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La Cour de cassation restreint la notion d’hébergeur

Publié le par - 5495 vues

Un site d’intermédiation pour la vente de tickets de matchs de foot doit être qualifié d’éditeur (et non hébergeur) en raison de l’assistance fournie, consistant notamment à optimiser la présentation des tickets en vente et à promouvoir ces ventes. Cela suppose sa connaissance ou son contrôle des données stockées et lui confère un rôle actif qui exclut de le considérer comme un hébergeur. Le début d’un mouvement de fond ?

Les faits

La Fédération Française de Football (FFF) est une association titulaire d’une délégation de service public pour organiser la pratique du football français.

La société Ticketbis SL (la société Ticketbis), société de droit espagnol, exploite le site « www.ticketsbisfr.com » par lequel elle met en relation des revendeurs et des acheteurs potentiels de billets donnant accès à des événements sportifs ou culturels, notamment des billets de matches de football de l’Equipe de France se déroulant en France.

La FFF reproche à la société Ticketbis de contrevenir aux dispositions de l’article 313-6-2 du code pénal et de l’article 4.4 des conditions générales d’acquisition et d’utilisation des billets pour les matches organisés par la FFF en France intitulé « restrictions d’utilisation ».

Elle adresse, à deux reprises, une mise en demeure de retirer de son site internet l’offre de vente de billets de matches qu’elle organisait, en particulier le match France/Bulgarie, puis les matches France/Suède et France/Côte d’Ivoire.

Par une lettre du 27 octobre 2016, la société Ticketbis a informé la FFF avoir retiré les événements concernés de son site.

Pour autant, la FFF constate que la société Ticketbis continue à proposer des billets sur son site pour les matches France/Pays-Bas et France/Luxembourg des 31 août et 3 septembre 2017, et pour le match France/Biélorussie du 10 octobre 2017.

La FFF assigne donc la société Ticketbis en responsabilité, en qualité d’éditeur de site, afin que lui soient alloués des dommages-intérêts et que soient ordonnées différentes mesures.

Hébergeur ?

Les débats tournent autour de la qualité de Ticketbis : éditeur du site et responsable à ce titre, ou hébergeur bénéficiant du régime de responsabilité allégé ?

La Cour d’appel tranche : elle rejette l’action en responsabilité contre la société Ticketbis fondée sur l’article 1240 du code civil au motif que la société défenderesse est un hébergeur. Elle estime que l’utilisateur du site fournit seul les renseignements concernant le billet qu’il désire mettre en vente, en fixe le prix et que la société Ticketbis se contente de stocker sur son serveur les offres à la vente, l’utilisateur ayant également la responsabilité de la transmission du billet à l’acheteur. Elle en déduit que le rôle exercé par la société Ticketbis est neutre, en ce que son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’elle stocke.

La FFF se pourvoit en cassation et invoque notamment le fait que pour bénéficier de la responsabilité limitée des prestataires techniques d’hébergement, l’agent économique doit occuper une position neutre et, donc, ne pas jouer un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées. Or, les billets offerts à la vente étaient classés par manifestation sportive parfaitement identifiée, accompagnés de la date, de l’heure, du lieu du matche et de messages d’actualités et d’incitation à la vente et l’achat de billets relatifs à l’Equipe de France et d’un service garantissant les transactions.

L’optimisation et la promotion des ventes : critères de basculement ?

La cour de cassation rappelle l’article 6, I, 2° de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, au terme duquel les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

Elle souligne aussi l’arrêt Google France de la CJUE, dans lequel cette dernière avait jugé que « l’article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), doit être interprété en ce sens que la règle énoncée s’applique au prestataire d’un service de référencement sur internet lorsque ce prestataire n’a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées. S’il n’a pas joué un tel rôle, ledit prestataire ne peut être tenu responsable pour les données qu’il a stockées à la demande d’un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou d’activités de cet annonceur, il n’ait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles lesdites données ».

A la suite de cette arrêt, la CJUE avait aussi dit pour droit que l’« exploitant joue un tel rôle (actif) quand il prête une assistance laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci » (CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal e.a./eBay international e.a. C324/09).

Appliquant ces arrêts à l’espèce, la Cour de cassation retient que :

  • le site offrait aux éventuels acquéreurs de billets la possibilité de faire des choix entre les différentes compétitions sportives programmées,
  • un commentaire sportif sur les matches à venir illustrait celles-ci, tel « dernière ligne droite avant la prochaine Coupe du Monde » ou « La France favorite face au Luxembourg »,
  • ces commentaires se concluent par la phrase « tous les matchs de qualification du Mondial 2018 sont à suivre en direct grâce à Ticketbis qui vous permet non seulement d’acheter mais de vendre vos billets de match de foot »,
  • la société Ticketbis sécurisait la transaction.

Pour la cour de cassation, il ressort de ces constatations que « cette société, par son assistance, consistant notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause et à promouvoir celles-ci, ce qui reposait sur sa connaissance ou son contrôle des données stockées, avait un rôle actif ».

Concrètement dit : Ticketbis ne peut être qualifié d’hébergeur et la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.

Deux poids deux mesures avec les moteurs de recherche ?

La Cour de cassation a opté pour une vision restrictive de l’hébergeur en donnant à l’arrêt L’Oréal susvisé la plus grande portée possible, parfois au prix d’une argumentation un peu légère : il nous semble par exemple que la Cour se trompe en mettant sur un pied d’égalité une mention qui vise spécifiquement un match déterminé de l’équipe de France (« La France favorite face au Luxembourg »), et  celle qui vise à soutenir de façon générale les activités de Ticketbis sans allusion à une équipe ou un match déterminé (« tous les matchs de qualification du Mondial 2018 sont à suivre en direct grâce à Ticketbis qui vous permet non seulement d’acheter mais de vendre vos billets de match de foot »).

S’il suffit de promouvoir l’activité de l’hébergeur en tant que telle (sans promotion d’une transaction déterminée) pour quitter le rôle d’hébergeur et entrer dans celui de l’éditeur, ne vide-t-on pas de son sens le régime de l’hébergeur ?

Cette sévérité à l’égard des sites d’intermédiation laisse perplexe par rapport à la mansuétude dont bénéficient d’autres acteurs, dont les moteurs de recherche.

L’arrêt Google France a été rendu il y a 12 ans … et l’on fait comme si rien n’avait changé depuis lors.  

Pourtant, les choses ont considérablement évolué, notamment à la suite de la complexification des algorithmes et de l’introduction de l’intelligence artificielle, qui donnent aux moteurs une liberté quasi complète quant à la construction des résultats (avec, on le sait, une tendance de plus en plus nette à orienter les résultats dans un sens déterminé en fonction de décisions qui relèvent exclusivement de l’exploitant du moteur). Par ailleurs, la fonction de recherche est de plus en plus souvent accessoire : elle joue le rôle de produit d’appel vers d’autre produits ou services qui rapportent plus à l’exploitant ou s’inscrivent dans sa stratégie globale.

Est-il certain qu’en appliquant aux moteurs de recherche une approche aussi sévère que celle appliquée aux sites d’intermédiation, ils seraient toujours qualifiés d’hébergeurs ? Dans Google France, la CJUE avait laissé la porte ouverte, soulignant que l’article 14 de la directive sur le commerce électronique s’applique au prestataire d’un service de référencement sur Internet « lorsque ce prestataire n’a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées ».

Vu l’évolution des moteurs de recherche, est-il certain que la CJUE fournirait, aujourd’hui, une réponse identique à celle de 2010 ? La question se pose.

Plus d’infos

En lisant l’arrêt de cassation, disponible en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt Cour de cassation

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