités destructrices d’originalité, il appartient aux [plaignants] de prouver que, malgré cet emprunt apparent, l’originalité de la chanson « Ma vie l’camp», et plus particulièrement des mesures litigieuses reprises dans la chanson « Frozen », n’est pas restreinte ou compromise par les éléments antérieurs. »

Il s’en déduit que « ces mesures, leur combinaison et leur répétition ne portent pas suffisamment la touche personnelle [du plaignant] pour présenter l’originalité requise pour être protégées par le droit d’auteur. La partie de la ligne mélodique de « Ma vie fout l’camp » se retrouvant dans « Frozen » ne présente pas une originalité suffisamment marquée pour justifier cette protection.

Commentaires

On salue l’effort pédagogique de la Cour.

Les fans de la Madonne retiendront qu’elle est blanchie de l’accusation de plagiat.

Ses détracteurs retiendront que la mélodie de Frozen est tellement banale qu’elle n’a pas été jugée originale, ce qui ne l’a pas empêché d’être un tube (à moins que ce soit pour cela que c’est devenu un tube … ?).

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt rendu par la Cour d’appel

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