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Un singe peut-il être l’auteur d’une œuvre ?

Publié le par - 3010 vues

La cour d’appel de Californie vient de juger qu’un singe ayant déclenché un appareil photo et réalisé de la sorte un selfie, ne peut pas prétendre en être l’auteur et percevoir en conséquence les droits d’exploitation. Et si l’on en profitait pour relancer le débat sur la définition de « l’auteur », notamment à l’heure de l’intelligence artificielle ?

Les faits

En 2008, le photographe animalier David Slater effectue une série de clichés en Indonésie. Il s’intéresse tout spécialement aux macaques nègres (Macaca nigra).

A un moment, l’appareil photo est laissé sans surveillance.

Un singe s’approche et, ayant vu le photographe pousser sur le bouton-déclencheur, il fait la même chose tout en faisant face à l’appareil. Le résultat est spectaculaire : il y a parmi les clichés plusieurs photos parfaitement exploitables : des selfies stupéfiants devenus mondialement célèbres.

David Slater confie l’exploitation des clichés à une agence (Caters News Agency) et s’en déclare l’auteur.

Le Net s’enflamme : plusieurs sites contestent au photographe la qualité d’auteur et reprennent les clichés en signe de protestation.

David Slater développera ensuite son point de vue : « Il indique que le fait que le singe ait joué avec la caméra découle de son initiative et qu’il a pronostiqué à l’avance qu’il y avait de fortes chances pour qu’une photo soit ainsi prise. Il explique avoir orienté l’appareil par rapport à la lumière du soleil, et avoir associé au déclencheur un bruit apprécié par les singes. » (Wikipedia)

Wikimedia Commons (célèbre site n’acceptant que les fichiers placés sous licence libre, dans le domaine public, ou se situant en dessous du seuil d’originalité) s’immisce dans le débat et propose les clichés sous la catégorie « domaine public ».

L’affaire se termine en justice, à la requête d’une association de défense des droits des animaux.

L’arrêt rendu

Ce 23 avril, la cour d’appel de Californie a tranché.

Au détour d’un argument de procédure (une association peut-elle agir à la place du singe en utilisant le théorie américaine du next friend standing ?) elle a pris position sur la question de la définition de l’auteur non-humain :

“Affirming the district court’s dismissal of claims brought by a monkey, the panel held that the animal had constitutional standing but lacked statutory standing to claim copyright infringement of photographs known as the ‘Monkey Selfies”.

“Our court’s precedent requires us to conclude that the monkey’s claim has standing under Article III of the United States Constitution. Nonetheless, we conclude that this monkey — and all animals, since they are not human — lacks statutory standing under the Copyright Act.1 We therefore affirm the judgment of the district court.”

L’auteur non humain ?

L’œuvre n’est protégée par la loi que si elle est « originale », c’est-à-dire qu’elle doit être le reflet de la personnalité de l’auteur.

La Cour de justice de l’Union européenne dit grosso modo la même chose avec d’autres mots dans les affaires Dataco, Infopaq, Bezpečnostní softwarová asociace, et Painer : l’auteur doit exprimer sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs , il doit imprimer sa touche personnelle ; une œuvre est originale si elle est une création intellectuelle propre à son auteur.

C’est en raison du critère d’originalité ainsi défini que l’on considère habituellement qu’un logiciel (ou une machine) n’est pas en mesure de créer une œuvre au sens de la loi. Où est la « personnalité » de la machine, sa « création intellectuelle propre » ou sa « touche personnelle » ? Comment un logiciel peut-il refléter sa personnalité ?

Et l’animal ?

Son statut juridique varie d’un système à l’autre, entre la « chose » et le « meuble par nature », mais il est réputé, à l’instar d’une machine, être incapable d’avoir une personnalité susceptible de s’exprimer au travers d’une œuvre.

La théorie de l’évolution …

L’évolution technologique permet aujourd’hui d’engendrer des créations automatisées qui rivalisent avec le génie humain et son originalité …

Il viendra un jour où la barrière de la création-machine sautera. Il ne sera tout simplement plus possible de préserver intacte la théorie actuelle si l’intelligence artificielle se développe selon les prédictions. C’est l’une des composantes de la discussion sur la personnalité juridique des robots et autres intelligences artificielles.

Par ailleurs, sur la question spécifique de l’animal, il n’est pas nécessairement suffisant de partir du statut juridique pour trancher définitivement la question de la création.

En effet … :

D’une part ce statut peut évoluer : ce que l’homme a fait, il peut le défaire (changer le statut de l’animal).

D’autre part, le statut juridique n’est pas toujours la fin de l’histoire. Un jeune enfant ou une personne sous tutelle pourrait exprimer sa personnalité nonobstant le fait qu’elle est incapable juridiquement. Que penser de l’œuvre créée sous hypnose, lors d’une crise de démence ou de somnambulisme ? Que faire des créations post-mortem (l’hologramme de La Callas chante pour l’instant à Paris et Bruxelles) ? « Capacité », « personnalité », et « caractère vivant » ne se superposent pas nécessairement.

Enfin, et plus fondamentalement encore, si c’est l’originalité en tant que reflet de la personnalité de l’auteur qui est le critère, où l’histoire commence-t-elle ?

Dans la mesure où l’homme descend du singe, n’y a t il pas quelque chose d’arbitraire (de commode) à tirer la ligne de démarcation de la « personnalité capable de s’exprimer artistiquement » précisément au niveau de l’Homme tel qu’il se présente aujourd’hui ? Reformulée, la question devient : seul l’homo sapiens a-t-il une personnalité susceptible de s’exprimer à travers une œuvre ? Intuitivement, on parle bien d’œuvre pour la grotte de Lascaux ou les dessins des néandertaliens ? Où placer le curseur sur la théorie de l’évolution ?

La réponse de la création par une machine ou un animal est incroyablement plus complexe qu’on le pense. C’est en quelque sorte à la (re)définition de l’humanité que cette affaire nous renvoie. Une question passionnante …

Plus d’infos ?

En lisant l’arrêt californien, disponible en annexe.

Et pour se détendre…

« Il parait que nous descendons tous du singe. Est-ce vrai ? »

– Difficile à dire, je n’ai pas connu ma belle-famille. 

– Quand je t’observe devant un match de foot, je me demande si ce n’est pas l’inverse.»

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt de la cour d’appel

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