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Fait exceptionnel : une cour d’assises juge un délit de presse

Publié le par - 790 vues

La cour d’assises de Bruxelles se réunit à partir d’aujourd’hui. Pas de crime passionnel cette fois, pas de sang, de viol, de coups de couteaux. Pas d’expert-légiste non plus. On juge … un délit de presse. Pour la deuxième fois (seulement) dans l’histoire du pays. Quelles sont les lignes de force du droit en matière de délit de presse ?

Le cadre juridique

La plupart des pays disposent de règles particulières en matière de presse pour tout ce qui concerne la répression des délits et infractions commis par ce biais.

La Belgique fait partie des pays les plus protecteurs en la matière, notamment pour des raisons historiques. La révolution belge de 1830 qui a abouti à la création du royaume, a eu pour élément déclencheur une représentation d’opéra. En entendant « Amour sacré de la patrie, rends-nous l’audace et la fierté! A mon pays, je dois la vie, il me devra sa liberté… », le public qui assistait à la Muette de Portici s’est levé comme un seul homme pour bouter les Hollandais hors du pays.

Il n’est dès lors pas étonnant de voir que le législateur constituant a pris un soin tout particulier s’agissant de protéger la liberté d’expression et la presse.

On ne peut pas analyser ici l’ensemble de ce cadre, mais on retiendra quatre dispositions principales :

·         Absence de censure.

·         Responsabilité en cascade

·         Prescription courte

·         Compétence de la cour d’assise

Absence de censure

Selon l’article 25 de la constitution, « La presse est libre; la censure ne pourra jamais être établie; il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. »

Contrairement à une idée largement répandue, cette disposition n’empêche pas qu’un juge puisse intervenir pour prévenir une infraction.

L’interdiction de censure traduit plutôt deux idées :

·         D’une part, l’absence d’autorisation préalable. Il n’y a pas d’imprimatur à solliciter comme à l’époque de l’inquisition, de blanc-seing ou d’autorisation ministérielle. Si je souhaite publier un article (celui-ci par exemple), je suis libre de le faire sans avertir quiconque.

·         D’autre part, l’interdiction de mesures générales préventives. Un juge ne pourrait pas, par exemple, interdire à un journaliste de couvrir l’actualité liée à tel événement ou telle personne, de façon générale.

Par contre, l’interdiction de la censure n’empêche pas une personne, qui s’estimerait lésée par la publication imminente d’une revue ou d’une émission de télévision, de solliciter du juge une interdiction spécifique a priori. Les cours et tribunaux ont admis cette ingérence, en l’assortissant de conditions strictes.

Responsabilité en cascade

L’alinéa deux de l’article 25 de la constitution poursuit comme suit : « Lorsque l’auteur est connu et domicilié en Belgique, l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi. »

C’est ce qu’on appelle la responsabilité en cascade : dès l’instant où l’auteur est connu, je n’ai pas le droit de me retourner contre l’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur. Je dois agir contre l’auteur, et tant pis s’il est indigent ou incapable de payer les dommages et intérêts.

L’idée sous-jacente est simple : à l’époque où l’on ne connaissait que la presse papier, il n’était pas évident de trouver un éditeur, un imprimeur ou un distributeur :

·         Éditer coûtait cher, ce qui était un premier frein, d’ordre économique.

·         Si en plus de cela, l’éditeur devait craindre des poursuites en raison de propos écrits par l’auteur, on créerait un second frein – juridique celui-là – car les éditeurs refuseraient les contenus subversifs ou auraient tendance à contrôler le contenu afin de minimiser les risques, ce qui nuirait à la liberté d’expression.

Le frein économique a largement disparu avec l’avènement de l’Internet, mais la protection accordée à l’éditeur via l’établissement de la responsabilité en cascade demeure une protection très efficace contre les procédures judiciaires.

Prescription courte

Les règles de prescription ont été modifiées, en vue de les raccourcir.

Cela ne manque pas de poser problème sur l’Internet, car il est malaisé de dire si le délit de presse est continu ou non. La différence est importante. Si je vole dans un magasin, il s’agit d’un acte ponctuel posé à un moment précis, et c’est à ce moment précis que l’on va commencer à compter la prescription. Par contre, si j’exerce une profession sans le diplôme correspondant, le délit est continu en ce sens que je le consomme jour après jour, jusqu’à ce que je cesse d’exercer cette profession. Dans ce cas, c’est au moment où le délit s’arrête que l’on va commencer à compter la prescription.

Qu’en est-il sur l’Internet ? Si je poste un article diffamatoire, s’agit-il d’un délit instantané commis au moment de la mise en ligne, ou d’un délit qui continue d’être perpétré tant que la publication est disponible (et sur Internet, on sait qu’un texte est presque toujours indéfiniment disponible, ne fût-ce que s’il est repris par d’autres sites, des moteurs de recherche ou des sites d’archives… )?

Compétence de la cour d’assises

Aux termes de l’article 150 de la constitution, « Le jury est établi en toutes matières criminelles et pour les délits politiques et de presse » (texte modifié, voy. infra).

Les délits de presse relèvent donc de la cour d’assises.

Tout le monde a déjà vu à la télévision un procès d’assises. Un jury, constitué de citoyens, débat longuement, et selon des règles tout à fait particulières, de la culpabilité et de la peine. Alors qu’un tribunal correctionnel peut aisément traiter une dizaine d’affaires simples par jour, un procès d’assises est un processus long et coûteux. C’est également un débat forcément public, surtout en matière de presse puisque l’article 148 de la Constitution stipule que « En matière de délits politiques et de presse, le huis clos ne peut être prononcé qu’à l’unanimité ».

C’est en raison de la difficulté inhérente au procès d’assises qu’on assiste de plus en plus à la correctionnalisation des crimes et délits : même si le prévenu relève en principe de la cour d’assises, on le renvoie vers le tribunal correctionnel quitte à prononcer une peine moins lourde. Cela permet d’économiser de l’argent, mais aussi d’accélérer le cours de la justice déjà très lente.

En matière de presse, la compétence de la cour d’assises équivaut quasiment à créer une impunité totale : la personne accusée revendique le droit constitutionnel d’être jugée par la cour d’assises, mais devant la complexité et le coût le procureur renonce.

Devant l’inflation de délits racistes, le législateur a modifié l’article 150 de la constitution pour ajouter, à la fin de la phrase reprise ci-dessus, les termes suivants « à l’exception des délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie ».

L’idée était de maintenir la compétence de la cour d’assises sauf lorsque le délit de presse est inspiré par le racisme ou la xénophobie, ce qui était fréquemment le cas surtout s’agissant de l’Internet.

Les faits jugés actuellement par la cour d’assise

La cour d’assises de Bruxelles se réunit à partir de ce matin, pour juger d’un délit de presse.

Pour les raisons expliquées ci-dessus, il s’agit véritablement d’un événement historique. À notre connaissance, c’est la deuxième fois que cela se produit dans l’histoire du royaume.

Les faits sont simples et remontent à la fin des années 90, dans la folie collective qui s’est emparée de la Belgique à l’occasion de l’affaire Dutroux. Un tel avait vu le roi déguisé, violer un enfant dans le parc du palais royal ; un autre avait assisté à une orgie au cours de laquelle des ministres et de grands industriels abusaient de vierges avant de boire leur sang ; un troisième encore jurait qu’un complot franc-maçon permettait à de hauts fonctionnaires de faire venir des convois de mineurs d’âge des pays de l’Est pour les séquestrer ; etc.

La folie était telle qu’on a vu un magistrat instructeur ouvrir un numéro vert où tout un chacun pouvait anonymement dénoncer son voisin pour des faits de pédophilie. Quand on vous dit que c’était le folie …

Dans cette hystérie collective, un journaliste a publié un ouvrage reprenant ces accusations et leur donnant foi. Il impliquait notamment un ancien premier ministre, dont les héritiers ont peu apprécié la démarche et ont amené l’affaire en justice. C’est ce dossier qui s’ouvre devant la cour d’assises.

La cour d’assises remise en question ?

Un délit de presse est tout délit, peu importe celui qui le commet, commis par voie de presse.

Les garanties constitutionnelles jouent donc non seulement pour les journalistes, mais pour tout un chacun. Tout citoyen qui s’exprime sur Internet et qui commet un délit qui n’est pas inspiré par le racisme ou la xénophobie, doit donc en principe être poursuivi devant la cour d’assises. Or, à l’exception de l’affaire rarissime plaidée ce jour, cela équivaut dans les faits à une totale impunité.

L’ouverture de la cour d’assises de ce matin repose dès lors la question de l’opportunité de cette protection exceptionnelle.

Même s’ils ne sont pas les seuls impliqués, les journalistes sont toutefois aux premières loges dans ce débat.

La position de leur union professionnelle n’a pas varié : elle souhaite le maintien des garanties constitutionnelles pour les poursuites pénales en matière de presse, particulièrement la compétence de la cour d’assises en la matière.

L’union relève que la correctionnalisation des délits de presse à caractère raciste, présentée à l’époque comme  « LE » moyen efficace de poursuivre les expressions racistes, n’a en rien permis d’améliorer la situation à cet égard si l’on en juge par le nombre de contenus racistes dans les lieux d’expression médiatique (forums, réseaux sociaux,…). 

Et l’union de s’interroger : la voie pénale est-elle la plus appropriée ? Pourquoi ne pas réfléchir à une dépénalisation de la matière : sortir du champ pénal les violations en matière de liberté d’expression. Selon l’union professionnelle, « cela serait d’ailleurs plus conforme à la pratique actuelle, qui tord le droit pour amener au plan civil leur ‘répression’. Mais si l’on devait réfléchir à cette voie, il faudrait parallèlement établir une échelle acceptable en matière de dommages et intérêts. Aujourd’hui, on assiste à une inquiétante variation de la hauteur des dommages, sans que l’on puisse cerner de raison objective : entre 1 euro symbolique et plusieurs centaines de milliers d’euros, pour des faits qui fondamentalement ne sont pas différents de nature. Nous sommes prêts à réfléchir sereinement à cette piste. »

Par ailleurs, pour ce qui concerne les journalistes qui relèvent de l’union professionnelle, l’union souligne les progrès accomplis grâce à l’autorégulation impulsée par le conseil de déontologie journalistique (CDJ) : « Depuis sa création en 2009, le CDJ a traité 120 dossiers de plaintes et mené en outre une cinquantaine de médiations. Il a également codifié les différents textes jusque-là en vigueur. Cette piste est complémentaire à la voie judiciaire, mais elle est tout autant importante, et probablement plus efficace. »

Comme le dira le président de la cour d’assises à la fin des débats : et vous, quelle est votre intime conviction ?

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