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Hadopi n’est pas le terminus

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La loi HADOPI, amputée par le conseil constitutionnel, a maintenant plusieurs semaines de vie. Est-ce la torpeur estivale qui explique qu’elle défraie moins la chronique qu’au printemps ou au début de l’été ? L’occasion est parfaite pour faire le point avec Jean-Claude Patin, observateur averti de l’internet. Décryptage d’une loi qui révèle une bien fâcheuse tendance …

Journaliste : Il existe les dispositions contre la contrefaçon du code de la propriété intellectuelle (3 ans de prisons, 300 000 euros d’amende) et la loi DADVSI. Fallait-il une nouvelle loi pour lutter contre la piraterie sur Internet ?

Jean-Claude PATIN : D’une certaine manière la réponse figure dans la question. Nous sommes dans une dynamique de surenchère où le verbe et l’annonce tiennent lieu de politique. Plus on en parle et moins on en fait, c’est bien connu. Je relève d’ailleurs qu’il y a une certaine incohérence dans toutes ces démarches et dans cette inflation législative.

Ainsi, la commission européenne prévoit un nouveau statut du créateur numérique et annonce déjà la création d’un "copyright" à l’européenne. Dans le même temps, la loi Hadopi voit certaines de ses dispositions censurées par le parlement européen. Ce qui me conduit à m’interroger sur la réalité des annonces qui sont faites et sur leur application. En effet, il n’est pas cohérent de définir un statut juridique du créateur et dans le même temps de le priver des moyens judiciaires pour se protéger des pirates ou autres copieurs. Sur ce point, je constate que le chaos juridique gagne la France et que les auteurs sont pratiquement dépourvus de toute protection face à la contrefaçon de leurs oeuvres. D’un côté un statut protecteur du créateur défini dans notre code de la propriété intellectuelle, de l’autre une impossibilité matérielle de mettre en oeuvre cette protection sur internet.

Les politiques ne sont pas les seuls responsables et les juristes participent activement à la création de cette cacophonie. Par exemple, les tribunaux, et la troisième chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris en particulier, ne me semblent pas aller dans le bon sens en ne respectant ni la lettre ni l’esprit de la loi du 21 Juin 2004 dite "LCEN". En déformant la notion d’hébergeur telle que le législateur l’avait évoqué dans ses travaux à l’époque et en exploitant une définition imprécise de l’intermédiaire technique en charge de l’hébergement figurant à l’article 6 de ladite loi, les magistrats ont ouvert la boite pandore en permettant à des diffuseurs de contenus de bénéficier du régime dérogatoire de responsabilité qui devait bénéficier aux seuls hébergeurs. Là où il aurait fallu faire oeuvre de jurisprudence et travailler à la définition précise du statut d’hébergeur, les magistrats ont été décevants. A lire les attendus dans les jugements rendus, on apprend ainsi que tous les opérateurs techniques procédant au stockage d’informations devraient bénéficier du régime prévu à l’article 6 de la LCEN. Par voie de conséquence, nous nous retrouvons ainsi dans un système très pervers qui voit des diffuseurs de vidéos bénéficier de la contrefaçon sans en supporter la responsabilité éditoriale. Les éditeurs et les diffuseurs ont adopté la stratégie du « coucou juridique » ! Nous avons aujourd’hui une situation très difficilement justifiable où le métier de diffuseur de contenus n’existe plus devant les juges de première instance. Cependant, malgré l’accumulation de jugements, tout n’est pas perdu puisqu’il reste encore les cours d’appel et la cour de cassation. J’invite d’ailleurs les commentateurs à faire preuve de prudence, la messe n’est pas encore dite. Le fâcheux précédent du "droit à la copie privée", bien que proclamé par une cour d’appel n’a finalement pas été validé par la Cour de Cassation. A bon entendeur. En tant qu’observateur et praticien, j’affirme que les diffuseurs de contenus, comme les "marketplace", ne sont pas des hébergeurs tout simplement parce qu’ils ne supportent pas les mêmes contraintes techniques. Les magistrats devraient travailler un peu plus les dossiers qui leur sont soumis et utiliser par exemple le travail remarquable de l’Insee qui a produit un descriptif des nombreuses activités de l’hébergeur dans le cadre de la refonte des codes NAF. Il est plutôt pénible de lire certains jugements rendus dont la motivation est très légère voire lapidaire sur ces questions essentielles. Je me mets à la place de l’avocat qui a consciencieusement travaillé son dossier et qui voit le magistrat lui répondre en une ligne que son distingo entre hébergeur et éditeur de contenu serait en l’espèce "artificiel"… A votre question « fallait-il une nouvelle loi ? » je réponds : pas dans ce domaine.

Journaliste : Certains dénoncent la déjà obsolescence de la loi, pour diverses raisons, mais notamment parce qu’il serait très facile (ou il sera) de camoufler son adresse IP/d’être anonyme sur Internet, et donc de ne pas se faire repérer, et aussi parce que le projet de loi parle essentiellement de téléchargement et pas de streaming. Vos commentaires ?

Jean-Claude PATIN : Ce qui me navre, c’est l’état du débat et l’ambiance dans laquelle il se déroule depuis maintenant une bonne dizaine d’années. Nous avons droit à un ballet bien réglé mettant aux prises les partisans du bien contre les partisans du mal, qualification morale changeante suivant le point de vue de l’observateur.

Si l’on est producteur de musique ou de films, nous avons d’un côté les méchants pirates qui sont toujours représentés par de jeunes adultes voire des adolescents qui savent déjà tout de la vie et de la morale et qui ne s’expriment que par anathèmes et condamnations, quand ce n’est pas par la violence (attaque en ddos par exemple) ou l’insulte. La constance de la représentation est d’ailleurs frappante, comme si il fallait être convaincu que les téléchargeurs étaient jeunes, bêtes, vulgaires et sans principes. De l’autre côté – celui de l’observateur – de gentils auteurs victimes auxquels on dérobe les fruits de leur travail. Là encore, l’auteur est toujours quelqu’un de sympathique et avenant.

Lorsqu’on adopte le point de vue de l’internaute, nous avons toujours les méchants mais ils sont désormais représentés par les "majors" du disque ou du cinéma, avides et cupides et ne pensant qu’à faire les poches des défenseurs des libertés que sont les « pirates » (terme laudateur dans la bouche de l’internaute). En effet, dans la mythologie post orwelliene, le pirate reste celui qui sauvera l’humanité de la dérive totalitaire. En réponse à cette caricature adolescente, les producteurs font appel au principe de réalité en pointant du doigt la chute des ventes et la difficulté de produire "les artistes".

Au-delà des caricatures et des images d’épinal, les deux thèses comportent chacune leur part de vérité et c’est bien ce qui rend les choses difficiles.

Ce spectacle, largement relayé par la presse spécialisée et moins spécialisée, conduit à de faux débats. Mais ces faux débats sont très violents et se nourrissent de stéréotypes et de morales, permettant à tout un chacun de se trouver des affinités et de l’empathie pour l’un ou l’autre camp sans qu’aucun travail de réflexion ou d’analyse ne soit nécessaire pour prendre la décision d’appuyer une thèse plutôt qu’une autre.

Face à cela, les lois se multiplient, donnant l’occasion à chaque député ou politique de passage de se faire un nom en parlant des nouvelles technologies et de l’internet : puisqu’il y a "vide juridique", il faut donc légiférer, CQFD Je veux préciser que contrairement à ce qu’on peut lire fréquemment, il n’existe pas de "vide juridique". C’est un alibi pour le juridisme ambiant.

Dans l’ordre des choses, nous avons donc eu droit à la réforme d’aout 2000 qui a détruit l’équilibre juridique qui existait en matière de publication. Un député a même accédé à la notoriété en déposant un fameux amendement qui se révéla au final désastreux. Nous avons eu droit aux nombreuses lois censées lutter contre le terrorisme et la cybercriminalité. A chaque fois, les intermédiaires techniques ont imposé au législateur qu’en échange de leur concours il leur soit octroyé des avantages. Ainsi dans la loi dite « LSQ » du 15 Novembre 2001 figure une disposition autorisant les fournisseurs d’accès à utiliser à des fins commerciales les données techniques qu’ils recueillent dans l’exercice de leur métier.

Les politiques en recherche de notoriété ne sont pas en reste. Nous avons encore eu droit récemment à des propos tenus par un secrétaire d’état proposant de lutter contre la pédopornographie dans le cadre d’une nouvelle loi alors que cette incrimination existe déjà. En effet, pourquoi se contenter d’une loi quand on peut en faire deux…

C’est la même technique de l’effet d’annonce qui est encore employée dans la loi Hadopi. Toutes les personnes proches des technologies internet savent que cette loi est inapplicable techniquement et juridiquement.

Puisque vous m’interrogez sur ce sujet, je vous livre mon analyse. Contrairement à tous les commentateurs qui taxent systématiquement les politiques et les juristes d’incompétents dès qu’il s’agit de technologie et d’internet, je pense que nous sommes face à une stratégie parfaitement pensée et parfaitement exécutée. Cette loi Hadopi va faire un superbe bouc émissaire puisqu’elle va être annulée par le parlement européen et parce qu’elle se révélera inefficace techniquement. L’ire des internautes se dirigera une nouvelle fois contre ces "parlementaires incompétents" tandis que les éternels perdants de l’affaire – les producteurs – demanderont un ultime durcissement. Comment suis-je parvenu à cette conclusion ? En regardant l’historique de l’internet juridique depuis 1996 et en lisant les débats parlementaires relatifs à la loi Hadopi. Cette lecture est riche d’enseignements. A titre d’exemple, les propos tenus par monsieur Ollier et monsieur Suguenot lors d’un échange sur les modalités pratiques de sanction montrent très clairement qu’Hadopi n’est pas une fin. Cette logique a d’ailleurs été confirmée publiquement par madame Pécresse lors d’un débat tenu sur une radio de grande écoute (rtl il y a quinze jours) qui confirmait au journaliste qui l’interrogeait que cette loi n’était qu’une étape…

Techniquement, les choses ont bougé et l’adresse IP doit voir son statut juridique évoluer. Non seulement peu de juristes se sont interrogés sur la nature de ce bloc mais de surcroît les usages ont changé. Sans aller trop loin dans la démonstration, il faut savoir que l’internaute n’est pas propriétaire de son IP publique, pas plus que le FAI voire l’hébergeur qui lui affecte. De même, les box domestiques avec les connexions wi-fi permettent désormais à presque n’importe qui d’user de la connexion de son voisin. On voit bien que les certitudes d’il y a quelques années n’en sont plus. Avant de bouger, il faut réfléchir. J’observe que ce temps de réflexion n’est pas respecté.

Plutôt que de hurler avec les loups, je préfère me poser les bonnes questions en évitant de prendre les parlementaires pour des idiots incompétents. Tout d’abord je remarque que les critiques de type "incompétents", "paresseux", "dispendieux" sont de plus en plus utilisés pour décrire l’activité de nos députés et sénateurs. En tant que citoyen attaché à mon régime républicain, je m’interroge sur cette mauvaise pièce de théatre qui se joue sous mes yeux. Non les parlementaires ne sont pas incompétents, paresseux ou dispendieux. En outre, je relève qu’Hadopi est un projet de loi porté par le ministère de la culture et que sur ce point au moins les parlementaires n’y sont pas pour grand-chose. Sans vous infliger d’autres développements, je pense que si cette loi Hadopi est déjà dépassée c’est tout simplement parce qu’on l’a voulut comme telle. Nous sommes dans un jeu de l’oie et la case Hadopi n’est pas la dernière du plateau. Je regrette l’effet désastreux de cette loi en matière de crédibilité des pouvoirs public mais également en matière de libertés publiques qui une fois encore se trouvent rétrécies au bénéfice des intermédiaires techniques.

Journaliste : Comme à l’époque de loi DADVSI, le dispositif de la licence globale a été invoqué par les opposants à une politique de répression. Ce dispositif est-il valable ?

Jean-Claude PATIN : La licence globale ne répond pas, en l’état, à toutes les interrogations notamment en matière de protection des libertés publiques.

Il faudra bien répartir les fruits de la licence en fonction des téléchargements réalisés et pour cela, il va falloir scruter les réseaux et identifier les flux. La licence globale est devenue une espèce d’épouvantail sans que l’on comprenne pourquoi de prime abord. Après l’avoir étudiée, j’ai vite été convaincu que c’était probablement la seule voie raisonnable pour défendre à la fois les internautes et les créateurs-producteurs de contenus. Alors pourquoi cette défiance ? Pour reprendre une partie de la réponse à votre première question, je pense que cette idée a été très mal défendue par ses promoteurs. On aurait voulu torpiller le concept que l’on ne s’y serait pas pris autrement. La tactique adoptée qui consiste à flatter les pirates téléchargeurs contre les méchantes majors était non seulement caricaturale mais surtout ne tenait pas compte du rapport des forces en présence. Plutôt que de prendre les interlocuteurs de haut avec morgue et prétention (histoire personnelle vécue, je peux en témoigner), les promoteurs de la licence globale auraient dû associer les gardiens du temple que sont les majors. Aujourd’hui, le lobbying de ces derniers rend impossible la licence globale. Je pense que cette idée s’imposera mais je ne crois pas que ce soit dans un avenir proche, les esprits sont beaucoup trop échauffés et la modération a été bien trop absente des débats jusqu’à présent.

Journaliste : En matière de streaming, la plupart des sites se réfugient derrière le statut d’hébergeur de la LCEN quand ils sont accusés de proposer des contenus illégaux (Dailymotion, YouTube, etc). Ont-ils raison ou ont-ils selon vous une responsabilité plus grande ?

Jean-Claude PATIN : Je travaille sur le web depuis 1995 et je commence à avoir une petite expérience et une petite expertise. J’affirme que les diffuseurs et les marketplace ne sont pas des hébergeurs. Les motivations figurant dans les jugements rendus ne m’ont pas du tout convaincu et je note d’ailleurs la légèreté avec laquelle les juges ont répondu jusqu’à présent à ces questions. Les hébergeurs n’ont pas les mêmes contraintes que les éditeurs et diffuseurs de contenus. Je ne nie d’ailleurs pas que ceux-ci en aient. Mais elles sont simplement différentes. Dailymotion, Youtube ou Priceminister n’ont pas à se préoccuper de l’approvisionnement électrique des salles accueillant des milliers de serveurs et autres routeurs. Ils ne se préoccupent pas de savoir si la dissipation de la chaleur produite doit se mesurer dans la baie ou dans les couloirs. Ils ne supportent pas de pénalités en cas de rupture de bande passante ou en cas de dépassement de temps d’intervention ou de temps de rétablissement. Ils ne se préoccupent pas de la réversibilité des plates-formes, ils ne figurent pas dans le classement IP-Label ou Witbee, etc. Vous l’avez compris, nous sommes véritablement sur des métiers totalement différents. Ces sites bénéficient actuellement du régime dérogatoire de l’article 6 de la LCEN grâce à l’imprécision de la définition des intermédiaires techniques figurant dans cet article. Certains juristes astucieux y ont vu une opportunité pour étendre le régime de responsabilité dérogatoire à leur activité. Mais au final, que retient-on ? Qu’un site proposant des vidéos – concurrent de la télévision donc – est hébergeur et qu’à ce titre il ne peut se voir réclamer la mise en place d’une politique éditoriale, un peu comme si TF1 ne pouvait pas voir sa responsabilité engagée suite à un dérapage sur ses antennes. Les artistes qui tentent actuellement de faire valoir leur droit se voient déboutés sèchement. Naturellement, on leur conseille de poursuivre les véritables auteurs des infractions, à savoir les utilisateurs de ces plates-formes de diffusion, afin d’obtenir réparation. Comment doivent-ils s’y prendre ? En remontant la chaine technique et en demandant aux fournisseurs d’accès de leur remettre les fichiers logs puis de les recouper avec les informations fournies par les diffuseurs. C’est un travail de romain qui de surcroît se heurte à des difficultés techniques dont beaucoup n’ont pas la moindre idée pratique. En effet, la conservation et l’étude de fichiers logs nécessitent de grosses ressources qui ne sont pas à portée de tous les artistes, lesquels ne sont pas tous les milliardaires vilipendés par les associations d’internautes indignés.

En résumé, nous avons une contrefaçon, un diffuseur qui ne remplit pas sa mission de filtrage et un créateur auquel on dit qu’il est bien titulaire de droits mais qu’on laisse dans l’incapacité pratique de faire respecter ce droit. A part les diffuseurs-coucous, qui peut être satisfait d’une telle situation ? Je tiens d’ailleurs à préciser que la notion d’hébergeur qui est actuellement retenue par les juges de première instance est véritablement abusive puisqu’elle repose sur la notion de « stockage de données ou d’informations ». A l’aune de cette approche, car c’en est une, un journal papier ou sur internet est un hébergeur de données produites par un tiers (le journaliste). Idem pour TF1 lorsque la chaîne de télévision se borne à diffuser des programmes achetés à des sociétés de production. Tout le monde devient hébergeur dès lors qu’il permet de diffuser sans contôler. Nous aurons bientôt de fausses annonces sur des sites de petites annonces "hébergeurs", etc. Les sites disposant d’un comité de relecture ou d’édition sont lésés puisqu’ils ne peuvent pas bénéficier de ce fameux statut; c’est la prime à l’irresponsabilité.

Cette situation ubuesque va devenir intenable et je redoute la réaction qui viendra inévitablement. Je crains un dérapage législatif et une surveillance automatisée des réseaux qui serait in fine organisée.

Journaliste : Le mécanisme de la Hadopi, qui contourne la décision d’un juge pour sanctionner un délit (je résume), est-elle une première en France ?

Jean-Claude PATIN : Hélas non. Nous en avons un exemple en matière de contravention routière où des robots constatent l’infraction, éditent le PV, prélèvent les amendes et retirent les points. Et pour contester cette mécanique devant le juge, il faut consigner le montant de l’amende. C’est la justice automatisée. Je fais d’ailleurs remarquer que les investissements publics sont nettement en faveur des automates et nettement en défaveur des juges et autres greffiers. De là à dire que les premiers remplacent avantageusement les seconds, il n’y a qu’un pas. Je grossis le trait, vous l’avez compris. Mais ce grignotage des procédures qui garantissent les libertés individuelles ne me plait pas. Comme je l’ai déjà dit précédemment, hadopi n’est qu’une étape sur un chemin qui me convient de moins au moins. Je trouve que de mauvaises habitudes se prennent…

Journaliste : La plupart des opposants à la loi dénoncent une atteinte aux libertés, une utilisation abusive de données personnelles, etc. La loi prévoit-elle des garde-fou (rôle de la Cnil ou autre) et, question subsidiaire, ne peut-on pas dénoncer les mêmes choses à propos de diverses lois sur la lutte contre la délinquance, le terrorisme, etc ?

Jean-Claude PATIN : La plupart des opposants qui s’expriment me semblent souvent être les artisans principaux des malheurs qu’ils dénoncent. Nous oscillons régulièrement entre vociférations, insultes, anathèmes et angélisme adolescent. Je fais remarquer que de nombreuses dérives législatives auraient pu être évitées si le débat avait été tenu dans un cadre plus serein et si on s’en était tenu au respect des lois existantes. L’agitation législative à laquelle on assiste en matière d’internet depuis dix ans est très clairement négative. Les exemples que vous citez font tous peu ou prou appel à des ressorts psychologiques assez peu avouables et plutôt éloignés de la raison. Que l’on parle de données personnelles, de CNIL, de lutte contre la délinquance ou contre le terrorisme, je constate qu’on s’appuie sur la peur dans l’inconscient collectif pour raboter le socle des libertés publiques. Ainsi, le mariage données personnelles-CNIL repose-t-il sur la crainte de voir un état totalitaire s’instaurer. Dans les cocktails, il est fréquent d’entendre à titre de justification la référence au drame épouvantable de la rafle du Vel d’Hiv pour justifier le contrôle des fichiers par la CNIL. Selon les tenants de cette approche, la CNIL serait un rempart contre un vel d’hiv bis. Je rappellerais sur ce point que les fichiers informatiques n’existaient pas en 1942 et que cela n’a nullement empêché la police de l’époque de commettre l’irréparable. Donc la loi Informatique et Libertés repose sur la double peur d’un état totalitaire fichant tous les citoyens et sur la crainte d’une mise en coupe réglée de la population par la police. Certains ajoutent même un zeste d’angoisse eugéniste en parlant du fichage médical. En réalité que se passe-t-il ? La CNIL ne dispose pas des moyens de faire respecter les principes figurant dans la loi de 1978. Et de très loin. En l’état actuel des choses, la CNIL n’est qu’un organisme servant de chambre d’enregistrement au mieux, un cache sexe au pire. Les lois autorisant les fichages sous le contrôle de la CNIL se multiplient dans tous les domaines sans que ce contrôle puisse réellement être exercé. Dans ce schéma, il me semble que nous sommes dans un oxymore orwellien où la protection de la CNIL ressemble furieusement à une absence de protection. Je me suis toujours demandé pourquoi dans un état démocratique il faudrait lutter contre des pratiques mises en œuvre par un état totalitaire. Il me semble que la meilleure des protections contre les dérives autoritaires réside dans l’action politique des citoyens qui doivent veiller à ce que leur régime démocratique et républicain le reste. La loi Informatique et Libertés me semble être de ce point de vue une régression préocuppante.

Sur un autre registre, la vie privée et sa protection ne sont pas des notions invariables comme peut l’être l’arithmétique. L’université de Yale a commis il y a quelques années une étude comparative dans ce domaine en prenant comme sujets d’étude les pratiques en cours en Europe et celles aux USA. Le résultat de cette étude montrait que l’opposition binaire du type « respect-non respect » était assez peu pertinente et qu’il fallait envisager des concepts de vie privées très différents selon les cultures. L’étude portait le nom de sa conclusion : « Liberty vs Dignity ». L’évolution des réseaux sociaux et l’utilisation qui en est faite par les jeunes générations est de ce point de vue très intéressante.

Pour vous répondre, je crois que nous nous posons de mauvaises questions parce que nous ne sommes pas assez rigoureux ou pas assez exigeants dans la définition des principes auxquels nous sommes véritablement attachés. Les libertés publiques ne sont pas menacées par notre passivité mais bien par notre suractivité fondée sur nos peurs. Les lois anti-terroristes sont par essence liberticides comme toutes les lois d’exception. Mais qui analyse vraiment le « risque terroriste » ? A titre d’exemple, nous vivons sous vigipirate sans discontinuer depuis des années et plus personne ne s’en émeut. Pourtant, un citoyen français débarquant des années 70 grâce à une machine à avancer dans le temps serait très choqué de voir des militaires dans les gares, fusil d’assaut en bandoulière. Comment en sommes nous arrivé là ?

Il y a dérive parce que nous acceptons collectivement cette dérive dans un processus schmittien du bouc émissaire ; pour les uns c’est le pirate, pour les autres c’est la « major ». Entre temps des lois passent sur nos libertés publiques. A titre personnel, je reste persuadé que la meilleure réponse n’est pas de créer des collectifs mais de refaire de la politique sérieusement et d’évacuer nos peurs en essayant de comprendre et de réfléchir. Je n’oublie jamais que le droit n’est qu’un sous produit de la politique. Donc d’une certaine manière, ce que vous semblez dénoncer dans votre question n’est que la résultante de ce que nous acceptons collectivement depuis déjà un certain temps.

Journaliste : Le fait que la coupure de l’accès à Internet s’accompagne du paiement de ce même accès à Internet pendant la coupure a été dénoncé par certains comme une "double peine". Juridiquement, est-ce que cette double sanction est valable ?

Jean-Claude PATIN : Je ne crois pas que le problème posé de cette manière puisse apporter quoi que ce soit de positif au débat. Si la coupure résulte d’un usage immodéré du téléchargement de la part de l’utilisateur et si cet usage a été détecté grâce aux services techniques apportés par le Fournisseur d’Accès, il me semble logique que le fournisseur d’accès ne soit pas pénalisé en perdant son contrat et il me semble également logique que le pirate ne puisse plus avoir l’usage de sa connexion. Ceux qui prétendent le contraire sont de mauvaise foi et usent d’un juridisme mal placé car à les entendre que faudrait-il faire ? Couper internet et sanctionner le FAI en suspendant le contrat d’abonnement ? On voit tout de suite que cette critique est mal venue et ne tient pas debout. En revanche, je n’entends personne se préoccuper du fichage dans le temps des pirates téléchargeurs. En clair, pirate un jour, pirate toujours ? Un peu comme le fichage des mauvais payeurs qui permet d’exclure du crédit voire du simple accès à un compte bancaire, verrons nous un fichage des bon internautes et des mauvais internautes ? Si hadopi ne survit pas – ce que je crois – que deviendront ces fichiers qui sont déjà en cours de constitution ?

Journaliste : Peut-on faire confiance aux acteurs institutionnels de l’internet pour nous protéger des dérives ? En clair, peut-il y avoir une auto-régulation ?

Jean-Claude PATIN : Je crains que non lorsque je constate qu’en France les fournisseurs d’accès profitent de loi sur la sécurité quotidienne votée juste après les attentats du 11 septembre pour bénéficier du droit d’exploiter commercialement les données recueillies dans le cadre de leur collaboration avec les services de police. De même, je m’inquiète de voir que certains continuent de prétendre que l’on ne peut pas surveiller les contenus sur internet alors que tous les techniciens sérieux savent qu’au contraire c’est parfaitement possible comme le démontre la Chine. Je rappelle d’ailleurs que des sociétés qui prétendaient ne pas pouvoir surveiller des enchères sur leur site web au nom du respect des libertés individuelles ont coopéré avec les autorités chinoises pour livrer les contenus de messagerie d’opposants politiques dans le cadre de politique de répression.

Il me semble que la régulation ne peut venir que de la loi et que cette loi doit être débattue devant un parlement dépositaire de l’intérêt général. Le respect de ce principe nous aurait évité ces lois liberticides et nous aurions probablement une pratique plus apaisée de nos technologies internet. Un peu de prudence dans les critiques formulées sur « les vieilles lois » serait utile. L’article 1382 du code civil date de 1804 et n’a pas pris une ride. Tout ce qui est ancien n’est pas nécessairement dépassé.

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