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A propos de l’affaire Bettencourt : de la protection des sources à la protection de la source

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Récemment, la France a connu un nouveau rebondissement dans l’affaire Woerth/Bettancourt. Il est apparu que des relevés téléphoniques avaient été ordonnés par le service français de contre-espionnage et de lutte contre le terrorisme, afin d’identifier la source d’un reporter du journal le Monde concernant les relations entre Eric Woerth et Patrice de Maistre. Y a t’-il eu atteinte à la protection des sources journalistiques ? Un point sur les législations belge et française.

Pour rappel, dans cette affaire, les recoupements téléphoniques ont permis d’établir que des appels avaient été échangés entre un membre du Ministère de la Justice et un journaliste du Monde. La « fuite » ayant transmis le procès verbal d’audition de Mr de Maistre audit journal a donc été démasquée.

Beaucoup voient derrière ces mesures inquisitoires des services secrets français, une violation de la protection des sources journalistiques. Le gouvernement français défend pour sa part la nécessité de faire respecter le secret professionnel auquel était tenu ce haut fonctionnaire ministériel.

Cette affaire est l’occasion de faire un point sur ce principe dit « fondamental » de secret des sources et d’en dessiner les contours, tant vis-à-vis du droit français que de notre droit belge.

Principe : Le droit de taire ses sources

En vertu du principe du secret des sources, le journaliste a le droit de taire ses sources et donc, de ne pas divulguer l’identité de celui qui lui a livré l’information, notamment lorsqu’il est confronté à des mesures judiciaires d’investigation ou d’instruction.

Cette protection est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. « L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général (…). » (CEDH arrêt GOODWIN, 27 mars 1996)

En Belgique, elle est assurée par la loi très libérale du 7 avril 2005. En France, sous la pression de la Cour européenne des Droits de l’Homme, elle fut expressément reconnue dans la loi du 4 janvier 2010.

Les avancées de la nouvelle loi française

Avant cette loi française, quelques articles éparses assuraient une mince protection du secret des sources journalistes dont principalement, l’article 109 al.2 du Code de Procédure Pénale disposant que : « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine. »

La loi de 2010 offre une importante avancée. Elle étend la protection du journaliste aux situations dans lesquelles il n’est plus seulement entendu comme témoin et renforce en outre les garanties procédurales en cas de perquisitions. Que ce soit dans les locaux d’une entreprise de presse, d’une agence de presse, dans un véhicule professionnel ou même au domicile d’un journaliste, ces perquisitions ne pourront être effectuées que par un magistrat et donc sur base d’une décision judiciaire motivée. Les garanties prévoient également que le journaliste puisse s’opposer à la saisie de documents qui permettraient d’identifier une source, l’opposition étant alors tranchée par le juge des libertés et de la détentions. La loi prévoit enfin de meilleurs moyens de défense du journaliste en cas de poursuites en diffamation. On lui donne en effet la possibilité de produire des pièces, pour les nécessités de sa défense, sans qu’il ne craigne être poursuivi pour recel ou violation du secret professionnel.

Cette loi laisse toutefois encore planer certaines incertitudes et reste malgré ses avancées bien moins protectrice que la loi belge.

Les bénéficiaires de la protection

Dans le cas français, les mesures de repérages des appels téléphoniques des services secret semblent avoir été diligentées contre le haut fonctionnaire, non contre le journaliste du Monde.
Malgré le champ d’application large de notre loi belge (est bénéficiaire du secret toute personne qui exerce des activités journalistiques même de façon bénévole ou occasion-nelle -ex. bloggeur- ainsi que tout collaborateur de rédaction -ex. réceptionniste), le haut fonctionnaire, simple informateur, n’est pas un « bénéficiaire » du secret.

Il ne l’est a fortiori pas non plus en vertu de la nouvelle loi française, plus restreinte, qui dispose qu’est journaliste « toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’information et leur diffusion au public » (art.2 al 2).

La nuance est quoi qu’il en soit importante. La question primordiale est donc ici de savoir si cet informateur pouvait en tant que source, à tout le moins bénéficier d’une protection indirecte par la loi contre ces mesures d’investigation.

La protection (indirecte) des sources ?

 

1. En France

 

La loi française prévoit une protection contre les atteintes directes mais aussi indirectes au secret des sources. Est ainsi interdit : « le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources. » Ce fondement est notamment invoqué par le journal le Monde en vue de motiver sa plainte.

En vertu de cette disposition, toutes personnes ayant des « relations habituelles » avec un journaliste peut également bénéficier de la protection (indirecte) de la loi. On pense alors au standardiste téléphoniste d’une entreprise de presse, au chauffeur d’un journaliste, et pourquoi pas plus généralement aux « collaborateurs de direction, soit toute personne qui, par l’exercice de sa fonction, est amenée à prendre connaissance d’informations permettant d’identifier une source et ce, à travers la collecte, le traitement éditorial ou la diffusion de ces mêmes informations » (art. 2, 2° de la loi belge).

L’analyse est intéressante puisqu’on constate finalement que la loi belge étend son champ d’application à toutes ces personnes là, considérées comme bénéficiaires « directs » du secret des sources, là ou la loi française ne semble les envisager que dans un second temps, via une protection indirecte. Différence de méthodologie mais finalité manifestement identique.

Il reste que dans le cas d’espèce, on peut douter que le haut fonctionnaire reçoive cette qualité non seulement de bénéficiaire « direct » (loi belge) mais également de bénéficiaire « indirect » via cet article 2 al.4 de loi française.

2. En Belgique

En Belgique, l’atteinte directe au secret des sources est prohibée. Le journaliste ne peut être contraint de révéler l’identité de ses informateurs. On ne peut pas non plus le contraindre à délivrer des documents qui pourraient aboutir au même résultat.
Contrairement à la loi française, la loi belge n’envisage pas expressément de protection contre les atteintes indirectes.

Il y a toutefois des nuances :
– d’une part, cela est compensé par son champ d’application ratione personae large (art.2, 1°et 2°) et ;
– d’autre part, la loi belge dispose qu’il ne peut être procédé à aucune mesure d’information ou d’instruction, « concernant des données relatives aux sources d’information » des bénéficiaires de la protection. (art.5)

La question qu’il est intéressant de se poser ici, par rapport au cas Woerth/Bettancourt, est de savoir si cet ample libellé le l’article 5 pourrait conduire à interdire de prendre de telles mesures (repérages téléphoniques) à l’encontre d’un informateur- ici le haut fonctionnaire – et ce, même s’il est soupçonné d’avoir violé son secret professionnel.

La Cour de Cassation belge a clarifié ce point en 2008. Un policier était soupçonné d’avoir violé le secret de l’instruction en dévoilant à un journaliste de RTL TVI certaines informations relatives à une perquisition, ce qui avait permis aux journalistes d’être présents en même temps que les policiers. Il fut procédé à un repérage des appels téléphoniques donnés par le téléphone portable du policier et l’appareil fut saisi.

Pour la Cour, la loi belge « n’interdit pas de procéder à des mesures d’enquête pénale visant une personne qui n’a pas la qualité de bénéficiaire de la protection des sources et qui est soupçon-né d’avoir commis une infraction en transmettant des informations à l’un de ses bénéficiaires ». En claire, « La qualité de celui qui reçoit l’information dont la divulgation est un délit n’immunise pas l’auteur de cette divulgation ».

En vertu de cette nouvelle lecture, si le haut fonctionnaire français visé par les mesures de repérage a commis une infraction en transmettant des informations au journaliste du Monde, alors, il pourrait ne pas bénéficier de la protection du secret des sources.

Mais ceci est à nuancer compte tenu de l’espèce (ex. les mesures de repérage des appels téléphoniques ont été diligentées en dehors de toute procédure judiciaire) et compte tenu de la jurisprudence de la CEDH qui dans certaines circonstances accepte une protection directe de la source de l’information, sur base notamment du respect à sa liberté d’expression (Guja c.Moldavie).

L’absence de protection directe des sources

On peut se demander à quoi sert la protection du secret des sources si les sources en elles mêmes savent qu’elles ne sont pas protégées en cas de divulgation d’une information confidentielle ou secrète, à un journaliste. Cela ne pourrait-il pas, in fine, les dissuader d’aider la presse à informer le public ?

En réalité, il faut rappeler que la loi offre avant tout la garantie aux journalistes (ou personnes assimilées) de ne pas être « embêtés » par les instances judiciaires vis-à-vis de leur source. En ce sens, elle interdit toutes investigations menées à leur encontre en vue d’identifier ceux qui les informent. Il s’agit d’une évolution par rapport aux pratiques dénoncées auparavant, qui voyaient des journalistes mis sous pression ou poursuivis pour recel ou complicité de violation au secret professionnel s’ils ne « donnaient » pas leur source.

Les sources ne sont donc pas protégées directement par la loi belge ni semble t’il par la loi française mais elles ont cette garantie que le journaliste auquel elles se sont confiées ne pourra être contraint de dévoiler leur identité. Il leur est ainsi conseillé de veiller à ne laisser aucune trace de leur prise de contact avec un journaliste (ex.ne pas le joindre de son Gsm personnel ou de son travail).

Une protection belge renforcée

Cette garantie donnée aux sources est en outre renforcée en droit belge puisque notre loi est considérée comme très protectrice de part son champ d’application matériel et personnel très large et de part son régime stricte de contournement. Ainsi, les bénéficiaires du secret ne peuvent être tenus de livrer leur source que sur requête d’un juge, en cas de menace grave pour l’intégrité physique d’une ou de plusieurs personnes, et si les informations demandées sont d’une importance cruciale et ne pouvaient être obtenues d’aucune autre manière.
Gageons que devant de tels principes un juge sera toujours prudent, dans la crainte de voir son enquête capoter en raison de preuve illégalement obtenue.

On regrettera peut être qu’il n’y ait aucune sanction procédurale prévue dans la loi belge, dans le cas où les autorités judiciaires ne respecteraient pas ces principes. Rien n’empêcherait cependant le journaliste victime d’une violation du secret, dans pareil cas, de mettre en cause la responsabilité de l’Etat sur base du droit commun de la responsabilité civile ou encore de mettre en cause sa responsabilité pénale. (article 148 et 151 Code Pénal)

Une protection française encore chancelante

Au même titre que la loi belge, la loi française réserve une exception à la protection du secret mais cette fois, lorsqu’il existe « un impératif prépondérant d’intérêt public » et «si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime».

Comme rappelé ci-dessus, en l’espèce, il nous semble peu probable que le Haut fonc-tionnaire puisse être bénéficiaire, en tant que source, de la protection légale du secret. On peut malgré tout se demander si cette exception aurait pu être invoquée en cas de mesures de repérages téléphoniques menées cette fois, auprès du Journaliste Le Monde directement.

« un motif prépondérant d’intérêt public »/ « une menace grave pour l’intégrité physique »

En l’occurrence, le Ministère de l’intérieur français a légitimé l’enquête des services secret par un souci de protection de la sécurité de l’Etat et des Institutions françaises. Il est cependant difficile d’y voir un motif d’intérêt public, bien que cette notion soit vague et puisse varier selon les époques.
NB. Notons qu’en Belgique, il aurait été encore plus difficile d’y voir une « menace grave pour l’intégrité physique », notion qui précise d’avantage l’objet du motif.

« mesures strictement nécessaires et proportionnées » / informations demandées d’une importance cruciale et ne pouvant être obtenues d’aucune autre manière

Les critères français de nécessité et de proportionnalité renvoient également à des notions relativement subjectives, laissées finalement à l’appréciation du juge.

En l’espèce, on peut ainsi se demander si les mesures de repérages téléphoniques étaient strictement nécessaires mais aussi proportionnelles au but recherché à savoir, la découverte de la personne ayant fait fuiter le PV d’audition de Mr de Maistre en direction du Journal le Monde.

« … » / «sur requête d’un juge »

La loi française ne reprend pas expressément la condition de recours préalable à un juge dans le prescrit légal de l’exception. Cela laisse un certain flou.

En Belgique, les mesures d’enquête des services secrets en vue de découvrir « la fuite » n’auraient en tout cas pas pu justifier un contournement de la protection vis-à-vis du journaliste Le Monde sur la base expresse de cette condition puisqu’aucun juge ne semble au préalable avoir été saisi.

Atteinte ou pas ?

Sur base de ces enseignements, voici ce que l’on peut prudemment conclure :

– en tant que dirigées contre le journaliste du Monde directement, les mesures de repérages téléphoniques afin d’identifier sa source, auraient certainement été qualifiées d’atteintes, l’exception étant impropre à s’appliquer en l’espèce.

– en tant que diligentées non contre le journal le Monde mais contre la source elle-même, le haut fonctionnaire, ces mesures semblent à tout le moins critiquables en vertu de l’absence de tout cadre procédural, judiciaire pour mener ces investigations. Il semble en effet que la justice n’ait pas été saisie au préalable ce qui dans le cas présent pourrait justifier un problème de recevabilité des preuves en vertu de règles légales applicables.

On soulignera en tout cas la formulation assez large de l’exception française en comparaison avec la loi belge (d’ailleurs généralement plus synthétique dans tous ses articles), ce qui risque forcément de fournir d’avantage de possibilités d’atteintes au secret.

Un rempart est certes prévu dans la loi, puisqu’elle souligne que l’atteinte portée au journaliste ne peut en aucun cas consister en une obligation pour lui, de révéler ses sources (art.2 al.3).

Il reste malheureusement que cette exception peut encore être élargie en vertu de l’article 2 al.5 qui prévoit que pour apprécier la nécessité de l’atteinte (l’exception), il est tenu compte « de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information recherchée pour la prévention de cette infraction ou du fait que des mesures d’investigations envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité ». Ce dernier critère semble tout particulièrement large.

Cela voudrait-il dire qu’au seul motif d’obtenir une information nécessaire à la manifestation d’une vérité…une atteinte au secret des sources peut être « autorisée », et ce, indépendamment de savoir s’il existe un impératif prépondérant d’intérêt public, etc. ?

On le voit, ce texte reste ici très ambigu.

Son efficacité ne pourra se mesurer que dans la pratique ce qui sera peut-être le cas via cette affaire Woerth/Bettancourt.

Si elle venait à aboutir dans les prétoires, il n’est aucun doute que ce serait une bonne occasion d’obtenir un regard neuf et pratique sur cette loi, son contenu et sur ses limites.

En résumé…

L’affaire Woerth/Bettancourt quant à son volet « protection des sources » n’est, comme on l’a vu, pas évidente à trancher en l’absence notamment de précisions sur les faits liés à ces repérages téléphoniques. Elle a suscité de vives critiques et contre-réactions des différentes parties intéressées. Il est sure que les méthodes employées afin de connaitre la source du journal le Monde, responsable de la publication du procès verbal d’audition de Mr de Maistre, s’avèrent étonnantes et sont sujettes à controverses. Etaient-elles nécessaires et proportionnelles par rapport au but avoué de « sauvegarde des intérêts vitaux de la nation ».

Concernant les lois sur la protection des sources journalistiques, cette affaire est aussi l’occasion de rappeler que, c’est avant tout le journaliste (ou personne assimilée) qui est bénéficiaire de cette protection et non, ou en tout cas, plus difficilement, son informateur. Nos lois visent en effet à instaurer de meilleurs garanties que par le passé quant au droit du journaliste de taire ses sources. Vis-à-vis de la source, elles lui assurent que les autorités judicaires souhaitant connaitre son identité, ne pourront (sauf exception) pas l’obtenir auprès du journaliste. Nos lois n’interdisent cependant pas expressément à ces autorités, de porter leurs investigations directement sur la source même, sous réserve évidemment de respecter les cadres procéduraux applicables.

Ainsi, retenons que même si les sources doivent être vigilantes dans leur contact avec la presse, il existe en tout cas de nombreuses balises leur assurant que leur identité ne soit jamais dévoilée par un journaliste, ce qui est un pas en avant certain…

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