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Importations parallèles : le reconditionnement du produit est-il de la contrefaçon ?

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En restreignant la notion de « reconditionnement, » la Cour donne un fameux coup de pouce aux importations parallèles. Il n’y a pas d’atteinte à la marque lorsque l’importateur parallèle revend le produit dans son emballage intérieur et extérieur d’origine, même en y ajoutant une étiquette qui, par son contenu, sa fonction, sa taille, sa présentation et son emplacement, ne présente pas de risque pour la garantie de provenance du dispositif médical revêtu de la marque.

L’épuisement du droit à la marque

L’idée de base est simple : il s’agit d’éviter que via le droit à la marque, le titulaire ne puisse s’opposer au principe de la libre circulation des marchandises au sein du marché unique.

L’épuisement garantit donc un équilibre :

  • D’un côté, un droit à la marque fort, fondé sur un monopole ;
  • D’un autre côté, l’effectivité de la libre circulation des marchandises qui est non seulement l’une des quatre libertés fondamentales de l’Union, mais aussi une condition sine qua non de la libre concurrence.

Le principe de l’épuisement est inscrit dans le droit européen depuis 1988. Par exemple, pour les marques de l’UE, le principe est inscrit à l’article 13 du règlement no 207/2009 qui dispose :

« 1. Le droit conféré par la marque [de l’Union européenne] ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans [l’Union] sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. »

Le reconditionnement et les importations parallèles

Il arrive souvent que l’emballage d’un produit destiné à l’Etat membre A nécessite une adaptation pour être mis sur le marché dans l’Etat membre B. Cela s’explique généralement par la nature du produit (secteur de la santé, alimentation, etc.) ou par des exigences liées à l’information et la protection du consommateur.

On a observé que ces exigences sont parfois habilement utilisées par les fabricants, pour cloisonner indirectement les marchés ou, plus subtilement, mieux contrôler les circuits de distribution : certains conçoivent l’emballage de manière à rendre plus difficile de vendre le produit sur un autre marché que celui auquel le fabricant le destinait au départ.

Pour contourner cela, les importateurs et autres circuits parallèles sont parfois amenés à reconditionner, modifier ou revoir le packaging. Problème : dès qu’ils le font, le titulaire du droit à la marque agit en contrefaçon.

La jurisprudence a donc été amenée à clarifier l’équilibre entre le droit à la marque d’une part, et le reconditionnement d’autre part.

La jurisprudence Bristol-Myers Squibb et Boehringer Ingelheim

La Cour de justice a rendu des arrêts le 11 juillet 1996 (C‑427/93, C‑429/93 et C‑436/93), le 23 avril 2002 (C‑143/00) et le et le 26 avril 2007.

C’est sur ces bases que les juges nationaux fonctionnement depuis lors, et il faut bien avouer que la doctrine et la jurisprudence sont tout sauf unanimes s’agissant d’interpréter ces arrêts  fondateurs.

Dans une récente affaire (arrêt du 17 mai 2018, C-642/16), la Cour de justice a donc tenu à résumer elle-même les enseignements que l’on peut tirer de ses précédent arrêts.

On en retiendra que :

  • L’objet spécifique de la marque est d’assurer la garantie de provenance du produit revêtu de cette marque et un reconditionnement de ce produit opéré par un tiers sans l’autorisation du titulaire est susceptible de créer des risques réels pour cette garantie de provenance (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2016, Ferring Lægemidler, C‑297/15, EU:C:2016:857, point 14 et jurisprudence citée).
  • C’est le reconditionnement en tant que tel des produits revêtus de la marque qui affecte l’objet spécifique de celle-ci, sans qu’il y ait lieu d’apprécier dans ce contexte quels sont les effets concrets du reconditionnement opéré par l’importateur parallèle (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a., C‑348/04, EU:C:2007:249, point 15).
  • Vu le droit à l’épuisement, l’opposition du titulaire de la marque au reconditionnement, en tant qu’elle constitue une dérogation à la libre circulation des marchandises, ne peut être admise si l’exercice de ce droit par le titulaire constitue une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres au sens de l’article 36, seconde phrase, TFUE (arrêts du 23 avril 2002, Boehringer Ingelheim e.a., C‑143/00, EU:C:2002:246, point 18, et du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a., C‑348/04, EU:C:2007:249, point 16 ainsi que jurisprudence citée).
  • Constitue une telle restriction déguisée au sens de cette dernière disposition l’exercice, par le titulaire d’une marque, de son droit de s’opposer au reconditionnement si cet exercice contribue à cloisonner artificiellement les marchés entre les États membres et si, par ailleurs, le reconditionnement a lieu de telle manière que les intérêts légitimes du titulaire sont respectés, ce qui implique notamment que le reconditionnement n’affecte pas l’état originaire du médicament ou n’est pas de nature à nuire à la réputation de la marque (arrêt du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a., C‑348/04, EU:C:2007:249, point 17 ainsi que jurisprudence citée).

Dans le secteur spécifique du médicament, le titulaire d’une marque peut légitimement s’opposer à la commercialisation ultérieure dans un État membre d’un produit pharmaceutique importé d’un autre État membre lorsque l’importateur a reconditionné ce produit et y a réapposé la marque, à moins :

  1. qu’il soit établi que l’utilisation du droit de marque par le titulaire de celle-ci pour s’opposer à la commercialisation du produit reconditionné sous cette marque contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres ;
  2. qu’il soit démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l’état originaire du produit contenu dans l’emballage ;
  3. qu’il soit indiqué clairement sur l’emballage l’auteur du reconditionnement du produit et le nom du fabricant de celui-ci ;
  4. que la présentation du produit reconditionné ne soit pas telle qu’elle puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire ; ainsi, l’étiquette ne doit pas être défectueuse, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon, et
  5. que l’importateur avertisse, préalablement à la mise en vente du produit reconditionné, le titulaire de la marque et lui fournisse, à sa demande, un spécimen de ce produit.

Ces cinq conditions sont cumulatives.

Quand un produit est-il « reconditionné » ?

La Cour a rendu le 17 mai 2018 un arrêt important qui, sans remettre en cause les fondamentaux, opère malgré tout une courbe rentrante.

Les faits …

Junek Europ-Vertrieb est établie en Autriche et commercialise en Allemagne, par le canal de l’importation parallèle, des produits sanitaires à usage médical et des pansements fabriqués par Lohmann & Rauscher International et exportés vers l’Autriche.

Junek Europ-Vertrieb apposait sur cette boîte une étiquette qui comporte les informations suivantes : l’entreprise responsable de l’importation, son adresse ainsi que son numéro de téléphone, un code-barres et un numéro pharmacologique central.

L’étiquette était apposée sur une partie non imprimée de la boîte et ne cachait pas la marque de Lohmann & Rauscher International.

Junek Europ-Vertrieb n’avait pas préalablement informé Lohmann & Rauscher International de la réimportation du produit concerné, et ne lui avait pas non plus fourni d’exemplaire d’un emballage du produit modifié.

L’arrêt …

Dans l’arrêt de 2007, la Cour avait précisé que la notion de « reconditionnement » inclut le nouvel étiquetage des médicaments revêtus de la marque (arrêt du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a., C‑348/04, EU:C:2007:249, point 28).

Dans l’arrêt Junek, la Cour arrive à une conclusion différente :

  • Elle relève que dans les affaires précédentes, était en cause une intervention de l’importateur parallèle qui impliquait non seulement l’apposition d’une étiquette supplémentaire externe sur l’emballage des médicaments concernés ou le reconditionnement de cet emballage, mais également, dans tous les cas, l’ouverture de l’emballage d’origine pour y ajouter une notice d’information dans une langue différente de celle du pays d’origine du produit qui portait la marque en cause.
  • Dans l’affaire Junek, elle relève que l’importateur parallèle s’est limité à apposer une étiquette supplémentaire sur une partie non imprimée de l’emballage d’origine du dispositif médical en cause, lequel au demeurant n’a pas été ouvert. D’autre part, cette étiquette est de petite taille et comporte comme seules informations le nom de l’importateur parallèle ainsi que son adresse et son numéro de téléphone, un code-barres et un numéro pharmacologique central qui sert à organiser la circulation des produits avec les pharmacies.

Et la Cour de conclure que « Dans la mesure où le conditionnement du dispositif médical concerné n’a pas été modifié et où la présentation originale de l’emballage n’a pas été affectée autrement que par l’apposition d’une étiquette de petite taille qui ne cache pas la marque et qui désigne l’importateur parallèle comme responsable de la mise sur le marché en indiquant ses coordonnées, un code-barres et un numéro pharmacologique central, il ne saurait être considéré que l’apposition d’une telle étiquette constitue un reconditionnement au sens des arrêts du 23 avril 2002, Boehringer Ingelheim e.a. (C143/00, EU:C:2002:246), ainsi que du 26 avril 2007, Boehringer Ingelheim e.a. (C348/04, EU:C:2007:249). »

En l’absence de « reconditionnement », la Cour estime que l’apposition de l’étiquette n’affecte pas l’objet spécifique de la marque, qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final la provenance du produit revêtu de celle-ci.

La Cour en conclut que : « la question que l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque ne peut pas s’opposer à la commercialisation ultérieure, par un importateur parallèle, d’un dispositif médical dans son emballage intérieur et extérieur d’origine lorsqu’une étiquette supplémentaire, telle que celle en cause au principal, a été ajoutée par l’importateur, laquelle par son contenu, sa fonction, sa taille, sa présentation et son emplacement ne présente pas de risque pour la garantie de provenance du dispositif médical revêtu de la marque. »

Que faire de la notice ?

La Cour n’a pas été jusqu’à régler le sort de la notice d’utilisation.

En effet, depuis les arrêts de 2002 et 2007, les informations à fournir aux consommateurs ont connu une véritable inflation et l’ajout d’une notice dans la langue du pays de commercialisation est souvent une opération nécessaire. L’on retrouve vis-à-vis des notices le même problème que pour l’emballage : le fabricant peut aisément concevoir la notice de manière à rendre plus difficile la vente sur un autre marché que celui auquel il destinait le produit au départ.

Comment gérer les choses ?

Ouvrir, ajouter la notice et refermer la boîte ? Le risque est de retomber dans la notion de « reconditionnement » avec toutes les conséquences qui s’y attachent.

Joindre une notice dans le paquet envoyé à l’acheteur mais sans ouvrir la boite du produit ? Envoyer la notice par email quand c’est possible ? Plusieurs circuits parallèles fonctionnement de la sorte, mais cela dépend fortement du droit national et l’on se retrouve donc à nouveau avec des restrictions de libre circulation qui font tache dans le marché unique.

La Cour de justice sera donc probablement appelée à poursuivre sa réflexion.

Plus d’infos ?

En lisant l’arrêt rendu, disponible en annexe.

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt de la Cour de justice

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