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Les mesures techniques de protection du droit d’auteur et des droits voisins : quel rôle pour les Etats membres ?

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La mise en place de mesures techniques (on entend par « mesures techniques » toute technologie, dispositif ou composant qui est destiné à empêcher ou à limiter les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin, par le moyen d’un code d’accès ou d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le…

La mise en place de mesures techniques (on entend par « mesures techniques » toute technologie, dispositif ou composant qui est destiné à empêcher ou à limiter les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin, par le moyen d’un code d’accès ou d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet protégé ou d’un mécanisme de contrôle de copie ; voir pour la définition complète l’article 6-3 de la Directive) par les titulaires de droits d’auteur et de droits voisins afin de protéger leurs œuvres et enregistrements contre des utilisations non autorisées est aujourd’hui largement répandue, particulièrement dans l’environnement numérique. Or cette application technique des droits ne doit pas pour autant priver les utilisateurs des exceptions aux droits prévues par la loi. C’est notamment sur cette question que la Directive européenne du 22 mai 2001 (directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, JOCE L 167/10 du 22 juin 2001) se prononce en instaurant un impératif : la recherche de l’équilibre entre les droits et les exceptions.

L’article 6-4 dispose dans son premier paragraphe que :

« (…) en l’absence de mesures volontaires prises par les titulaires de droits, y compris les accords entre titulaires de droits et d’autres parties concernées, les Etats membres prennent des mesures appropriées pour assurer que les bénéficiaires des exceptions ou limitations prévues par le droit national (…) puissent bénéficier desdites exceptions ou limitations dans la mesure nécessaire pour en bénéficier lorsque le bénéficiaire a un accès licite à l’œuvre protégée ou à l’objet protégé en question ».

Le deuxième paragraphe de l’article 6-4 reprend également ce principe de l’intervention subsidiaire de l’Etat, avec la différence suivante : l’Etat a la faculté (et non l’obligation comme dans le premier paragraphe) de prendre les « mesures appropriées » pour permettre l’application de l’exception pour copie privée (alors que le premier paragraphe concerne d’autres exceptions « facultatives » prévues aux articles 5-2 et 5-3), à condition que la « reproduction pour usage privé » n’ait pas été rendue possible au préalable, « dans la mesure nécessaire », par les titulaires de droits.

Cette recherche d’équilibre entre les droits et les exceptions est la pierre angulaire de l’article 6-4 de la Directive. Cet impératif d’équilibre, aujourd’hui interne à cette Directive, pourrait prendre une dimension plus importante et déborder le seul cadre des mesures techniques pour influencer l’ensemble du droit communautaire de la propriété intellectuelle, dans la mesure où la question de l’équilibre entre les droits et les exceptions est essentielle au développement de la distribution des objets protégés sur les réseaux numériques.

Le rôle secondaire de l’Etat dans le dispositif de la Directive

Dans la recherche d’équilibre entre droits et exceptions, l’Etat est relégué au second plan, la Directive encourageant le mécanisme de l’autorégulation. La liberté contractuelle des titulaires de droits est en effet privilégiée par rapport à l’intervention de l’Etat. C’est d’abord par l’adoption de « mesures volontaires » par les titulaires de droits que l’équilibre entre droits et exceptions doit être assuré.

L’Etat a certes un second rôle, mais dans l’hypothèse où il doit (article 6-4 paragraphe 1) ou peut (article 6-4 paragraphe 2) intervenir, comment doit-il intervenir ? La Directive dispose que l’Etat doit prendre les « mesures appropriées » pour assurer l’exercice des exceptions, sans donner d’indication quant à la nature de ces mesures (quelques possibilités ont été avancées quant à la nature de ces « mesures appropriées ». Voir sur ce point Gilles VERCKEN, qui évoque des moyens d’intervention déjà prévus par le Code de la Propriété Intellectuelle français (la saisine du tribunal par le Ministère de la Culture ou l’intervention de commissions spécialisées) in La protection des dispositifs techniques (II) ; recherche clarté désespérément : à propos de l’article 6.4 de la directive du 22 mai 2001, intervention au Colloque organisé par l’IRPI et l’AFPIDA à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris le 25 octobre 2001, La directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information. Bilan et perspectives, publiée dans Propriétés Intellectuelles, janvier 2002, n° 2, p. 56. Ce qui est certain, c’est que l’intervention de l’Etat sera obligatoire si, à l’expiration d’un délai fixé dans la loi nationale de transposition, les titulaires de droits n’ont pas mis en place certaines mesures).

Quels moyens de contrainte pourrait-on mettre en œuvre à l’encontre de l’Etat qui n’a pas agi après qu’il ait estimé que les conditions de mise en œuvre de l’article 6-4 étaient remplies ? Les institutions communautaires ont-elles le pouvoir de juger de l’équilibre atteint entre droits et exceptions selon le droit national de l’Etat concerné ?

L’impératif d’équilibre entre droits et exceptions n’a pas la même force obligatoire pour l’Etat que pour les titulaires de droits. En effet, ces derniers ne doivent assurer l’exercice des exceptions que « dans la mesure nécessaire ». En somme, la Directive leur demande, dans leur droit d’installer des mesures techniques, d’avoir simplement la bonne volonté de permettre aux utilisateurs de bénéficier des exceptions. C’est à l’Etat que revient l’obligation finale de faire respecter les exceptions, et c’est sur l’Etat que s’exercent les contraintes des institutions communautaires si l’équilibre entre droits et exceptions n’est pas atteint. L’utilisateur ne pourra reprocher l’impossibilité d’exercer une exception qu’à l’Etat et non aux titulaires de droits.

Comment le particulier pourra-t-il inciter l’Etat à agir ? Selon le principe de l’application indirecte des directives, le particulier ne peut pas demander au juge national d’appliquer les dispositions de la Directive. Seule la Commission européenne a le pouvoir de contraindre l’Etat à intervenir, saisie par un particulier ou par un autre Etat-membre. Les moyens de forcer l’Etat à intervenir sont donc limités, au détriment des bénéficiaires d’exceptions (bien que l’on puisse également imaginer une contrainte d’intervention de l’Etat pour rétablir l’équilibre non au bénéfice des exceptions mais au bénéfice des droits).

Malgré la moindre marge de manœuvre de l’Etat, celui-ci risque d’être l’objet de la plus grande attention des institutions communautaires. L’intervention de l’Etat sera en effet d’autant plus nécessaire que les titulaires de droits ne seront pas parvenus à assurer l’équilibre entre les droits et les exceptions. C’est au regard du contrôle plus ou moins accru de la Communauté européenne sur l’intervention des Etats-membres que l’on pourra déterminer la valeur juridique et l’importance de l’impératif d’équilibre entre les droits et les exceptions – simple impératif interne à la Directive du 22 mai 2001 ou véritable principe communautaire.

L’Etat et les autres Etats-membres dans l’application de la Directive

L’Etat doit-il prendre en compte les « mesures volontaires » prises par les titulaires de droits d’un autre Etat-membre pour apprécier la nécessité de prendre des « mesures appropriées » ? Par exemple, parmi les conditions d’intervention de l’Etat, l’article 6-4 paragraphe premier dispose que le bénéficiaire de l’exception doit avoir un « accès licite » à l’objet protégé. L’accès doit-il être licite au regard des mesures techniques installées par les titulaires de droits de l’autre Etat-membre ou au regard du droit d’auteur de cet autre Etat, même si celles-ci mettent en oeuvre un droit ou une exception non reconnu par le droit national ?

Si seulement la question du rôle de l’Etat ne se posait que dans ces termes ! Mais la Directive ajoute une exception : les dispositions de l’article 6-4 ne s’appliquent pas aux services en ligne « à la demande » (article 6-4 § 4 : « Les dispositions des premier et deuxième alinéas ne s’appliquent pas aux œuvres ou autres objets protégés qui sont mis à la disposition du public à la demande selon les dispositions contractuelles convenues entre les parties de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement »). Les Etats-membres sont-ils donc libres d’intervenir, sans considération de la liberté contractuelle des ayants-droit et sans prise de « mesures appropriées », hors du champ de l’article 6-4 ? La difficulté d’appréhender le rôle des Etats-membres n’en est que plus importante, dans la mesure où le critère du champ de cette exception n’est pas clairement défini. Le Considérant 53 de la Directive précise que sont concernés les services « à la demande » « interactifs » et « régis par des dispositions contractuelles ». A contrario, le champ d’application de l’article 6-4 semblerait donc couvrir les services Internet qui ne sont pas régis par contrat, c’est-à-dire les services gratuits, aujourd’hui majoritaires sur Internet. Quant à la définition d’une frontière entre les services « à la demande », « quasi à la demande » et les autres, on connaît les difficultés que cela pose, notamment dans la détermination du champ de la licence légale en matière de droits voisins (les discussions menées actuellement en France dans le cadre de la mission Derepas concernant la licence légale en matière de droits voisins témoignent de ces difficultés ). De même pour la définition des services interactifs et non-interactifs. Finalement, l’exception des services « à la demande » pourrait avoir un champ d’application assez restreint.

Les Etats vont-ils se voir imposer la mise en œuvre de droits et d’exceptions « étrangers » à leur droit national ? Qu’adviendra-t-il si la Grande-Bretagne (connue pour avoir un droit moins restrictif sur les exceptions aux droits d’auteur) refuse d’importer un équipement fabriqué en France empêchant ses ressortissants de réaliser un acte autorisé par leur droit d’auteur national ? Qu’adviendra-t-il si un contenu protégé est accessible sur Internet à partir du territoire français, alors qu’il contient une mesure technique intégrée sur le territoire d’un autre Etat-membre, à partir duquel il a été mis en circulation, permettant l’exercice d’actes non autorisés par le droit d’auteur français ? Ces exemples sont déclinables autant qu’il y a d’Etats-membres. Si l’on se réfère à l’absence d’hésitation du juge français à appliquer son droit national à tout contenu accessible à partir du territoire français (voir notamment l’affaire Yahoo!, TGI Paris, Ordonnance de référé du 20 novembre 2000, UEJF, LICRA c/ Yahoo!.), autant dire que le droit s’annonce plus « parcellaire » que « communautaire » !

Les différences quant aux droits et exceptions reconnus par le droit national des divers Etats-membres risquent d’être un frein au commerce des équipements et à l’échange des contenus intégrant des mesures techniques (d’autant que les dispositions de la Directive concernant les exceptions – articles 5-2 et 5-3 – qui laissent une large marge de manœuvre au Etats quant aux exceptions dites « facultatives », sont loin d’harmoniser les droits nationaux.). On peut craindre en effet que les Etats refusent de reconnaître la légitimité de certaines mesures techniques sur leur territoire en raison de l’absence de reconnaissance par leur droit national des droits imposés ou des exceptions permises par ces mesures. Un Etat-membre pourrait-il également se plaindre de ce que son voisin autorise des moyens de contournement de mesures techniques permettant l’exercice d’exceptions non reconnues par son droit national ?

C’est par la force des choses, lorsque la mise en circulation d’équipements et de contenus protégés comportant des mesures techniques soulèvera de telles difficultés, que le principe communautaire de la liberté de circulation des marchandises sera invoqué afin de relativiser l’impératif de l’équilibre entre droits et exceptions et sa mise en oeuvre. L’impératif d’équilibre posé par l’article 6-4 de la Directive, qui semble aujourd’hui être confiné au domaine de la propriété intellectuelle, pourrait ainsi prendre en considération un principe « supérieur » du droit communautaire (la liberté de circulation des marchandises) et atteindre lui-même le rang de principe communautaire (la propriété intellectuelle possède déjà un principe communautaire : il s’agit de l’épuisement communautaire des droits, qui concilie l' »objet spécifique » du droit d’auteur avec la liberté de circulation des marchandises. Ce principe a été consacré par la jurisprudence ; voir pour une consécration expresse CJCE, 22 janvier 1981, Dansk Supermarked c/ Imerco. L’épuisement communautaire a ensuite été consacré par la Directive du 14 mai 1991 sur les programmes d’ordinateur, par la Directive du 11 mars 1996 sur les bases de données puis par l’article 4-2 de la Directive sur la société de l’information du 22 mai 2001). Le droit de la propriété intellectuelle serait alors une nouvelle fois rapporté à l’échelle de l’espace communautaire, et non pas sur le plan du seul droit national de chaque Etat-membre.

Pourtant, la Communauté ne peut remédier (en l’état actuel du droit communautaire) à la différence entre les droits nationaux et ne peut mettre en cause la souveraineté des Etats appliquant leur droit national sur leur territoire. L’absence d’harmonisation des droits nationaux au sein de la Communauté européenne est ainsi l’éternelle cause des difficultés d’application du droit communautaire. La territorialité de la Communauté européenne est loin de remplacer celle de chaque Etat qui la compose.

Avertissement : L’auteur précise que le contenu de l’article n’engage qu’elle-même. Les analyses qui y sont développées représentent des hypothèses de travail provisoires, qui doivent être considérées comme autant de questions posées à l’occasion de ses recherches et aucunement comme des affirmations.

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